Premier tirage (pas de grands papiers).
Envoi signé : « à Daniel Boulanger ces [VIES MINUSCULES] qui trichent avec la “nouvelle”. Hommage de l'auteur, Pierre Michon ».
Si l’on voulait caractériser l’oeuvre de Pierre Michon, on retiendrait bien sûr son talent pour évoquer les « vies imaginaires », selon le titre de Marcel Schwob, qu’il présente « minuscules » ou magistrales, vies de peintres ou d’écrivains, vies de pauvres égarés du destin, qu’il esquisse en quelques traits frappants, désormais attachés à ceux qu’ils représentent. On parlerait aussi de son style, à nul autre pareil, qu’il entend lui-même ronfler dans la forge de l’écriture et qu’il commente et critique à la fin des Vies minuscules : « […] ce penchant à l’archaïsme, ces passe-droits sentimentaux quand le style n’en peut mais, cette volonté d’euphonie vieillotte, ce n’est pas ainsi que s’expriment les morts quand ils ont des ailes, quand ils reviennent dans le verbe pur et la lumière. » Le style donc, et l’évocation de personnes réelles, devenues personnages, dans ce que l’écrivain appelle ses « étés fictifs ». Pour le reste, inutile de se perdre en d’inutiles gloses. Juste suffit l’invitation à la lecture de ses oeuvres, en particulier ces Vies minuscules et Rimbaud le fils.
« C’est un livre qui a placé la barre extrêmement haut et je me demande si c’est bien […] J’aurais dû mettre l’essentiel plus tard […]. La raison en moi dit : il aurait été bien que je fasse ce livre et que je meurt l’année suivante. L’effet James Dean. Ou plutôt l’effet Rimbaud. Je pense n’avoir jamais ensuite retrouvé cette nécessité que j’avais d’écrire ce livre […]. J’ai eu, pour ces gens dont je parle, un sentiment à la fois de pitié et de projection en eux. C’était des gens qui étaient liés à ce milieu rural extrêmement clos, qui ne pouvaient pas en sortir, et qui étaient dans la position où j’étais moi-même. Celui qui veut absolument partir, partir, partir d’ici. La salle, le feu, les petits vieux. Et j’ai écrit les Vies minuscules parce tout à coup une vague de pardon, de bénévolence pour toutes ces gens m’a envahi » (in 21 cm, entretien avec Augustin Trapenard).
Écrivain, nouvelliste, romancier, scénariste, poète et académicien Goncourt, Daniel Boulanger fut une figure singulière de la littérature française de la seconde moitié du XXᵉ siècle. Ses recueils de nouvelles (notamment Fouette, cocher !, prix de l’Académie française 1960) et ses nombreux scénarios pour le cinéma (Les Biches, L’Homme de Rio, Cartouche), lui valurent une large notoriété. Membre du jury du prix Goncourt dès 1983, il en deviendra l’une des voix influentes jusqu’à sa démission en 2008. C’est probablement à ce titre que Michon – dont c’est le premier livre – lui envoie cet exemplaire : il s’adresse à un écrivain reconnu du genre bref, célébré pour son art de la nouvelle, alors que Michon joue précisément à brouiller les frontières entre récit, biographie et fiction. Cette complicité implicite inscrit l’exemplaire dans un dialogue littéraire entre deux générations : Boulanger déjà consacré, Michon à l’orée de sa carrière, qui allait être salué d’emblée par la critique comme l’une des voix les plus singulières de la littérature contemporaine.
Dos et marges de la couverture légèrement insolés, sinon bel exemplaire.