S.l.n.d. [circa 1951].
9 pages 1/2 en 10 f. (210 x 270 mm) à l’encre et au stylo bille sur papier « Montévrain – extra strong ».
Manuscrit autographe.
Le dernier texte de Paul Éluard pour son ami Picasso.
Pablo Picasso et Paul Éluard (1895-1952) n’étaient pas seulement de grands artistes : ils étaient aussi de grands amis qui se connaissaient depuis 1916, mais dont l’amitié débuta réellement en 1935, au moment où s’étiole celle liant le peintre à André Breton.
Quinze ans plus tard, de cette amitié renforcée et jamais démentie, Paul Éluard donne à Londres, le 18 octobre 1951, une lecture-conférence en l’honneur de son grand ami, qui va fêter une semaine plus tard, le 25 octobre, ses soixante-dix ans : «J’imagine facilement que l’on vient de publier le cent soixante et onze millième article et le mille deux centième livre sur Picasso, que l’on en est à sa millionième photographie et que son nom est devenu un mot commun […]. On n’a jamais parlé d’un peintre vivant comme on parle de Picasso. Et pourtant, cet homme de 70 ans peut être considéré comme le plus jeune artiste de son temps. Commencée il y a plus d’un demi-siècle, son œuvre continue à se montrer la plus vivace du monde, elle continue à surprendre, à indigner, et, heureusement aussi, à susciter l’admiration et l’enthousiasme. […] La vérité sur laquelle Picasso s’appuie, c’est sa propre jeunesse. […] Et, aujourd’hui, nous ne commémorons pas Picasso, nous l’inaugurons. Sa force sera grande, son génie va s’épanouir. Demain ne réalisera pas la promesse d’hier, mais la promesse du lendemain suivant. Ce perpétuel enfant, ce nouveau Faust et ce nouveau Don Juan se promet de séduire, de méduser […] Que fait Picasso aujourd’hui? Une chèvre. Pour ses côtes, il a pris des branches, pour ses mamelles deux marmites, pour ses cornes, un guidon de bicyclette. Et la chèvre commence à vivre. Et Picasso est né ».
La complicité fraternelle entre le peintre et le poète, amitié qu’Éluard qualifie de « sublime » dans une dédicace à Picasso, ne prend fin qu’au décès du poète le 18 novembre 1952 : un an et un mois jour pour jour après cette conférence.
Le manuscrit, à l’encre bleu nuit ou au stylo bleu, présente de nombreuses et importantes ratures et corrections. Un important fragment en a été publié, sous le titre « Le plus jeune artiste du monde », à la une du numéro des Lettres françaises du 27 octobre 1951, lui aussi consacré au peintre catalan.
Ce sera le dernier texte d’Éluard consacré au peintre : les deux hommes venaient par ailleurs d’achever l’édition du Visage de la paix, un recueil de 29 poèmes illustré d’une lithographie de Picasso. Éluard lui avait consacré, dès 1944, un premier hommage aux Éditions des trois collines, à Genève : À Pablo Picasso, pour la collection « Les Grands peintres et leurs amis ». Le poète avait alors réuni tous les textes écrits sur son ami, depuis la conférence « Je parle de ce qui est bien » : « En janvier 1936, à Barcelone, lors de l’exposition organisée par ADLAN [Amics de l’Art Nou] en hommage à Picasso (qui n’avait jamais été exposé en Espagne depuis 1900), Éluard joue le rôle d’un ambassadeur itinérant du peintre ; il donne une conférence dans cette ville qui est radiodiffusée, avant d’aller porter la bonne parole à Madrid. » (Emmanuel Guigon, directeur du musée Picasso de Barcelone, dans la préface au catalogue Picasso – Éluard, 2020)
L’artiste traversait alors une grave crise : séparé d’Olga, il s’est arrêté de peindre et s’est mis à écrire des poèmes. Entre les deux hommes, tout converge : un même goût pour la poésie, une même vision de la création artistique, et seize années durant, jusqu’à la mort du poète, leur amitié va se poursuivre, sans ombre ni faille, engendrant des oeuvres communes comme Les Yeux fertiles, le premier de leurs livres paru en 1936 où les dessins de l’un répondent aux poèmes de l’autre.
Ancienne collection Jacques Millot (Paris, Bibliothèque du Professeur Millot, 15 juin 1991, Cat., n° 66).
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