Paris, Éditions de la Main à plume, (3 avril) [octobre] 1942.
1 vol. (165 x 230 mm) de [16] f. Broché, sous couverture muette, à toutes grandes marges.
Édition originale.
Exemplaire d’essai, imprimé sur vergé teinté, avec la première double couverture non imprimée, sur le papier vélin blanc glacé qui recouvrira les exemplaires de tête. L’exemplaire provient des archives Noël Arnaud – l’éditeur du volume –, avec son ex-libris qui figure au verso du premier plat de couverture.
La plaquette est imprimée à la toute fin de septembre ou début octobre 1942 par le comptes des éditions La Main à plume de Noël Arnaud, sises 11 rue Dautancourt, son adresse personnelle dans le 17e arrondissement. En tout cas avant le 6, puisque l’un des exemplaires sur japon comporte une dédicace datée de ce jour et nommée « premier envoi » (exemplaire Spyridaki).
La veille, 5 octobre 1942, Éluard avait déjà adressé à Louis Parrot, en zone sud, cinq cents exemplaires de Poésie et Vérité 1942 ; d’autres sont communiqués au peintre Cicero Dias à l’ambassade du Brésil à Vichy, qui les transmet à Roland Penrose, à Londres. Parrot en fait lecture à Clermont-Ferrand ; Gabriel Audisio à Marseille : « C’était un message d’espoir qui nous venait de l’autre zone, un message semblable à celui que les prisonniers parvenaient parfois à nous transmettre de leurs cellules. La R.A.F. en lança des milliers d’exemplaires dans toute la France » (Louis Parrot, L’Intelligence en guerre, p. 99). Bientôt traduit par Penrose, le texte connaît un retentissement extraordinaire à travers le « monde libre ». Malgré le Paris occupé, malgré les risques, malgré les rafles dans l’équipe de La Main à plume qui décimera la moitié du groupe en juillet, Noël Arnaud, Paul Éluard et Lucien Cario, l’imprimeur, se donnent la peine d’établir un tirage de luxe de la plaquette, sur différents papiers, et sans doute avec les moyens du bord :
– 1 exemplaire sur japon nacré (n°1, relié par Martin ; Destribats, I, 2019) ;
– 4 sur japon impérial (n° 2, dédicacé à Hugnet, n° 3, dédicacé à Spyridaki, et deux non justifiés, non dédicacés, l’un établi par Marguerite Fay [Bibliothèque Gwenn-Aël Bolloré, Sotheby’s, 2002, n° 21], l’autre par Pierre-Lucien Martin [Bibliothèque Jean-Pierre Guillaume, 1995, n° 165, puis Houdayer, I, 2021, n° 97]) ;
– 10 exemplaires sur Hollande ;
– 20 sur vergé teinté ;
– 30 sur Ronsard gris ;
auxquels il faut ajouter un exemplaire sur vélin fort, non annoncé, justifié « exemplaire d’auteur » de la main même d’Éluard (Artcurial, 2014, n° 213). Soit 66 exemplaires en tout et pour tout, auquel il faut enfin rajouter ce 67e, « sauvé du rebut » par Arnaud. Qui aurait pu le justifier « exemplaire d’éditeur » !
Premier recueil de poèmes de résistance du poète et le dernier publié au grand jour, Poésie et Vérité 1942 est repris de Dichtung und Wahrheit de Goethe, dont a précisément paru début 1942 chez Aubier la première traduction intégrale par Pierre du Colombier. Lorsque la plaquette d’Éluard sera sous presse à l’automne, ce sera – en plus d’obvier à la nouvelle exigence faite aux imprimeurs depuis le 15 mai d’un aval indispensable pour l’obtention du papier -, l’autre raison qui conduira à l’antidater au 3 avril 1942 : en faire une réponse-manifeste aux autorités d’occupation.
À l’automne 1941, Éluard est entré en contact avec le groupe surréaliste de la Main à plume (nom rimbaldien tiré d’Une saison en enfer : « La main à plume vaut la main à charrue ») et spécialement avec le jeune Noël Arnaud, le futur éditeur de Poésie et Vérité 1942. Dès la fin octobre 1941, en effet, les deux hommes ont des projets communs, comme en portent trace les lettres et pneumatiques que le premier adresse au second et dont la Bibliothèque de l’Arsenal conserve des photocopies pour les seules années 1941-1942. « Je pense à cette phrase de Montesquieu, qui pourrait nous servir, ne serait-ce qu’en citation, lui écrit-il alors : ‘Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être un si grand génie : il ne faut pas être au-dessus des hommes ; il faut être avec eux’ », maxime présente dans les Cahiers de Montesquieu que vient de publier Bernard Grasset au printemps et dont la presse se fait l’écho.
Depuis Vézelay où il demeure avec Nusch jusqu’à la mi-mars, Éluard écrit à Arnaud depuis l’hôtel du Cheval blanc : « la vie est plus facile ici qu’à Paris. Et ce pays est très beau sous la neige. Travaillez-vous ? […] Je resterai absent le plus longtemps possible. Écrivez-moi. » À son retour à Paris, Éluard reprend contact le 9 avril avec Arnaud pour publier des morceaux choisis de « Poésie involontaire et poésie intentionnelle » dans la prochaine parution de la Main à plume (lui ayant déjà donné un texte pour Transfusion du verbe édité en décembre) ; après bien des échanges et des difficultés, Poésie involontaire et Poésie intentionnelle paraîtra en juillet.
Ce qui occupe bientôt Éluard et Arnaud, sans doute dès le mois de mai lorsque le poète s’apprête à confier à Fouchet le manuscrit de « Liberté » / « Une seule pensée », c’est la publication de Poésie et Vérité 1942. Les deux hommes y travaillent, sans l’évoquer dans leurs brefs échanges épistolaires qui exigent parfois la discrétion d’un seul à seul : « voulez-vous me téléphoner ce soir tard ou demain matin très tôt. Il faudrait que je vous voie dans la journée », lui écrit le poète le 12 juin sur une carte pneumatique. De graves difficultés entravent en juillet les activités de la Main à plume, qui retardent l’exécution du projet, au point qu’Éluard songe parallèlement à une autre édition de Poésie et Vérité 1942 en zone non occupée ou à l’étranger comme il s’en ouvre à Parrot fin août : « Ce serait bien à Poésie 42, à cause du titre, ou aux éditions Charlot ? Sinon, en Suisse ? l’éditeur de Jouve ? ou à mes frais » (Scheler, p. 152).
Bel exemplaire, de formidable provenance.
30827