Poésie et Vérité 1942

Paul Éluard

Poésie et Vérité 1942

Manuscrit autographe.

Exemplaire José Corti, auquel on joint l’édition originale en volume, dédicacée à José Corti.

L’ensemble est conservé dans un coffret de Renaud Vernier.

s.l.n.d. [Paris, Vézelay et autres lieux, 1941-1942].

MANUSCRIT AUTOGRAPHE COMPLET DU RECUEIL PUBLIÉ À L’AUTOMNE 1942.

IL CONTIENT SEIZE POÈMES ET S’OUVRE PAR LE PLUS CÉLÈBRE D’ENTRE EUX : LIBERTÉ.

Suivent les 7 poèmes de Sur les pentes inférieures, les 7 autres précédemment parus sous le titre Ecris plus vite et enfin les sept parties du dernier poème, La Dernière nuit.

Sur les pentes inférieures avait paru séparément, dans une édition préfacée par Jean Paulhan, en 1941, et La Dernière nuit chez les Zervos, aux Cahiers d’Art , au début de l’année 1942. Tous les autres paraîtront au cours de cette même 1942 : dans la revue Fontaine pour “Liberté”, dans la revue Messages pour les autres.

Le manuscrit est rassemblé sous une chemise en double page, titrée au premier feuillet  : Poésie et Vérité. 1942, par Paul Éluard, avec indication en marge inférieure des sections du recueil  : « Liberté. Sur les pentes inférieures. Ecris plus vite. Dimanche après-midi. La dernière nuit ». C’est dans cet ordre que les poèmes paraîtront dans le recueil.

POÉSIE ET VÉRITÉ 1942 CONSTITUE LE VÉRITABLE RECUEIL POÉTIQUE DE RÉSISTANCE D’ÉLUARD, UN AN AVANT L’HONNEUR DES POÈTES ET DEUX ANS AVANT AU RENDEZ-VOUS ALLEMAND.

Sur les pentes inférieures rassemble les premiers écrits d’Éluard “depuis que la France est sous l’occupation allemande. Ils datent de l’hiver 1940-1941, pendant lequel, écrira-t-il,’nous restâmes, à cause du froid, un mois sans ouvrir les volets'”. Ce sont les premiers poèmes à évoquer l’occupant, la solitude, mais aussi la fraternité naissante des hommes en guerre. Le couple Éluard est rentré à Paris à la fin du mois de septembre 1941, un mois après la première rafle, dans le XIe arrondissement. Éluard souhaite imprimer ses poèmes et se tourne vers un discret mais reconnu petit artisan : l’imprimerie Beresniak, aux éditions fictives de “La Peau de chagrin”, avec une préface de Jean Paulhan. Picasso l’illustre en tête d’un portrait inédit, que l’artiste réalisa spécialement pour cette publication, lors d’une rencontre entre les deux hommes, le 6 octobre 1941. Le quatrième de couverture contient une note de Francis Dumont, entièrement consacrée aux publications de Georges Hugnet : Non vouloir,  “Pablo Picasso” et “Marcel Duchamp”. Le tirage reste indéterminé, avec 36 exemplaires de tête imprimés sur papier japon. Ce sera le dernier titre publié par Beresniak pendant la guerre : elle sera, pendant l’hiver 1941, abandonnée après une descente de la police française, sur ordre de l’occupant et alors que les règles contre la population juive se durcissent. Son fondateur, Abraham Lazare Beresniak, son fils Léon, le gérant de la maison, et deux frères de celui-ci, Maurice et Wolf, également liés à l’imprimerie, seront arrêtés quelques mois plus tard, puis déportés et assassinés dans les camps d’extermination. Estampillée « entreprise juive », l’imprimerie fut spoliée, et ce n’est qu’après de longues démarches que Serge Beresniak, un des survivants de la fratrie, put la récupérer et la gérer jusqu’à sa fermeture, en 1975.

