Lakeville, 31 octobre 1950
2 blocs de papier de correspondance (204 x 255 mm) de 29 et 21 ff., sur papier " R-B Big 10 special tablet ", manuscrit autographe, au crayon, signé et daté " Georges Simenon, Shadow rock Farm, Lakeville, 31 octobre 1950 ".
2 blocs de papier de correspondance (204 x 255 mm) de 29 et 21 ff., sur papier " R-B Big 10 special tablet ", manuscrit autographe, au crayon, signé et daté " Georges Simenon, Shadow rock Farm, Lakeville, 31 octobre 1950 ".
Précieux manuscrit complet, entièrement autographe.
Les manuscrits entièrement autographes de Georges Simenon, adepte de la machine à écrire, sont rarissimes.
Les manuscrits entièrement autographes de Georges Simenon, adepte de la machine à écrire, sont rarissimes.
Une enveloppe cachetée jaune (165 x 244 mm), sur le modèle de celles, couleur terre-de-Sienne qu'il employait en Europe pour ses manuscrits, lui a servi comme à l'accoutumée de conducteur où figure la liste des personnages du roman en cours de rédaction. Seulement une vingtaine d'enveloppes de ce type sont conservées au Fonds Simenon de Liège, principalement pour des manuscrits d'ouvrages parus chez Fayard et Gallimard : La Veuve Couderc, Les demoiselles de Concarneau, Touriste de bananes, Le Suspect, Malempin, Le haut mal, Les rescapés du Télémaque, Le Relais d'Alsace, Quartier nègre, Le passager du Polarlys, L'outlaw, Oncle Charles s'est enfermé, La Marie du port, Le locataire, Il pleut, bergère… Aucun des romans directement dactylographiés n'auront ces fameux conducteurs, Simenon abandonnant peu à peu les versions entièrement autographes, dont beaucoup seront aux enchères aux enchères au profit des prisonniers de guerre, à l'initiative de l'auteur en 1943. Seules deux enveloppes sont connues pour la période américaine : celle-ci et celle pour le manuscrit de La Mort de Belle, strictement identique (Kensington Clasp Line paper Company). Les autres romans directement frappés à la machine, ne les ont pas. L’enveloppe jaune, pendant plus de trente ans, sera rituelle dans le travail de Simenon lorsqu’il commence un roman : elle est la première trace écrite de son travail d'écrivain, là où Simenon inscrit les premiers éléments concrets qui l’aident à appréhender ses personnages et à guider son intrigue.
L’enveloppe est titrée L'Auberge d’Ingrannes (Le Temps d'Anaïs), qui prouve bien que Simenon hésitait depuis le début entre ces deux titres. Elle porte également les mentions de Vitry aux Loges - commune de la forêt d'Orléans, non loin d'Ingrannes -, et d'Orléans. Suivent, au recto, quelques personnages, leurs âges et adresses "romanesques" à commencer par le "héros" du roman, "Albert Bauche, 28 ans, [27 dans le livre], quai d'Auteuil, marié à Fernande (...), Sege Nicolas [la victime dans le roman, directeur de la] CI.F. (Compagnie internationale du Film), Champs Elysées (...) Raoul et Antoinette Bauche ([les parents d'Albert], droguerie en gros à Montpellier. Meurt à 52 ans. 1928, 52 ans, 19 ans pour Albert (...) », etc.]. Au verso, une longue liste d'autres personnages - une trentaine -, avec quelques autres notes sur leurs filiations. Ils ne seront pas tous caractérisés dans le roman.
