Édition originale
Un des [20] premiers exemplaires sur vergé d’Arches.
Dix exemplaire sont numérotés 1 à 10 et dix autres, hors commerce, ne le sont pas.
Envoi signé : ” À René Gaffé // bien cordial // hommage // LF Céline ”
Lettre jointe :
lettre signée des éditeurs Denoël & Steel, au même René Gaffé, à propos des exemplaires de tête hors commerce :
” Nous vous signalons que le voyage au bout de la nuit a comporté un tirage hors-commerce sur [beau papier biffé et corrigé à l’encre par] Arches de dix exemplaires seulement. Ces exemplaires ont été réservés à l’auteur et aux collaborateurs de la maison ; peut-être deux ou trois ont-ils été envoyés à des critiques…” (Paris, 29 juillet 1933, 1 p. in-4)
Nous sommes heureux de livrer le (presque) recensement complet de ces fameux vingt exemplaires sur vergé d’Arches, à la suite de la découverte récente d’un exemplaire réputé manquant (le n° 6). Les exemplaires ont, au dos, soit une mention “Arches” ou “vergé d’Arches”.
Six exemplaires sont encore brochés parmi eux.
Notre recensement permet de compléter les listes et les travaux de Henri Thyssens et Pascal de Saadeler, ainsi que la bibliographie de Dauphin-Fouché sur le sujet :
Pour les exemplaires numérotés :
n° 1. Broché (Librairie Bernard Loliée ; Artcurial, 2013 ; collection privée).
n° 2. Broché (Librairie Loewy, 1933, n° 66 ; Librairie Vrain, attribué à Léon Daudet en 2008 [sans élément probant] ; Librairie Hérodote, 2020).
n° 3. Relié. Exemplaire Jules Exbrayat (relié par Semet et Plumelle, vente, 1962, I, n° 166, nouvelle reliure par Maylander pour Hayoit, passé dans sa vente, 2001, puis Sourget, 2004 ; collection Beaufour).
n° 4. Relié. Exemplaire Frédéric Lefèvre, avec envoi (collection Tranchimand, puis vente du même, Renaud-Giquello, 2004, n° 22 ; reliure de Devauchelle).
n° 5. Broché. Exemplaire Lucien Descaves (reliure de Miguet).
n° 6. Broché (localisé, sans envoi, collection privée).
n° 7. Broché. (localisé, sans envoi, collection privée).
n° 8. Relié. Exemplaire Roland Saucier (avec envoi, relié par Cerutti, exemplaire Chauveau puis Ragazzoni, puis Campbell-White puis Sotheby’s, 2014, n° 66).
n° 9. Relié. Exemplaire José David (libraire et collectionneur bruxellois) ; avec envoi postérieur monté sur feuillet ajouté. Reliure de Huser.
Vente, (van der Perre, 1954) ; Ex-libris Bourbon-Condé ; Bibliothèque Jean-Paul Kahn (III, 2021, Bergé, n° 120).
n° 10. Relié. Exemplaire Gaston Roussel (relié par Paul Bonet en 1934, Carnets, 253).
Pour les exemplaires hors commerce (les [numéros] sont donnés à titre purement indicatifs) :
[1] – exemplaire Bernard Steele, relié par Devauchelle (cat. Coulet-Faure, 1958),
[2] – exemplaire Robert Beckers, relié par Alix, exemplaire Sicklès (vente, 1983, n° 76),
[3] – exemplaire Max Dorian, cité par Thyssens, relié par Paul Bonet (Carnets, 975), passé en vente publique en 1943.
Seuls ces trois exemplaires sont nominatifs, pour les « collaborateurs de la maison ».
Notons qu’il “manque” un exemplaire Denoël.
[4] – exemplaire Gaston Chéreau, relié par Cretté (cat. Matarasso, 1938, puis Lardanchet, 1951, puis Coulet-Faure, 1958 et 1970),
[5] – Max Descaves, relié par Martin, exemplaire Louis de Saadeler puis Frédéric Lefèvre,
[6] – exemplaire [Françoise] Descaves, broché [le seul broché des dix hors commerce] (Bibliothèque R. & B. L., IV, 2014,n° 41, invendu, puis IX, 2020, n° 223. L’exemplaire a été passablement restauré, peut-être même rebroché).
[7] – exemplaire Jean Ajalbert, relié par Huser (puis exemplaire Simonson-Moureau ; Pierre Bergé & Associés, 2005, Bibliothèque d’un amateur, n° 141),
[8] – exemplaire [?], relié par P.-L. Martin (Coulet-Faure, juin 56, n° 19). Il est décrit comme dédicacé, mais à qui ? Vraisemblablement offert à un membre du Goncourt ? Parmi ceux qui ne furent pas ‘servis’, restent : les frères Rosny, Roland Dorgelès, Pol Neveux, Léon Hennique et Raoul Ponchon.
[9] – exemplaire manquant. Il pourrait s’agir de celui de Robert Denoël, qui serait vraisemblablement nominatif,
[10] exemplaire René Gaffé, relié par Georges Huser, pour René Gaffé (vente Drouot, 1956, n° 48 ; Marcel de Merre, Sotheby’s, 2007, n° 312 ; collection privée). Boîte postérieure de Renaud Vernier
Lorsque cet exemplaire est réapparu, lors de la vente de la collection de Marcel de Merre (Sothebys, 2007, n° 312), c’était seulement le quatrième exemplaire offert en vente publique depuis 25 ans. Sa provenance et les conditions de son obtention par Gaffé restent mystérieuses : il ne fut pas offert “comme les autres” à parution, puisqu’il ne porte comme seule dédicace que celle à René Gaffé, et sur le bon feuillet de justification (et ne peut donc supposer qu’une dédicace ait été remplacée par une autre) et est donc resté un temps ainsi. Il a pour autant, à la date de la demande de Gaffé, déjà quitté la maison d’édition, puisque Robert Denoël indique qu’il ne lui en reste plus [de disponible] dans la lettre du 29 juillet 1933, qui se trouve montée en tête de l’exemplaire.