Cette publication a attiré l’attention des allemands et des autorités de Vichy : après un réveillon en compagnie de Georges Hugnet, Paul et Nusch décident de quitter Paris  pour se rendre , dans un semi-clandestinité, chez les Zervos, au hameau de la Goulotte, près de Vézelay. Ils y resteront jusqu’au 15 mars et c’est pendant ce trimestre qu’est rédigé La Dernière nuit. Ce recueil, rare, sera imprimé en tout et pour tout à 65 exemplaires, enrichi d’une eau-forte d’André Laurens. Éluard y précise cette fois son hostilité face à l’occupant, et fustige le peuple allemand, complice à ses yeux. Le poème est publié alors qu’à Paris Vercors, Jean Lescure et Jérôme Lindon publient Le Silence de la mer.

Ce petit monde meurtrier

Confonde les morts et les vivants

Blanchit la boue, gracie les traîtres,

Transforme le paroles en bruit.

Merci minuit douze fusils

Rendent la paix à l’innocent

Et c’est aux foules de comprendre

La faiblesse des meurtriers

Éluard passe ensuite par Saint-Benoît sur Loire, auprès de Max Jacob, avant de regagner Paris. C’est là qu’il y rencontrera pour la première fois Max-Pol Fouchet, à qui il va confier le texte de “Liberté”, pour sa toute première publication à venir, qui sera effective début juin, au moment même où les Zervos terminent d’imprimer l’édition de La Dernière nuit. Le poème est paraît immédiatement en revue, dans  Suisse contemporaine, transmis par Louis Parrot.

A Paris, la répression s’est encore accentuée : depuis mai, le port de l’étoile jaune est décrétée, les premières déportations vont avoir lieu et la main mise allemande sur les activités économiques et industrielle est totale.  Décision est prise de résister, encore et encore, et de publier, encore et encore. A Paris, Éluard revoit Noël Arnaud, rencontré l’hiver précédent grâce à Nusch, lors de la publication de Marines et de Transfusion du verbe ; ils décident de publier, aux éditions de la Main à plume, La Dernière nuit et ” quelques autres poèmes dont le sens ne peut guère laisser de doutes sur le but poursuivi : retrouver, pour nuire à l’occupant, la liberté d’expression. Et partout en France des voix se répondent, qui chantent pour couvrir le lourd murmure de la bête, pour que les vivants triomphent, pour que la honte disparaissent (…) Mais il fallait bien que la poésie prît le maquis. Elle ne peut trop longtemps jouer sans risque sur le mots”.

Depuis le 15 mai, un aval supplémentaire pour l’obtention de papier était exigé ; on décidera donc d’antidater le recueil, dont le titre Poésie et vérité est repris du Dichtung und Wahrheit de Goethe, à la date du 3 avril 1943. Elle sera en fait imprimée à la fin du mois de septembre. Aux Sur les pentes inférieures et  La Dernière nuit, Éluard décide d’ajouter ” Liberté “, qu’il place en tête, et les autres poèmes de résistance rédigés à Pars et Vézelay, entre l’été 1941 et avril 1942, qui n’avaient parus que dans la revue Messages des Zervos, aux Cahiers d’Art (1942, n° II, « Dramatique de l’Espoir »), sous le titre générique Ecris plus vite.

Ainsi se trouvent réunis les principaux poèmes d’Eluard des années 1941 et 1942, les années charnières qui voient Paul Eluard et ses amis entrer en résistance littéraire. Dès le 5 octobre, Eluard adressera à Louis Parrot, en zone sud, cinq cents exemplaires du recueil ; d’autres partent vers l’ambassade du Brésil à Cichy, qui les transmet à Roland Penrose, à Londres. Louis Parrot en fait lecture à Clermont-Ferrand, Gabriel Audisio à Marseille : ” c’était un message d’espoiir qui nous venait de l’autre zone, un message semblable à celui que les prisonniers parvenaient parfois à nous transmettre de leurs cellules. La RAF en lança des milliers d’exemplaires dans toute la France. Le poème Liberté, traduit aujourd’hui dans plus de dix langues, allait servir de thème à Francis Poulenc ” (Louis Parrot, op. cité). Le recueil est traduit immédiatement par Penrose, et cette traduction ne fait qu’accentuer le succès et le retentissement incroyables du texte à travers le monde libre. Parrot, inquiet pour Eluard, dont le nom apparaît sur la couverture du recueil, l’enjoint de se réfugier en Suisse. Éluard refuse. Il demande l’hospitalité de José Corti. Mais celui-ci refuse : ” trop dangereux. Je suis surveillé “. L’éditeur de la rue de Médicis est en effet soupçonné d’éditer des tracts et publications clandestines – on recherche activement qui peuvent être les éditeurs qui se cachent derrières les Éditions de Minuit. C’est aussi son fils, Dominique, qui fait l’objet de toutes les attentions.

