7 janvier [1946].
3 pages en 1 f. (330 x 205) plié. Encre noire ; avec enveloppe à en tête de la « Légation de France en Bulgarie ».
Belle et importante lettre de Romain Gary, rédigée depuis Londres ou Paris, et expédiée à son arrivée à Sofia, à sa prise de fonction comme secrétaire d’ambassade à la Légation de Bulgarie.
Le 25 mars 1945, le colonel Coustey rédige son rapport sur le lieutenant Romain Gary, en vue de sa promotion au grade de capitaine de réserve : « Une belle figure d’aviateur. Sur la brèche depuis 1940. Ayant fait campagne avec les FAFL, dès l’époque héroïque des campagnes de 1940 et 1941. Cultivé, fin, intelligent, un peu bohème mais sans excès, est éminemment sympathique. Parle plusieurs langues ; capable de rendre de grands services aussi bien en unité qu’à l’état-major. Brillant sujet. Gary de Kacew est un officier qui, éloigné du combat malgré lui, après janvier, a brillamment fait ses preuves. Il s’est révélé un précieux officier qui donne toute satisfaction dans sa tâche de chef du bureau de la Chancellerie à l’état-major. Il mérite d’être nommé capitaine sans plus tarder. » Ce rapport lui vaudra une palme de bronze à la croix de guerre et la croix de la Libération. Et, surtout, d’entamer sa carrière diplomatique. Il est démobilisé en décembre, et devient aussitôt secrétaire d’ambassade, alors qu’il n’a que 31 ans. Son premier poste est à Sofia, en Bulgarie. Il part seul, au début de l’année 1946, sans Lesley Blanch, restée à Londres pour encore quelques mois. Romain n’a plus revu Christel depuis 1938, et leur dernier échange date de 1939, avec une lettre d’adieu envoyée par Romain Gary le 31 décembre depuis la base aérienne d’Avord.
Les anciens amants cherchent-ils à reprendre contact ? Christel semble avoir écrit à Gary, sans doute après que ce dernier lui a envoyé un exemplaire d’Éducation européenne, et ce dernier lui répond, en anglais : [transcription] « Très chère Christel, me voici, Romain. J’ai bien reçu ta lettre, et c’était vraiment quelque chose de bien agréable à avoir. En regardant l’autre jour des photos, des vieilles photos que j’ai retrouvées en France, tu étais là, dans toute ta splendeur – et Sylvia [l’amie suédoise de Christel, future épouse de l’ami d’enfance de Gary, René Agid], me regardant, me lançant avec une sorte de triomphe (je ne sais pourquoi) : ‘Ah, alors tu n’as jamais oublié Christel !’ Bien sûr que non, je ne l’ai pas oubliée. Je me demande si tu as aimé Éducation européenne. Je t’ai envoyé un exemplaire en français, il y a quelque temps. Le roman est en cours de traduction en suédois – et dans toutes les langues européennes. J’ai été démobilisé il y a trois semaines et, dans quelques jours, je pars pour Sofia, en Bulgarie, comme 1er secrétaire de la Légation de France là-bas. Je vais probablement rester là-bas un an environ, avec ma femme qui me rejoint en avril. C’est une très bonne épouse et une très bonne journaliste… Mon nouveau livre [Tulipe] sort en avril. J’aimerais pouvoir te revoir, ne serait-ce que pour une journée. J’espère – en fait, je le sais – que tu es heureuse et qu’Ullo est maintenant devenu un grand garçon en bonne santé. Garde contact avec moi, ma chère Christel, si tu le peux, de temps en temps. Un jour, nous nous reverrons. Amour de Romain Gary. »
On ne connaît plus d’autres échanges entre Christel et Romain Gary jusqu’en 1960, lorsqu’elle écrira à l’écrivain, s’étonnant de se reconnaître dans le personnage de Brigitte de La Promesse de l’aube. Gary s’en défendra directement auprès d’elle : « Ta lettre m’a beaucoup surpris. D’abord, je suis très triste de voir que tu me crois un gentleman : je suis un artiste […]. J’ai uni en un seul plusieurs personnages, et les deux dames qui m’ont déjà écrit pour dire qu’elles se sont reconnues dans Brigitte se trompent toutes les deux. Mon récit est avant tout une œuvre littéraire […] et rien n’est tout à fait vrai, mais rien n’est tout à fait faux. […] il s’agit d’une vérité uniquement artistique. Bien amicalement. Romain » (lettre autographe à Christel, lundi 9 mai [1960] (Sotheby’s, 18 mai 2011, lot 104, reproduite en partie dans Myriam Anissimov, Romain Gary le caméléon, Denoël, 2004, p. 117).
Rare missive.
On ne connaît en tout et pour tout que quatre échanges : une lettre d’amour de 1938, lors du retour de Christel en Suède ; le billet d’adieu d’Avord de décembre 1939, cette lettre de Sofia ; et la lettre de 1960.
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