Mission de reconnaissance

Mission de reconnaissance

S.l.n.d. [circa 1940].
1 f. (210 x 270 mm), à l’encre bleu foncé sur papier Voiron parcheminé.

 

Merveilleux dessin autographe d’Antoine de Saint-Exupéry, à mi-chemin de sa propre représentation – celle de l’aviateur en mission – et du personnage du Petit Prince.

Le dessin représente un personnage ailé, vêtu d’une veste avec un fort nœud papillon, une bouche et des sourcils très marqués : un personnage à mi-chemin entre le futur petit Prince, et l’aviateur au pays des rêves, debout sur son nuage et sous un soleil rayonnant. Il survole la terre et un paysage de campagne : maisons, arbres et prés, avec… deux moutons – deux béliers.

En marge, légende autographe : « Mission de reconnaissance ».

On connaît plusieurs dessins de Saint-Exupéry reproduisant, avec des variations, cette scène de « mission de reconnaissance », la plupart sur papier libre. L’un a été offert à Pierre Chassin, l’un des deux fils du colonel Chassin, monté en tête de l’un des trois exemplaires connus du Petit Prince portant une dédicace d’Antoine de Saint-Exupéry, exposé au musée des Arts décoratifs lors de l’exposition de 2022.

Pour mémoire, rappelons que Saint-Exupéry ne profita guère des échos de la parution de son livre puisqu’il quitte les États-Unis le 20 avril pour Alger, où il suit un stage d’entraînement à Lagouhat avant de rejoindre le groupe 2/33 à Oudja au Maroc, où il est promu commandant en juin 1943. Mais plusieurs incidents le placent « en réserve de commandement » dès août et, étant donné son âge et son mauvais état de santé général, il revient à Alger et habite chez son ami le docteur Pélissier, supportant de plus en plus difficilement son inaction forcée. Il peut enfin reprendre le service au printemps 1944, et effectue une première mission le 21 juillet au départ de la Marsa en Tunisie.

Il ne reviendra jamais aux États-Unis : le 31 juillet 1944, dans une ultime mission de reconnaissance, son avion s’écrase en Méditerranée. De fait, il semble que l’auteur n’ait vu aucun exemplaire de son livre avant son départ, car il n’existe aucun exemplaire connu dédicacé depuis New York.

 

Les trois seuls exemplaires offerts par Saint-Exupéry l’ont été depuis l’Afrique du Nord, et ils sont tous d’un tirage postérieur :

– exemplaire Lionel-Max Chassin (mention de second printing), avec dessins et dédicaces à ses enfants, Max et Pierre (« Doudou et Piou ») ;

– exemplaire Malou et Jean-Michel Sturm (mention de third printing) ;

– exemplaire Nelly de Vogüé (mention de third printing).

Ce dessin est l’un des plus aboutis et la connexion entre l’aviateur en mission et le futur Petit Prince est évidente et le place parmi les éléments préparatoires d’importance du futur chef-d’œuvre de l’auteur. Le personnage, ses ailes, qui seront tronquées pour la fameuse écharpe au vent ; la présence du bélier, qu’il adoucira pour un mouton, tout concorde aux prémices du Petit Prince.

« On le voit sur les traits même du Petit Prince : Antoine de Saint-Exupéry simplifie petit à petit le visage. Il enlève ses sourcils. Il lui donne son fameux cache-nez, comme il l’appelle dans le livre, c’est-à-dire son écharpe. Il y a tout un travail et des résultats qui ne viennent pas tout de suite. Quatre des dessins du Petit Prince avec des ailes témoignent de la recherche de Saint-Exupéry sur la façon dont son personnage va pouvoir rejoindre la Terre ou se rendre d’une planète à une autre. Avant d’imaginer la migration des oiseaux sauvages, on voit bien que ce n’est certainement pas évident pour lui, au début. Et dans ses dessins antérieurs, quand il met des ailes, c’est plutôt à des aviateurs. Saint-Exupéry dessine très peu d’avions, parce qu’un avion pour lui, ce n’est pas une machine mais un homme qui a des ailes. Tout cela montre que le travail graphique est à la source de sa réflexion littéraire » (Alban Cerisier).

Comme le confirme Olivier d’Agay, petit-neveu de l’auteur et directeur de la succession Saint-Exupéry, « c’est lui, le Petit Prince, c’est Saint-Ex évidemment. Il se dessine dans des situations en avion, sur un nuage. Il le met en scène, il se met en scène. Ce Petit Prince, c’est lui enfant, lui adulte. C’est lui adulte rencontrant lui enfant, comme cela s’était passé dans le désert. Tout vient de là, après l’accident d’avion du 31 décembre 1935, entre Paris et Saïgon. Dans son délire, il rencontre Le Petit Prince et pour lui c’est un choc qui va générer le conte, six ans après » (interview Radio France, 5 avril 2022).

L’identification de l’auteur à son personnage, et de ce dernier au Petit Prince, est pleinement assumée, tant elle est décelable et confirmée dans plusieurs autres documents new-yorkais. Miroir de son âme, ce Petit Prince qui ne l’est pas encore est plus qu’un compagnon de route : c’est un double poétique, trait d’union entre l’imaginaire et la vie réelle et amplifiée par l’épisode de la guerre. « Un avion, c’est un homme qui vole, ce n’est pas une machine volante. Et le petit prince, berceau de son cœur et de ce qu’il a de plus intime en lui, se prête aisément à la représentation d’autrui. C’est sa générosité » (Alban Cerisier, op. cit.).

« Le Capitaine de réserve Antoine de Saint-Exupéry est mobilisé en septembre 1939, de retour d’un séjour à New York […]. Il y effectuera des missions au-dessus de la France et des pays voisins, et pour rendre compte à ses proches de ces vols très risqués, il prendra l’habitude de dessiner des scènes représentant non des avions, mais des personnages, parfois ailés, perchés sur des nuages […]. Si Antoine de Saint-Exupéry a coutume de [les] représenter en personnages ailés et perchés sur leur nuage, plutôt que dans la carlingue de leur avion, il n’est pas impossible que l’écrivain ait pu envisager un moment de doter son personnage d’une paire d’ailes […]. Et si le petit prince n’avait pas d’âge ? […] Pour son livre, l’écrivain tranchera, en prêtant à son personnage des traits et une silhouette d’enfant […]. La jeunesse du petit prince n’est autre que la jeunesse de son regard sur le royaume du monde. Il est enfant comme symbole. Il ne l’est pas au nom de l’appartenance à une classe d’âge… » (À la rencontre du Petit Prince, Paris, Gallimard, Musée des Arts décoratifs, p. 163 et 205).

Rare et merveilleuse représentation de l’auteur, semée d’éléments annonçant le personnage du Petit Prince, en « double mission » : personnelle et poétique.

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Vendu
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