Éluard rencontre par hasard le dissident yougoslva Monny de Boully, qui le recommande au libraire et éditeur Lucien Scheler, qui réside rue de Tournon. Ce dernier les accueille à partir de la fin du mois d’octobre. Cette rencontre est déterminante et marquera l’entrée réelle d’Éluard dans les réseaux de Résistance. Son premier texte clandestin sera Courage, publié en janvier 1943, dans les Lettres françaises.

– « LIBERTÉ ».

2 feuillets ( x mm),  à l’encre noire sur vergé fort, signé en fin du second ” Paul Éluard “. Poème complet de ses 21 quatrains.

Il s’agit d’une des sept seules versions autographes connues du poème “Liberté”. Elle se place après le manuscrit princeps (Musée d’art et d’Histoire de Saint-Denis), après celui qui a servi à Max-Pol Fouchet pour la parution en juin 1942 dans la revue Fontaine) et sans doute après celui conservé au Musée de la Résistance de Champigny, présenté par Noël Arnaud comme celui ayant été utilisé sur le marbre de l’imprimerie Cairo pour l’impression du recueil, à l’automne 1942.

– « SUR LES PENTES INFÉRIEURES ».

9 feuillets ( x mm), à l’encre noire, sur un papier vergé ancien. 1 feuillet de titre, suivi par 7 poèmes manuscrits :

– Aussi bas que le silence ; [non titré dans le recueil]

– Première marche. La voix d’un autre ;

– Le rôle des femmes ;

– Patience ;

– Un feu sans tache ; [sur deux feuillets]

– Bientôt ; La halte des heures.

– Dimanche après-midi ; ce dernier est un manuscrit de travail, sur un feuillet quadrillé, avec plusieurs ratures.

* un deuxième vers, inédit, a été rayé : ” S’enlaçaient les mers interdites les galops défendus de chevaux maigres, les rues “, devenus, in fine

« s’enlaçaient les cieux implacables, les mers interdites, les terres stériles / s’enlaçaient les galops défendus des chevaux maigres, les rues où les voitures ne passaient plus,…) galops inlassables de chevaux maigres ». Suivent cinq autres corrections, repentirs et inversions.

La manuscrit autographe, en premier jet et de travail, avait été conservé par Paul Éluard, pour l’exemplaire n° 1 du recueil, publié en 1941 grâce à Jean Paulhan. Il le fit relier dans son exemplaires, que l’on retrouve à la vente Yves Breton (1954, n° 138), puis dans la collection Daniel Filipacchi (Christie’s, 2004, n° 98), puis chez Simone [Breton]-Collinet (Sotheby’s, 2008, n° 222).

On connaît deux autres manuscrits, isolés, des sept poèmes. L’un est enrichi d’une copie, par Eluard, de la préface de Paulhan. L’ensemble est relié par Gauché. L’autre, dit manuscrit Blaizot-Parrot, est cité dans La Pléiade (p. 1097).

– « MORALITÉ », biffée pour « ECRIS PLUS VITE » ; ces titres sont portés sur une double page. Ces deux titres n’ont pas été retenus pour le recueil, mais le second a bien été utilisé par Éluard quelques mois plus tôt pour une édition de ces poèmes, dans la revue Messages  (cahier II).  Tous les poèmes ici présents l’étaient dans la revue.