Ce dernier a été rédigé en quelques jours, du 24 octobre au 31 octobre 1950, presque d'une seule traite, et presque sans corrections. Point remarquable, c’est le premier roman que rédige Simenon dans sa nouvelle demeure : depuis juillet, Georges Simenon s'est installé, avec sa femme Denyse et leur fils John, âgé d’un an, à "Shadow Rock Farm", une grande propriété, un ranch même, située à Lakeville, dans le Connecticut. Il y resternt cinq années, pendant lesquelles il va écrire certains de ses grands "romans durs" (outre Le temps d'Anaïs, citons Une vie comme neuve, La mort de Belle, Les frères Rico, L'escalier de fer, Feux rouges, L'horloger d'Everton, Le Grand Bob, Les témoins), ainsi que quelques une des meilleurs Maigret : Maigret au Picratt's, Maigret et la Grande Perche, Maigret et l'homme du banc, Maigret se trompe ou Maigret et la jeune morte. Cette demeure de Lakeville a été, de l'aveu même du romancier, un lieu pour lequel il a "eu un faible (...). Je suis envoûté, persuadé que c'est pour la vie, car je m'intègre naturellement à la vie d'un pays auquel, pour la première fois peut-être, j'ai l'illusion d'appartenir. Un univers intime et chaud " (in Mémoires intimes).
Et ce n'est pas un hasard si ce premier livre qu'il y rédige, savourant la douceur de son nouveau mariage avec Denyse et les joies de la paternité, situe son action à Ingrannes, au cœur de la forêt d’Orléans, un lieu où Simenon avait emménagé presque, jour pour jour, quinze ans auparavant : nous sommes alors en fin 1934 et Tigy et Georges Simenon veulent quitter le château de Marsilly. Ils parcourent la France à la recherche de la perle rare, en vain. Mais repèrent une abbaye attenant à un petit château, la Cour-Dieu, au nord est d’Orléans. Ils logent pendant ce séjour à l'auberge toute proche du village d'Ingrannes. Car Simenon doit partir pour un long voyage, un long périple de reportages payés par Paris-Soir à travers le monde, qui le conduit, de décembre 1934 à mai 1935, de l'Amérique centrale et méridionale à Tahiti, puis pousse jusqu'en Australie, d'où il embarque sur un paquebot qui le ramène en Europe, à travers l'Océan Indien, la Mer Rouge et la Méditerranée. De ce voyage, Simenon rapportera ses articles pour Paris Soir, mais surtout de la matière de plusieurs romans "exotiques", comme Ceux de la soif, Quartier nègre, Long cours, ou Touriste de bananes ou le recueil de nouvelles La Mauvaise étoile, dont il entame la rédaction dès son retour, sitôt l'emménagement dans l'ancien prieuré cistercien réalisé. Simenon restera à la Cour-Dieu trois années, le temps d'écrire trois romans (Faubourg, Quartier nègre et Les demoiselles de Concarneau), le recueil de La Mauvaise étoile, ainsi que trois autres nouvelles, non intégrées au recueil : Le Capitaine Philps et les petits cochons, L'histoire de deux canaques et d'une belle fille qui voulaient voir Tahiti la Grande et L'Oranger des marquises.
Trois années dans l'orléanais, où Simenon arpente le territoire, rencontre ses habitants et épouse la géographie locale, afin de chercher la matière de son œuvre. Il sera également séduit par ses balades en bord de Loire et notamment par la ville de Meung-sur-Loire, où il installera la résidence secondaire de Maigret : le commissaire aimera ensuite venir s'y reposer passer ses week-ends et ses vacances, occupant son temps entre le potager, la belote et la pêche. C’est de cette maison que Maigret sera extirpé de sa retraite quand le commissaire reprend du service en 1947, pour Maigret à New York.
La forêt d'Orléans et l'auberge d'Ingrannes sont quant à eux précisément restés dans la mémoire de Simenon, qui retranscrit fidèlement ces lieux 15 plus tard dans le Temps d’Anaïs – le titre définitif sous lequel le roman paraît aux Presses de la Cité, en avril 1951, après une parution en revue dans le quotidien « Le Populaire de Paris », du 19 février au 4 avril 1951 (39 livraisons), sous le titre L'auberge d'Ingrannes.
Le manuscrit autographe, complet, est rédigé entièrement au crayon, d'une écriture fine, nerveuse et sûre, rapide et très serrée, sans marge, occupant toute la page, au recto de 51 feuillets de deux blocs de papier vélin, avec son feuillet de papier ligné.



