« Une seule pensée » / « Liberté »

Paul Éluard

« Une seule pensée » / « Liberté »

[Vézelay, [Paris ?], circa 1941-1942].

Deux feuillets (150 x 270 mm), sur vergé fin, signé en fin, contrecollé sur un papier plus épais. Trace ancienne de pli central, au deux feuillets.  

Historique manuscrit autographe signé et premier état du texte publié dans la revue Fontaine en juin 1942 à Alger (alors sous l’autorité du régime de Vichy et soumis à sa censure).

Il sera repris en septembre dans la plaquette “Poésie et Vérité 1942” publiée par le groupe de La Main à plume dans le Paris occupé (antidatée du 3 avril).

C’est Éluard qui communique ce manuscrit au directeur de Fontaine, Max-Pol Fouchet, lors de sa venue secrète à Paris en mai 1942.

Les deux titres sous lesquels ce poème est diffusé pendant la guerre, en France et dans le monde, apparaissent sur ce manuscrit : « Une seule pensée » (biffé) ; « Liberté ».

Le titre initial « Une seule pensée » est barré, remplacé par « Liberté ». 

Les feuillets avaient été montés par Max-Pol Fouchet sur un bristol léger, puis des cartons rigides (conservés par ailleurs) pour être encadrés et accrochés ainsi, de part et d’autre d’un portrait d’Éluard en sa possession (cf. n° 44 et photographie p. 77). L’encadrement, imposant, trônait dans le petit salon du 43 rue Lys-du-Pac à Alger, au-dessus du petit lit-bibliothèque du directeur de Fontaine : en témoignent deux photographies prises à Alger, qui datent de la fin de l’année 1943 ou du début de l’année 1944.

L’étude approfondie de ces clichés, témoins précieux et irréfutables pour l’histoire du document, révèle, d’une part, que le portrait photographique d’Éluard n’est pas encore dédicacé par le poète ; et, d’autre part, que le manuscrit du poème, signé par lui, porte bien les deux titres, le premier étant biffé. Cela confirme qu’en mai 1942, Éluard a déjà l’idée du nouveau titre, avant donc qu’il le retienne définitivement à l’automne, aux dires de Noël Arnaud, « sur le marbre de l’imprimerie » lors de l’impression de Poésie et vérité 1942.

Dès l’été 1941, Paul Éluard semble avoir conçu l’idée et écrit quelques strophes du futur « Liberté », sans doute un poème d’amour pour Nusch en première intention, dont Sabine Boucheron a retracé la genèse légendaire (Langage et société, n° 97, 2001, p. 71-97). Dans une conférence sur la « poésie de circonstance » prononcée le 17 janvier 1952 et publiée dans La Nouvelle Critique en avril, le poète dira qu’« en composant les premières strophes […] je pensais révéler pour conclure le nom de la femme que j’aimais, à qui ce poème était destiné. Mais je me suis vite aperçu que le seul mot que j’avais en tête était le mot liberté. Ainsi, la femme que j’aimais incarnait un désir plus grand qu’elle. Je la confondais avec mon aspiration la plus sublime. Et ce mot, liberté, n’était lui-même, dans tout mon poème, que pour éterniser une très simple volonté, très quotidienne, très appliquée, celle de se libérer de l’occupant ».

Quoi qu’il en soit de l’origine du poème, toujours est-il qu’à l’automne 1941 la plaquette Sur les pentes inférieures (cf. n° 3) attire l’attention des Allemands et des autorités de Vichy au point qu’Éluard décide, après un réveillon passé en compagnie de Georges Hugnet, de quitter Paris au début du mois de janvier 1942 pour se rendre dans une semi-clandestinité chez le couple Zervos au hameau de La Goulotte, près de Vézelay, où il restera avec Nusch jusqu’au 15 mars. C’est là, au sortir de l’hiver 1941-1942, qu’il met la touche finale à ce qui deviendra l’hymne par excellence de la Résistance française.

Entre les 7 et 22 mai suivants, pendant le seul voyage qu’il effectue en métropole cette année-là, Max-Pol Fouchet voit Éluard à trois reprises : « Je voulais rencontrer, avant tous autres, Paul Éluard. Je l’admirais et savais quel était son combat. Il représentait pour moi, à en juger par ses poèmes, une Résistance non pas limitée à l’événement immé¬diat, dont il souffrait pourtant atrocement, mais consciente de l’avenir des hommes. Je me rendis chez lui. Aussitôt j’éprouvai la séduction qu’il exerçait par la gravité, la beauté même du visage, la noblesse du ton. Le tremblement presque constant de ses mains s’accordait avec celui de la voix. Ce tremblement des doigts résultait peut-être d’une maladie, je ne sais, mais je ne l’interprétais pas ainsi. Il me semblait traduire une approche vers le secret des choses et des êtres, vers leur fragilité. Ces mains tremblantes m’émurent plus encore que le regard. Pour l’homme jeune que j’étais, Éluard apparaissait comme «le» poète. Sa sérénité aussi, lorsque nous parlions des événements, me surprenait. Cette entrevue première fut comme un lac de calme, de certitude. » (Un jour je m’en souviens, p. 87-88). Après une deuxième rencontre dans un restaurant de la rue de Grenelle, où il lui parle « de la victoire inéluctable des Alliés, de la défaite certaine des Allemands », Éluard lui remet des tracts, des imprimés clandestins ; avant de lui confier, lors de la troisième, le texte de « Liberté », ces deux petits feuillets que Fouchet emporte, pliés, avec lui à Alger : le précieux et emblématique manuscrit que nous proposons ici.

Ces deux feuillets sont ceux à partir desquels a été publié pour la première fois le poème mythique dans la livraison de juin 1942 de la revue Fontaine (cf. n° 5) sous le titre significatif « Une seule pensée », seul moyen d’échapper à la censure, à un moment où Éluard lui préférait déjà « Liberté » comme en porte trace la biffure du titre initial et sa substitution par le mot-symbole.

Le texte manuscrit est rigoureusement identique au texte imprimé avec les deux mots désirs et souvenirs des antépénultième et avant-dernière strophes portés au pluriel, attestant l’antériorité de cette rédaction. Ces mots se retrouveront en effet au singulier dans la publication du poème en ouverture de la plaquette Poésie et vérité 1942.

Les chronologies répertorient 7 versions autographes du poème, et 10 publications – sous ses deux différents titres – entre 1942 et 1944.

« UNE SEULE PENSÉE » TRANSMUÉE EN « LIBERTÉ » : UN DOCUMENT EXCEPTIONNEL.

Max-Pol Fouchet, Un jour je m’en souviens, Mercure de France, 1969 ; Sabine Boucheron, Discours des origines et traces discursives : histoire d’une rature légendaire: À propos du poème Liberté de Paul Éluard. Langage et société, 2001, pp. 71-97. ; ELUARD, Pléiade, I, notes de Lucien Scheler ; François Vignale, La Revue Fontaine, Rennes, Presses Universitaires, 2012 ; « Les poètes de la revue Fontaine », Poésie 1 N°55-61, 1978.

La photographie de la chambre de Max-Pol Fouchet est conservée dans les collections de l’IMEC (fonds Max-Pol Fouchet). © D.R. © succession MPF.
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