7 feuillets ( x mm) sur papier filigrané « Japon Aussedat » pour les 7 poèmes :

– Douter du crime (avec la correction complète du premier tercet) ;

– Couvre-feu ; (manuscrit A.J. Gonon, daté du 22 février 1942 à Vézelay ; un autre version autographe figure dans un exemplaire de Poésie et vérité 1942 (exemplaire 10 sur hollande, Librairie Walden, mai 2021) ;

– Dressé par la famine ;

– Un loup (avec une correction) ;

– Un loup ;

– Du dehors ;

– Du dedans (initialement titré Retraite), avec deux corrections.

– « LA DERNIÈRE NUIT »; titré en tête du poème, qui comprend sept parties, en 7 feuillets ( x mm) ; 6 sur papier « Japon Aussedat » et 1 sur papier quadrillé (pour le poème V).

Ce long poème de protestation, divisé en sept sections, fut d’abord édité clandestinement aux Cahiers d’Art, en 1942, par Christian Zervos, sous forme d’une plaquette imprimée à 65 exemplaires.  Le manuscrit autographe figure également dans Yves Breton – Simone Breton, déjà cité ; on en trouve une autre copie, dans la bibliothèque Loliée (Binoche RG et Sotheby’s, 2016, n° 303), aujourd’hui contenu dans un exemplaire de l’édition originale relié par Renaud Vernier ; enfin, une troisième version se trouve dans le recueil Cramer du Livre ouvert, III.

On connaît une autre ensemble manuscrit – incomplet – des poèmes de Poésie et vérité 1942 : l’ensemble contient La Dernière nuit (les VI parties) et Ecris plus vite (les 7 poèmes). Il est donc incomplet des deux premières pièces : Liberté et Sur les pentes inférieures mais contient par ailleurs des épreuves corrigées, celles de l’imprimerie Cairo. Il n’est pas impossible que ce jeu (Osenat, 7 avril 2019, n° 105) soir celui de Noël Arnaud, lequel contenait à l’origine le manuscrit de Liberté (celui aujourd’hui à Champigny) ; l’autre manuscrit manquant (celui de Sur les pentes inférieures)

EXCEPTIONNEL ENSEMBLE dont la présence dans la bibliothèque de José Corti est doublement et fortement symbolique : symbole de l’engagement d’Eluard et Corti dans la Résistance et symbole de leur amitié.

Rien d’étonnant de retrouver en possession de l’éditeur José Corti (1895-1984) un rare manuscrit de la main de Paul Éluard : les deux hommes étaient profondément unis par une amitié sans faille, mais aussi par un même engagement dans la Résistance. Lors de cette dernière partie de la dispersion de la bibliothèque de l’éditeur des surréalistes, qui publia notamment Louis Aragon, André Breton, René Char entre autres, sera ainsi proposé cet ensemble autographe du recueil Poésie et vérité.

Concernant le seul poème Liberté :

En janvier 1942, Paul Éluard, quitte Paris pour s’installer non loin de Vézelay, dans une résidence d’amis stratégiquement située à proximité du maquis, aux portes du Morvan. Il a passé les années précédentes à s’insurger contre les régimes fascisants, comme l’Espagne de Franco, et bien qu’exclu du Parti communiste, il entend bien continuer la lutte. Son dernier recueil publié date de 1941, avec Le Livre ouvert. Depuis, il n’a composé, alors qu’il se trouve à Mignières, dans le Loiret, mobilisé dans l’intendance de l’armée, que Blason des fleurs et des fruits, sous forme d’une copie autographe à 15 exemplaires. A Paris, dans le même temps, est composé un autre hymne de la Résistance : c’est en février 1942 que Jean Bruller, sous le pseudonyme de Vercors, publie Le Silence de la mer.

Dès l’été 1941, Paul Éluard semble avoir conçu, sinon l’idée, quelques strophes du futur Liberté, qui semble avoir été, en première intention, un poème d’amour pour Nusch. On lira avec attention l’étude de Sabine Boucheron sur le sujet. Quoi qu’il en soit, c’est au sortir de l’hiver 1942 que le poète met la touche finale à son hymne de résistant.

