Paris, Albin Michel, 1929.
1 vol. (120 x 185 mm) de 268 p. et 1 f. Demi-chagrin rouge à coins, dos orné de triple faux nerfs en tête et en queue, couvertures et dos conservés (reliure de l’époque).
Édition originale.
Un des 25 premiers exemplaires sur hollande (n° II).
Reporter déjà célèbre pour ses plaidoyers anticoloniaux sur l’Argentine, Albert Londres lit avec grand intérêt le Voyage au Congo d’André Gide paru en 1927 qui critique vigoureusement les abus français en Afrique équatoriale. Il s’embarque alors pour quatre mois en Afrique, en compagnie d’un dessinateur, Georges Rouquayrol dont les croquis sur le vif vont illustrer ses articles du Petit Parisien, pour un périple dans les colonies françaises d’Afrique : une enquête d’envergure sur les pratiques des colons usagers de « moteur à bananes ». Elle sera publiée entre octobre et novembre 1928, sous le titre « Quatre mois parmi nos Noirs d’Afrique », avant d’être repris en volume chez Albin Michel.
Albert Londres fait précéder son volume d’une importante préface où figure la célèbre profession de foi : « je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »
La plaie, c’est celle d’un récit accablant et virulent dont les lecteurs sortiront atterrés et qui suscitera de furieuses polémiques et des démentis violents de la part des compagnies d’exploitations minières et forestières, mais aussi du gouvernement général de l’AOF (Afrique occidentale française). Laquelle dépêcha « une contre-offensive sous la forme d’une mission composée de douze journalistes et de douze parlementaires chargés de démonter son témoignage, introduits à Dakar par le ministre des colonies en personne. Il n’en reste pas grand-chose. » (Catherine Coquery-Vidrovitch, « Terre d’ébène. La traite des Noirs, un livre d’Albert Londres », Alarmer, 3 juillet 2022). Aux menaces et aux injures, contre les assignation à procès – qui ne verront jamais le jour –, Albert Londres tient bon : « je ne retranche rien au récit qui me valut tant de noms de baptême ; au contraire, la conscience bien au calme, j’y ajoute. Ce livre en fera foi ».
Contre ceux qui font « de la civilisation à tâtons », il décrit les petits scandales de cette vaste terre, les mesquineries quotidiennes des colons, la « marchandise de traite » – les objets désuets et inutilisables que la France vend aux Africains -, l’apartheid qui ne porte pas encore son nom. Il se moque : « Finis les enthousiasmes du début, la colonisation romantique, les risques recherchés, la case dans la brousse, la conquête de l’âme nègre, la petite mousso ! On s’embarque maintenant avec sa femme, ses enfants et sa belle-mère. C’est la colonie en bigoudis ! ». Mais ça ne prête pas qu’à rire : « au siècle de l’automobile, un continent se dépeuple parce qu’il en coûte moins cher de se servir d’hommes que de machines ! Ce n’est plus de l’économie, c’est de la stupidité. »
Londres décède tragiquement le 16 mai 1932, dans l’incendie du Georges Philippar, dans le golfe d’Aden, au retour d’un voyage en Chine. Sa fille, Florise Martinet-Londres et trois journalistes de terrain, compagnons du reporter, décident de créer un prix à sa mémoire : le prix Albert-Londres, décerné pour la première fois en 1933, récompense chaque année depuis les meilleurs reporters francophones ; il est souvent considéré comme l’équivalent d’un « prix Nobel » inexistant pour le journalisme.
Rare.
Petites taches au dos de la reliure, sinon bon exemplaire de ce recueil important.
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