« Si l’Enfer pouvait avoir des murs »  

Romain Gary

« Si l’Enfer pouvait avoir des murs »  

[Paris], janvier à [mars] 1980.
9 p. en 3 lettres (205 x 295 mm) de 3 f. chacune, 4 f. (210 x 297) en dactylographie ; chacune montée sur une feuille de papier nacré. Reliure souple de maroquin noir à grain long doublée de daim bordeaux, dos titré en long, étui bordé (Loutrel, 2014).

 

Quelques mois avant son suicide, Romain Gary écrira – à la demande de la conservatrice du Musée de l’Ordre de la Libération, Michelle Michel – une préface pour le catalogue de l’exposition Résistance, déportation, libération dans le bruit des armes : « Si l’enfer pouvait avoir des murs ».

Précieux tapuscrits corrigés et seules versions préparatoires connues de ce texte, l’ultime écrit de Romain Gary, qui achève la relecture des Cerfs-volants, qui paraîtront en avril.

Dans les lettres préparatoires qu’il échange, en début d’année (22 janvier 1980, 28 février 1980 et 28 février 1980 encore), Gary avoue ne connaître « presque rien en dehors du Silence de la mer de Vercors et de mon Éducation européenne sur la littérature écrite pendant, après ou sur la Résistance ». Il s’est à cette époque beaucoup isolé et, s’il ne répond plus au téléphone en règle générale, il fera une exception si c’est de la part du Musée de l’Ordre pour lequel il reste, « à [s]a disposition, si je peux être utile ».

Gary souhaite connaître les délais et la longueur approximative de son texte et indique, « confidentiellement », qu’il va publier en avril un roman [Les Cerfs-volants] qui est fortement basé sur « une certaine idée de la France […]. Comme j’ai dû renoncer à mon ouvrage sur les compagnons, parce qu’il ne pouvait rendre justice à tous et surtout aux disparus […] peut-être voudriez-vous écrire à M. Claude Gallimard en lui demandant de faire un tirage à part pour les Compagnons. Je ne sais quelle sera sa réponse mais j’appuierai si la chose intéresse l’Ordre, sans bourse délier ».

Il souhaite par ailleurs envoyer au plus vite le texte, qu’elle devra lui retourner pour les corrections : cette préface « sera consacrée aux manuscrits retrouvés à la Libération à proximité des chambres à gaz. Il n’y avait pas de graffiti à Auschwitz ou Treblinka. Mais nous savons aujourd’hui que l’on a écrit (oui, écrit) même à Auschwitz, à Belsen ou Treblinka. Sur des bouts d’étoffe, sur des cartonnages, sur du papier « hygiénique » par des hommes qui allaient mourir. Rarement la « littérature » eut plus de portée et d’authenticité que lorsqu’elle devenait ainsi un alphabet de la souffrance ».

La Seconde Guerre mondiale fut une expérience traumatisante pour Romain Gary : il en condamne tous les crimes, à commencer par ceux qu’il a commis en tant qu’aviateur, et déclare ici que « même les causes les plus justes ne sont jamais innocentes », orientant son idéal humaniste vers la quête d’un homme meilleur, pleinement humain, comme déjà Morel dans Les Racines du ciel, vingt-cinq ans plus tôt, cherchait à y accéder.

Dans le premier état du tapuscrit, le texte s’achève sur cette phrase : « En 1942, j’ai raté, en Méditerranée, un sous-marin italien. J’ai peut-être sauvé ainsi une chanson, un poème ou une lettre d’amour. Tout compte fait, ce sous-marin italien manqué, c’est peut-être ce que j’ai fait de mieux dans ma vie. »

Dans le second état du texte, après que la conservatrice du musée de l’Ordre de la Libération lui avait suggéré de reconsidérer cette conclusion (assez peu conforme à ce que l’on pouvait attendre d’un Compagnon !), le texte se termine ainsi : « Les bombes que j’ai lâchées sur l’Allemagne de 1940 à 1944 ont peut-être tué dans son berceau un Rilke, un Goethe, un Hölderlin ! Et bien sûr, si c’était à refaire, je recommencerais : Hitler nous avait condamnés à tuer. Même les causes les plus justes ne sont ainsi jamais innocentes. Il faut que l’humain et l’inhumain rompent enfin leur couple infernal ».

L’exposition se tiendra d’avril à juin 1980, au musée de l’Ordre de la Libération.

Les Cerfs-volants auront paru entretemps, et Gary mena à terme son tirage spécial pour les Compagnons de la Libération : il offrira, nominativement, un exemplaire à chacun d’entre eux.

Un ultime projet sera mené à terme : celui d’ajouter à La Promesse de l’aube un chapitre supplémentaire, consacré à sa mère, dans l’édition française. Un chapitre qui ne figurait que dans l’édition américaine, publiée en 1961.

La guerre, Les Compagnons, sa mère. Voilà les derniers chantiers, et les derniers manuscrits connus de Romain Gary avant qu’il ne tire sa révérence.

Réf. : Romain Gary, « Si l’enfer pouvait avoir des murs », Catalogue de l’exposition « Résistance-Déportation », musée de l’Ordre de la Libération, avril-juin 1980 ; repris dans Romain Gary, L’affaire homme, Paul Audi, Jean-François Hangouët, éd., Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2005, p. 353-354, p. 354.

30122

Ce site utilise des cookies pour réaliser des statistiques anonymes de visites.
Ce site utilise des cookies pour réaliser des statistiques anonymes de visites.
Le site est en développement et des améliorations sont en cours. Nous nous excusons pour la navigation qui peut ne pas être optimale
Le site est en développement et des améliorations sont en cours. Nous nous excusons pour la navigation qui peut ne pas être optimale
This site is registered on wpml.org as a development site.