HISTORIQUE DES PARUTIONS :

Ce poème paraît, pour la première fois fois, dans le n° 22 de la revue Fontaine, en juin 1942. Visée et autorisée par la censure à Alger, son titre est « Une Seule pensée », alors qu’Éluard l’a, à ce moment, déjà renommé en “Liberté”, ainsi qu’en témoigne ce manuscrit qu’il a confié à Max-Pol Fouchet pour que celui-ci en donne édition dans sa revue. Grâce à ce titre, l’éditeur espère – et va – tromper la censure (cf. Un jour, je m’en souviens, p. 89-90 et « Les poètes de la revue Fontaine », Poésie 1 N°55-61, 1978). Le texte qui va paraître est rigoureusement celui du manuscrit confié par Éluard, avec les deux mots désirs et souvenirs au pluriel (strophes 19 et 20).

Les deux dernières strophes, seules, paraissent ensuite après l’été dans Candide 963, 2 sept. 1942, p. 3, puis, toujours sous le titre ” Une seule pensée ” et pour tout le poème, à Londres dans le n° 23 de La France libre du15 septembre 1942. On joint ce numéro de Candide ; avec Fontaine, ces deux parutions forment les seules parutions du poème depuis sa rédaction et sa seule diffusion, l’une à Alger, l’autre en France.

Vient ensuite, et seulement, la première édition en volume (antidatée d’avril 1942) : le poème est intégré dans un recueil intitulé Poésie et vérité 1942, édité par Les Éditions de La Main à plume de Noël Arnaud.  Un tirage numéroté et limité à 65 exemplaires est effectué ; le poème, pour la première fois, est sous le titre de ” Liberté “. Dans cette version, un des deux mots (désirs) est au pluriel et l’autre au singulier (souvenir). Outre ce poème, Éluard y ajoute Sur les pentes inférieures, La Dernière nuit et quelques autres poèmes de résistance, rédigés entre 1941 et 1942. On retrouve ensuite le poème, à nouveau sous le titre ” Une seule pensée “, aux Cahiers du Rhône (Neuchâtel, La Baconnière), janvier 1943, puis dans la Revue du monde libre (Londres, n° 4, avril 1943, avec les deux mots au pluriel, vraisemblablement repris de l’édition Fontaine. C’est cette parution qui entraîne celle des dizaines de milliers d’exemplaires largués par la RAF au dessus des villes et campagnes françaises. Le texte poursuit sa reconnaissance mondiale en étant ensuite publié dans France Amérique (New York, 19 décembre 1943). Retour en France ensuite, où le poème, devenu hymne de la Résistance, est publié à Cahors aux Éditions des Francs-tireurs partisans français du Lot, à la fin de l’année 1944.

Après guerre, il sera intégré au recueil Au rendez-vous allemand.

VERSIONS AUTOGRAPHES  :

sept versions sont connues.

Trois versions sont entre les mains d’institutions publiques :

– Manuscrit Dominique Éluard, de premier jet, conservé au musée de Saint-Denis, offert en 1955, par la dernière épouse du poète ;

– Manuscrit Noël Arnaud, vendu  par ce dernier en 2002 au Musée de la Résistance nationale, à Champigny-sur-Marne. Il s’agit du manuscrit dont Noël Arnaud revendiquait – à tort – comme étant le manuscrit princeps et le premier sur lequel les deux titres co-existaient ; de son témoignage, il s’agit de celui qui aurait servi à la composition à l’imprimerie Lucien Cario, pour la publication du recueil Poésie et vérité 1942, en septembre-octobre 1942 ;

– Manuscrit Jacqueline Trutat, recopie postérieure, corrigée et mise au nette, avec le titre initial “Une seule pensée”, (Donation par Jacqueline Trutat, 2008, Bibliothèque nationale de France),

Quatre versions sont en mains privées :

– Manuscrit Aristophil, du nom de sa dernière provenance avérée, soigneusement composée sur cinq feuillets de quatre strophes chacun. Le titre est celui de  “Liberté”, dans la version corrigée des pluriels, conforme à l’édition imprimée du recueil. Il fut présenté pour la première fois en 1991 (Hôtel Drouot, étude Laurin-Guilloux-Buffetaud, lot n° 42), puis en 2009 (Cornette de Saint Cyr, 7 juillet, n° 261). Invendu, il repasse quelques mois plus tard chez Sotheby’s, où il fut acquis par la société Aristophil : on le retrouve dans une des ventes de l’année 2018 (Aristophil, V, Drouot, juin 2018, n° 832).

