Un des 50 exemplaires hors commerce sur vélin chamois (n° 26).
Envoi signé : " 'Et si tu n'as pas vu ce joli sentiment que Zénaïde Fleuriot a nommé l'amour, je te l'expliquerait lentement, lentement…'
Pour François Mauriac, trois vers de Francis Jammes, ce [Hussard bleu] et l'affection de Roger Nimier".
A l’époque de cette publication, Roger Nimier dirige l’hebdomadaire Opéra, et fréquente le Tout-Paris littéraire et mondain. Au même titre qu’Antoine Blondin, Michel Déon, Jacques Laurent ou encore Félicien Marceau, il appartient à cette génération d’écrivains que Bernard Frank fédérera dans Les Temps modernes sous la bannière de « Hussards », qui se réclament de Marcel Aymé, de Céline, Montherlant, Giono, Morand ou Chardonne, en opposition à l’écriture de recherche lancée par Sarraute ou Blanchot.
Très bel exemplaire offert par Nimier à François Mauriac.
L’année précédente, répondant à l’enquête sur la jeune génération littéraire demandée par Mauriac dans les pages du Figaro (30 mai 1949), Nimier y livra le procès des « valeurs modernes » et esquisse les principaux traits de l’avatar de l’écrivain maudit, » en résistance », ironisant sur la « belle carrière de révolte qui s’ouvrait [alors] devant [lui] (…) À peine avions-nous fait un pas dans cette voie, nous reculions avec horreur : il y avait une académie de la révolution, un conseil supérieur du désordre et la poussière déjà collait sur une flaque de sang, précieusement conservée comme emblème national. Il fallait trouver autre chose ». (« Vingt ans en 45 », La Table Ronde, nos 20-21, août-septembre 1949, p. 1266.)
Deux ans plus tard, Mauriac sera invité par Nimier et autres « hussards » à collaborer aux Cahiers de La Table ronde : Mauriac, sans allégeance, accepte la proposition, rêvant sans doute que la jeune revue prenne la place de la vieille NRF. Il devra déchanter, disant plaisamment qu’à part lui, Thierry Maulnier – écrivain et ancien collaborateur de L’Action française – y était de loin ce qu’il y avait de plus à gauche. Il rendra compte dans son Bloc-Notes d’un déjeuner que Nimier, dans un style tout à fait différent, traitera également dans Les écrivains sont-ils bêtes ? (p. 19) : un compte rendu pastiche, qu’il place dans la perspective qui aurait pu être celle de Georges Bernanos s’il avait assisté à ce déjeuner, et en pastiche la manière. Ainsi, ce « Déjeuner de Bernanos » (paru dans l’hebdomadaire Arts du 23-29 juin 1954) égratigne chacun des convives présents, en les représentant de façon ridicule et sous des pseudonymes d’autant plus transparents que la version originale, par Mauriac, est connue ou supposée connue du public. Nimier lui-même ne s’épargne pas, en se mettant en scène sous les traits du jeune Roger Lainier, qui n’ouvre la bouche que pour demander si le dernier livre de Francis Cantal (François Mauriac : le Cantal est la région voisine du Forez, pseudonyme de Mauriac sous l’Occupation), La Brebis (Mauriac vient de faire paraître L’Agneau), est intéressant et si « ça fait mode ».
» Si tu n as pas vu l’aube douce qui brode la nuit
et qui allume, au bord des mares, les angéliques,
je t’indiquerai l’aube en te fermant les yeux
avec un baiser long comme l’aube elle-même.
Et ton coeur sera plein d’un jour blanc qui se lève,
car je te poserai de l’aube sur les lèvres.
Et si tu n’as pas vu ce joli sentiment
que Zénaïde Fleuriot a nommé l’amour,
je te l’expliquerai lentement, lentement,
comme si tu hissais ta bouche vers ma bouche,
avec tes genoux ronds pressés à mes genoux.
Alors, tu verras ce sentiment qui est l’amour,
que l’on cache beaucoup et dont on parle tant.’
Francis Jammes. Le Deuil des primevères.