Los Angeles, 9 janvier 1959.
1 p. (200 x 270 mm) à en-tête du Consulat général à Los Angeles ; 2 f. (210 x 297 mm), avec questions dactylographiées et réponses de Gary manuscrites à l’encre bleue.

Intéressant document formant réponse à une interview pour la revues Arts, à propos de la sortie du film de John Huston adapté des Racines du Ciel (1958) : Gary se montre acerbe avec un humour ironique sur le cinéma et la littérature, après trois questions complémentaires que le journaliste, Eric Le Guebe, lui soumet par écrit, alors que le film vient de sortir sur les écrans parisiens.

En réponse à l’une des questions, Gary demande de corriger ce qu’il nomme « deux excès » dans l’interview : « Supprimez le ‘Je les emmerd’ et remplacez par ‘Je les renvoie à Zdanov’. Au lieu de ‘on surestime l’importance du cinéma’, marquez ‘on suranalyse chaque film et chaque metteur en scène’ ».

Sur l’écart entre la critique, plutôt mauvaise, et l’accueil du public, plutôt bon, Gary précise : « c’est que le public est plein de générosité, de pardon et de pitié : ce sont des bons chrétiens. J’ai moi-même applaudi lorsque la projection fut terminée. Il faut bien avoir du cœur, dans la vie […]. J’ai été très amusé et très content ; si je constate que mon livre n’a rien à craindre, j’avais très peur […] je me réveillais la nuit, couvert de sueur froide ; je rêvais que le film était aussi bon que le livre et que le cinéma pouvait rivaliser avec la littérature. Mais ce n’était qu’un cauchemar et tout s’est très bien passé […]. Un écrivain peut écrire pour ne rien dire et devenir un grand écrivain s’il a du génie ; [sa phrase] est une pathétique tentation de professeur de philosophie d’annexer l’art ».

Arts est une revue hebdomadaire française fondée en 1952 par le galeriste Georges Wildenstein. Au moment de l’interview de Gary, elle porte encore comme titre Arts, spectacles ; elle ne prendra le seul nom d’Arts, sous-titré lettres, spectacles, musique, qu’en 1960. Elle a été un des relais des Hussards et a offert une tribune à la nouvelle critique cinématographique des années 1950, notamment à François Truffaut, qui y a ensuite invité Jean-Luc Godard et ses partenaires des Cahiers du cinéma. Boris Vian, Jean Giono, Roger Nimier, Antoine Blondin, Jean-Louis Bory, Matthieu Galey, Jean-René Huguenin, Truffaut et Godard, entre autres, y ont collaboré.

La revue avait donné, quelques semaines plus tôt, un reportage sur Jean Seberg, qui sortait du tournage d’À bout de souffle, achevé avant Noël. Seberg et Gary se rencontreront en décembre 1959, lors d’un dîner organisé à Los Angeles. À bout de souffle avait fait de Seberg une star, et c’est à ce titre que Gary l’invite à sa table, au consulat de France. Avec la suite que l’on sait.

Gary fréquenta peu le monde d’Hollywood qu’il n’appréciait guère hormis ses starlettes. Il gardera toujours Hollywood et ses acteurs à distance de sa vie d’écrivain, parfois jusqu’à l’extrême : lorsque Jean Seberg joua dans La Kermesse de l’Ouest aux côtés de Clint Eastwood, ce dernier ne se priva pas de jouer de ses charmes et, alors qu’ils étaient tous les deux mariés, Eastwood et Seberg entamèrent une liaison. Fidèle à son esprit « chevaleresque » et pour laver son honneur, Gary défia Eastwood en duel. Au pistolet. Face à ce tempérament enflammé, l’acteur refusa… La fin du tournage de La Kermesse de l’Ouest marquera la fin immédiate de sa relation avec Jean Seberg.

Concernant Les Racines du ciel, Gary indique dans l’interview qu’il ne rencontra John Huston qu’à Paris (les intérieurs ont été tournés aux Studios de Boulogne). L’adaptation du roman de Gary avait été confiée à son ami, Patrick Leigh Fermor : cet ancien officier et membre du SOE britannique pendant la Seconde Guerre mondiale eut une carrière de scénariste puis d’écrivain voyageur.

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