– Manuscrit Cramer, qui est sans doute une version conservée par Paul Éluard après sa rencontre avec Max-Pol Fouchet. Le poète ne pouvait que difficilement garder le manuscrip princeps comme seule recopie de son poème, et c’est vraisemblablement celle-ci qu’il conserve, avec d’autres poèmes, comme archives et dans le but de constituer un Livre ouvert III, suite des deux premiers donnés en 1940 et 1942, chez ses Zervos, aux Cahiers d’art. Il existe un manuscrit composite de ce recueil jamais publié, qui contient 36 poèmes rédigés entre 1942 et 1944, dont une copie de Liberté. Le poème s’y trouve sous ce seul nom, et avec les deux pluriels.  L’ensemble fut offert par Paul Éluard à l’éditeur suisse Gérard Cramer (Christies, novembre 2013, n° 106).

– Manuscrit Corti, précieux, puisqu’il fait partie d’un ensemble autographe complet du recueil Poésie et vérité 1942, lequel rassemble, outre , outre Liberté, tous les autres poèmes du recueil. Conforme à l’édition imprimée, le jeu contient une version autographe du poème, sous le titre seul de Liberté, et les deux pluriel corrigés. L’ensemble fut, depuis la guerre ou juste après, propriété de l’éditeur José Corti, avec qui les liens furent étroits, précoces et constants, depuis les années 30. Cet ensemble unique (il n’existe pas d’autres manuscrit complet, sinon composite, de Poésie et vérité 1942) s’est révélé lors de la vente des archives José Corti, en juin 2002. Éluard et Corti collaborèrent au sortir de la guerre pour la publication de Rêves d’encre, avec Gaston Bachelard, Julien Gracq et René Char.

– Manuscrit Max-Pol Fouchet qui servit pour la première publication du poème (Fontaine, juin 1942), avec les deux titres et les deux pluriels. Ce manuscrit, que l’on pourrait qualifier de premier manuscrit au propre, est celui qui est à l’origine de toutes les publications qui suivront, et de toutes les autres versions autographes connues – après le manuscrit de travail conservé à Saint-Denis.

La rencontre entre les deux hommes date du printemps 1942, à Paris, à l’occasion du seul voyage en métropole de Fouchet cette année là. : le séjour a lieu du 7 au 22 mai. Fouchet a déjà publié, par deux fois, des poèmes d’Éluard, transmis par Louis Parrot : “ce dernier se trouve à Clermont-Ferrand, alors que sa femme est demeurée à Paris, où elle est en contact quotidien avec Nusch et Paul Éluard, même si la transmission des textes en raison du contrôle postal instauré entre les deux zones rend les choses particulièrement difficile à partir du début de l’année 1941. Le circuit d’acheminement des textes de Paul Éluard vers Alger se met donc en place par l’intermédiaire de Louis et Denyse Parrot, qui endossent ainsi le rôle d’agents de liaisons. Les premiers ensemble de poèmes parvient à la rédaction de Fontaine en août 1941” (François Vignale, La revue Fontaine, p. 137). Dans leur immense majorité, ce sont des poèmes qui formeront le futur recueil Poésie et Vérité 1942. Paul Éluard apparaît pour la première fois au sommaire de Fontaine dans le n° 15 (septembre 1941), avec “Le Blason des arbres”, puis dans le n° 17 (janvier 1942), avec ” Sur les pentes inférieures”. La prochaine parution sera celle de Liberté. Suivront ensuite celles des n° 33 et 35, en 1944, puis les n° 41, 45 et 47, en 1945. En 1942. Max-Pol Fouchet lancera par ailleurs la collection Les relais de Fontaine : cinq titres seront publiés, mais un seul la première année : Paul Éluard, pour la deuxième édition de Poésie et vérité…

