Lettre autographe à Christel Söderlundh
Romain Gary

Lettre autographe à Christel Söderlundh

Nice, 14 avril 1938.
6 p. sur 3 f. (210 x 275 mm), sur papier à en-tête du Café de France.

 

Extraordinaire lettre d’amour.

Lettre unique en son genre – qui n’a pas d’équivalent dans la correspondance amoureuse de jeunesse de l’écrivain -, forte, singulière et habitée par une folle exigence, qui a peut-être effrayé la jeune femme.

Un des documents les plus révélateurs sur la psyché intime de Romain Gary, qui donne à son amante une leçon de vie et de morale du haut de ses vingt-quatre ans : « Christel, souviens-toi que les choses au monde que je respecte le plus sont l’honneur et la droiture ».

Christel Söderlundh, rencontrée à Nice en juillet 1937, fut le premier grand amour de Romain Gary. C’était une jeune journaliste suédoise, mariée. Romain Gary a vingt-quatre ans quand il lui écrit cette lettre, alors qu’elle séjourne à Vienne, où son journal l’avait envoyée. Romain est à Nice pour trois mois, où la jeune femme l’a rejoint à la Pension Mermonts pendant quinze jours, début avril. Il prévoit d’aller ensuite en Pologne visiter sa famille, et poursuivre son voyage en Suède. Cette lettre suit immédiatement leurs adieux déchirants.

Il lui expose sa conception de l’amour : « Souviens-toi que si je t’aime comme femme c’est aussi parce que je t’aime comme homme et qu’un de nos deux amours n’ira, jamais, pour moi, sans l’autre… Il est très difficile d’être un homme. Mais s’il y a quelque chose qui compte, dans la vie, s’il y a quelque chose de vraiment sacré, c’est ça : être un homme. C’est dans la mesure où tu le seras, où que tu t’efforceras de l’être (car c’est peut-être impossible) que tu seras toujours toute proche de moi, même si des milliers de kilomètres nous séparent, c’est par cette volonté dure d’arriver à être un homme que tu seras toujours au sens le plus beau de ce mot, ma femme… »

On comprend qu’« être un homme » n’a rien à voir avec le genre. Par-là, Gary entend un être humain, entier, digne. Il ne recherche pas une femme avec ses faiblesses charmantes, ses caprices, sa séduction, mais quelqu’un qui soit une sorte de double, aussi fort et droit : « Et rien, jamais, ni le mariage, ni l’amour ni les enfants ne te rapprocheront de moi plus que ça : l’effort d’être un homme. C’est par cet effort, par cette volonté dure, par cette aspiration à la dignité humaine, à la condition humaine, que ton sang, Christel, sera dans mon sang, ta pensée dans ma pensée, et ta main fillette, dans ma main. »

Ce n’est qu’au prix d’un formidable effort sur soi-même que l’on peut parvenir à ce résultat : « Il faut travailler, ma lointaine, il faut étudier, être seule, lutter, souffrir beaucoup, dans l’effort et mépriser les hommes qui envoient des chocolats de luxe… »

Sa volonté d’amour exclusif, total, définitif, est sans cesse taraudé par le doute : « Je sais que tu es égoïste et que tu m’aimes dans la mesure ou ça te fait plaisir, mais je voudrais savoir si c’est quelque chose de plus fort que toi, si tu peux, vraiment, tout quitter pour être à moi, ou s’il s’agit seulement de ce genre d’amour dérisoire et charmant auquel ‘il est agréable de céder de temps à autre’ comme Goethe ne l’a pas écrit. »

On y trouve aussi de belles expressions de sensualité : « Si seulement je pouvais savoir que tu es à moi, à moi seul, à moi, rien qu’à moi, des pieds à la tête, de tout ton corps que je vois, comme si tu étais là couchée près de moi, comme si je le caressais encore, partout, fillette, partout, de mes lèvres, de mes dents, de mes doigts… », ainsi que de jolies et tendres inquiétudes du jeune homme pauvre qu’il est alors : « C’est très beau, Christel, le chocolat de luxe et avec moi, je le crains, il y aura fort peu de chocolat, fillette, et encore moins de luxe… »

Gary, on le voit, lui offre un chemin âpre, éloigné des facilités et même des douceurs : « Ce que je te conseille demande beaucoup, beaucoup plus de courage que tu ne le crois. Ça n’a rien à voir avec le plaisir, et presque rien avec le bonheur… en tout cas, pas pour les gens qui croient – les malheureux ! Que le bonheur, c’est seulement le maximum de plaisir. Le bonheur – mon bonheur – c’est un chemin très dur […]. J’ai parlé beaucoup trop… et je n’ai pas envie de m’arrêter… j’ai envie de continuer… je suis un imbécile ! Mais un imbécile qui t’aime. Romain ».

En juin 1939, Romain avait résolu de se rendre en Suède avec 2 000 francs en poche pour tenter de reconquérir la belle Christel, qui ne s’était engagée à rien et qui tentait de renouer avec son mari, le musicien et compositeur Axel-Bror Söderlundh. Romain ne parviendra pas même à la revoir. Il habita chez Sigurd Norberg – un ami d’enfance du lycée Massena – , dont la famille lui avait prêté leur petite maison de bois dans l’Archipelag, où il remania son premier roman Le Vin des morts. Il regagne la France, puis rejoint son affectation. Quelques mois plus tard, Gary lui enverra, depuis la base aérienne d’Avord, une dernière lettre d’Adieu, datée du 31 décembre 1939.

Déchirures aux plis, restauration verticale au papier collant sur le dernier feuillet.

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