Il ne s’agit de pas de l’exemplaire de Céline, puisque ce dernier s’en émeut encore encore cinq jours plus tôt. Pourrait-il s’agir du propre exemplaire de Denoël ? Il semble étonnant que Dorian, Beckers et Steele aient eu chacun le leur, nominatifs, et que Denoël ait eu un traitement différent. Hormis l’hypothèse Denoël, d’ou proviendrait l’exemplaire Gaffé ?
Même si les réseaux du collectionneur étaient immenses, il lui a fallu sans doute remuer ciel et terre pour obtenir ce qui devait alors être sans doute le seul exemplaire des hors commerce non encore dédicacé… et le faire aussitôt dédicacer par Céline ! Ni la dédicace de Céline, ni la reliure d’Huser ne sont datées, mais elles sont contemporaines des années trente. L’affaire fut donc faite rapidement.
Comme pour l’exemplaire P.-L. Martin (le seul autre hors commerce non attribué), on peut penser qu’il aurait pu sinon être offert à l’un des membres du Goncourt, que Gaffé sollicita très rapidement un an plus tard pour lui acheter, directement ou indirectement. C’est une autre hypothèse –mais l’absence de dédicace la rend plus qu’improbable.
Cet exemplaire contient la fameuse ‘attestation’ de Denoël, maintes fois citée ; davantage qu’une attestation, c’est en fait une lettre tapuscrite signée par l’éditeur et adressée à René Gaffé, datée du 29 juillet 1933 (cinq jours après la lettre de Céline au même Denoël), dans laquelle Denoël mentionne et confirme qu’il existe bien “un tirage hors-commerce sur beau papier Arches [de la main même de Denoël] de dix exemplaires seulement. Ces exemplaires ont été réservés à l’auteur et aux collaborateurs de la maison ; peut-être deux ou trois ont-ils été envoyés à des critiques […]”.
Bruxellois d’origine, René Gaffé, espion pendant la Première Guerre, fut d’abord journaliste et fondateur de L’Echo belge, quotidien en vogue au début du siècle. Homme d’affaires renommé, il devint, dès les années 20, un collectionneur inconditionnel et sa rencontre avec Paul Eluard et André Breton eut l’effet d’un véritable déclencheur. Ceux-ci, l’initient à l’art primitif et à l’art moderne et il acquiert alors des oeuvres « sur le vif », directement auprès des artistes qui deviennent ses proches : Picasso, Magritte, Miro, Erp ou Ernst et constitue ainsi une collection de d’art moderne et tribal, un ensemble d’une cinquantaine de chefs-d’oeuvre qu’il a toujours tenu à conserver auprès de lui, refusant de les disperser ou de les prêter pour des expositions.
Bibliophile, précurseur des grands noms de la bibliophilie belge des Simonson, Hayoit ou Marcel de Merre, il fut l’un des premiers collectionneurs d’ouvrages surréalistes, à la mesure d’un Jacques Doucet, se fournissant auprès des poètes et écrivains du mouvement. Ces derniers pouvaient alors lui réserver les exemplaires les plus précieux, richement enrichis de lettres ou de dédicaces. René Gaffé avait également ses entrées chez bon nombre d’éditeurs ou de libraires, qui pouvaient lui réserver les papiers de tête. Riche industriel, il avait composé une importante collection et possédait plusieurs manuscrits importants, dont celui de La Condition humaine.
La vente de sa collection, en avril 1956, fait toujours référence.
Ce n’est que trente-trois ans après la mort de René Gaffé (survenue en 1968) que sa collection de tableaux fut mise en vente, après la mort de sa seconde épouse. Conformément à son testament, Jeanne Gaffé chargea Christies New York de vendre 25 chefs-d’oeuvre, vendus sans réserve : 60 millions de dollars furent récoltés, aux seul profit de l’Unicef. Il s’agit, encore à l’heure actuelle, d’un des plus généreux legs jamais offerts à l’institution.
Son ex-libris, à la mesure de son exceptionnelle collection tenait en un feuillet pleine page, sur papier de chine, monté en tête des exemplaires par les plus grands relieurs qu’il faisait travailler : Georges Mercier, Maylander, Semet et Plumelle, Huser, et bien sûr Paul Bonet, dont la rencontre décisive avec Gaffé lui permettra d’aborder les rivages du surréalisme, qui lui inspira une conception novatrice du décor : il sera alors l’interprète quasi attitré des poètes surréalistes pendant presque deux décennies. Paul Bonet est celui qui composa, réalisa et grava cet ex-libris pour René Gaffé – pas moins de six versions avaient été réalisées par le maître, dont une retenue à partir de laquelle il composa la version définitive (cf. vente Tajan, mai 2013, lot 486).
L’emboîtage-coffret en maroquin doublé a été conçu récemment, en 2016.
Il est l’œuvre de Renaud Vernier, titré par Claude Ribal.
Provenance : René Gaffé (envoi et vente, 1956, n° 48) – Marcel de Merre (vente, 2007, n° 312).
En Français dans le texte, 366 ; Dauphin & Fouche 32A1.
18997