Les premières lettres entre Eluard et Fouchet datent du printemps 1940, alors que le poète est à Mignières, dans le Loiret, où il est mobilisé dnas l’intendance comme lieutenant : ” Cher Monsieur, je ne vous oublie pas. Fontaine m’est utile, surtout en ce moment, et je vous admire de faire un tel effort. J’écris en ce moment de très petits poèmes, que je vous destine, mais je les voudrais aussi nombreux que possible…” (Paiul Éluard, lettre à Louis Parrot, 29 mai 1940).

” Je voulais rencontrer, avant tout autre, Paul Éluard. Je l’admirais et savais quel était son combat. Il représentait pour moi, à en juger par ses poèmes, une Résistance non pas limitée à l’événement  immédiat (î) mais consciente de l’avenir des hommes “. Une première rencontre a lieu chez le poète, suivi d’une deuxième, dans un restaurant de la rue de Grenelle. Eluard lui confie des tracts, des imprimés clandestins. La troisième est celle où Éluard lui confie ce texte, intitulé Une seule pensée : ” je donnai à Paul l’assurance que je publierais ce poème dans Fontaine, et même en tête de la revue, en éditorial. C’est impossible, me répondit-il, jamais la censure ne permettrait l’impression d’un tel texte (…). C’était pour moi comme un défi “. Fouchet regagne alors Alger, le 23 mai, et fais composer le texte, qu’il soumet au censeur français. ” Un censeur allemand se tenait à ses côtés, mais heureusement ne comprenait guère notre langue. le français commença de lire le poème. Au bout d’un dizaine de quatrains, il me regarda, l’air excédé : ” Ah, je vois, ce qu’il en est, c’est un poème d’amour,…vous les poètes, vous répétez toujours la même chose !” Je ne le détrompai pas. Il haussa les épaules, lança un clin d’oeil conquin à l’allemand et apposa le cachet d’autorisation sur les épreuves, sans poursuivre sa lecture jusqu’au dernier quatrain. Je sortis de son bureau, le cœur battant. Un miracle, un miracle, me répétais-je. Ainsi Liberté ou plutôt Une seule pensée d’Éluard put paraître dans Fontaine, en éditorial, et non pas clandestinement, ce qui aurait réduit son audience, mais en pleine lumière “. (Max-Pol Fouchet, in Un jour je m’en souviens, p. 89-90).

Dans le même temps à Paris, l’évidence d’une publication plus générale est évoquée par Éluard ; dans l’appendice de Au rendez-vous allemand, il en rappelle les circonstances : ” en mai 1942, Noël Arnaud prend la responsabilité de publier (…) sous le titre Poésie et vérité 1942, La Dernière nuit et quelques autres autres poèmes dont le sens ne peut guère laisser de doute sur le but poursuivi : retrouver, pour nuire à l’occupant, la liberté d’expression”. L’édition, le temps d’être composée et devant les difficultés des uns et des autres à se voir, ne verra le jour que fin septembre 1942 – avec un achevé d’imprimer antidaté du 3 avril. Le poème Une seule pensée – Liberté semble lui avoir transité par l’intermédiaire de Louis Parrot, “par des voies détournées, pour le transmettre en Suisse et en Algérie. Il fut d’abord publié par Fontaine” (Lucien Scheler, Paul Eluard, Pléaide, p. 1608). Si Parrot est bel et bien transmis les manuscrits précédents, (ceux publiés en septembre 1941 et janvier 1942), le manuscrit de Liberté semble bel et bien avoir remis en main propre, directement, à Max-Pol Fouchet qui, sans attendre le met à la composition, avec l’histoire que l’on sait de “l’examen” du visa de censure. Les deux feuillets autographes, quand à eux, que Fouchet doit déjà considérer comme historiques, sont encadrés et placés autour de la photographie dédicacée que Paul Éluard lui a fait parvenir avec ce mot : ” pour Max-Pol Fouchet, au nom de tout ce qui nous unit et nous libère. Paul Éluard “.

Le poème aura été quant à lui rédigé près d’un avant qu’il ne soit livré à Fouchet, ” pendant l’été de 1941″ précise Eluard. ” En composant les premières strophes […] je pensais révéler pour conclure le nom de la femme que j’aimais, à qui ce poème était destiné. Mais je me suis vite aperçu que le seul mot que j’avais en tête était le mot liberté. Ainsi, la femme que j’aimais incarnait un désir plus grand qu’elle. Je la confondais avec mon aspiration la plus sublime (…)”. La suite de cette rédaction se passe à Vézelay, chez les Zervos, en présence de Georges Bataille. C’est là que le poème prend sa forme, et son nom définitif – ou du moins sa double appellation.

Il est vraisemblable qu’Éluard n’aura conservé, depuis cette rédaction, que le brouillon princeps (celui conservé à Saint-Denis), et ce premier manuscrit mis au propre (qui contient néanmoins un vers raturé), qui servira de mètre-étalon à toutes les autres versions.

FOUCHET (Max-Pol), Un jour je m’en souviens, Mercure de France, 1969 ; Boucheron, S. Discours des origines et traces discursives : histoire d’une rature légendaire: À propos du poème Liberté de Paul Éluard. Langage et société, 2001, pp. 71-97. ; ELUARD, Pléiade, I, notes de Lucien Scheler ; VIGNALE (François), La Revue Fontaine, Rennes, Presses Universitaires, 2012. La photographie de la chambre de Max-Pol Fouchet n’est pas à vendre et est conservée dans les collections de l’IMEC (fonds Max-Pol Fouchet). © D.R. © succession MPF) ;  Imprimé chez Beresniak : Le XXe siècle entre les lignes, dir. Natalia Krynicka, préf. Anne Goscinny, Paris, éd. Bibliothèque Medem, 2019 ; Il fut « imprimé et diffusé en plein Paris, sans visa de censure, et où paraît pour la première fois le poème Liberté, véritable credo de la Résistance » (Vignes, “L’Intelligence en guerre”, 78) ;

Rien d’étonnant de retrouver en possession de l’éditeur José Corti (1895-1984) un rare manuscrit de la main de Paul Éluard : les deux hommes étaient profondément unis par une amitié sans faille, mais aussi par un même engagement dans la Résistance. Lors de cette dernière partie de la dispersion de la bibliothèque de l’éditeur des surréalistes, qui publia notamment Louis Aragon, André Breton, René Char entre autres, sera ainsi proposé cet ensemble autographe du recueil Poésie et vérité. Daté de 1942, il se présente tout d’abord avec une double page de titre signée à l’encre par Éluard ; puis les dix-sept poèmes sont répartis sur des feuillets de formats divers, allant de l’in-12° à l’in-4°. On y retrouve bien sûr le célèbre «Liberté» – deux feuillets in-4° à l’encre noire sur vergé fort -, complet de ses vingt et un quatrains et présentant deux ratures. Seulement trois exemplaires manuscrits de ce poème étaient connus jusqu’alors, ce qui en fait le quatrième. Selon l’expert Sébastien Guillen, celui-ci « semble se situer au regard des ratures entre les deux premiers, conservés dans des institutions (musées d’art et d’histoire, à Saint-Denis, et de la Résistance à Champigny), et celui présenté le 7 juillet 2009 à l’Hôtel Drouot chez Millon – Cornette de Saint Cyr », considéré comme la version définitive. Éluard composa ce texte en 1941, qui fut d’abord publié à Alger en juin 1942, dans la revue Fontaine dirigée par Max-Pol Fouchet, sous le titre «Une seule pensée», puis en septembre de la même année sous le nom de «Liberté» dans le recueil Poésie et Vérité édité à Paris, à l’instigation de Noël Arnaud, par De la Main à la plume. 

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