« Mes idées sur la manière générale… »
Paul Claudel

« Mes idées sur la manière générale… »

S.l.n.d. [Paris, octobre 1912]
4 p. en 2 f.(205 x 255 mm et 220 x 280 mm), à l’encre noire

 

Manuscrit autographe du manifeste de mise en scène théâtrale de Claudel.

Véritable plaidoyer, rédigé alors qu’il supervise
les premières répétitions de L’Annonce faite à Marie, qui doit être représentée en décembre.

Précieux manifeste théâtral de Claudel, qui y développe son esthétisme : « L’acteur est un artiste et non pas un critique. Son but n’est pas de faire comprendre un texte, mais de faire vivre un personnage. Il doit donc tellement se pénétrer de l’esprit et du sentiment du rôle qu’il incarne, que son langage sur la scène n’en paraisse plus que l’expression naturelle. Il ne s’agit pas de détailler et de nuancer et colorier le rôle également et indifféremment, mais de s’attacher dans chaque scène aux sommets d’expression qui commandent tout le reste […]. Ce qu’il y a de plus important pour moi, après l’émotion, c’est la musique. Une voix agréable articulant nettement et le concert intelligible qu’elle forme avec les autres voix dans le dialogue, sont déjà pour l’esprit un régal presque suffisant, indépendamment même du sens abstrait des mots. La poésie avec son sens subtil des timbres et des accords, ses images et ses mouvements qui vont jusqu’à l’âme, est ce qui permet à la voix humaine de pleinement s’employer et de se déployer. La division en vers que j’ai adoptée, fondée sur les reprises de la respiration et découpant pour ainsi dire la phrase en unités non pas logiques, mais émotives, facilitera à mon avis l’étude de l’acteur… En raison de ce principe musical, je me défie de tout ce qui, dans le débit, serait trop violent, trop saccadé, trop abrupt. Il ne faut pas rompre cette espèce d’enchantement qui unit les personnages les uns aux autres […]. Le principe du grand art est d’éviter sévèrement ce qui est inutile. Or les évolutions des acteurs qui se promènent continuellement de long en large sur la scène sous prétexte de la remplir, qui se lèvent, qui se retournent, qui s’assoient, sont parfaitement inutiles. Rien ne m’agace comme l’acteur qui essaie de peindre en détail sur sa figure chacune des émotions que le discours de son partenaire lui procure. Qu’il sache rester tranquille et immobile quand il le faut, fût-ce au prix d’une certaine gaucherie dont le spectateur au fond lui saura gré. À chaque moment du drame correspond une attitude, et les gestes ne doivent être que la composition et la décomposition de cette attitude. Ce n’est pas pour le public qu’il faut jouer : il faut que l’acteur soit capable du désintéressement d’un grand artiste et se préoccupe non pas du succès, mais de la meilleure réalisation de l’oeuvre d’art à laquelle il doit donner la vie. – Et c’est précisément peut-être dans cette insouciance du public qu’est le meilleur secret de l’atteindre et de l’émouvoir. »

La première de la pièce aura lieu le 22 décembre 1912 sur la scène du théâtre de l’OEuvre, lieu d’inspiration symboliste créé par le comédien Lugné-Poe, le poète Camille Mauclair et le peintre Édouard Vuillard. C’est la première fois qu’une oeuvre de Claudel est montée, et l’auteur souhaite prendre une part importante à la mise en scène de « sa » pièce, épurant le décor et dirigeant les comédiens vers une diction « musicale » qui fera date. D’abord à distance depuis Francfort où il occupe le poste de consul général et avant son premier séjour à Paris à partir du 10 octobre, bien des questions sont abordées et réglées par courrier, où l’auteur consent à effectuer diverses coupes dans son texte, dirige l’accompagnement musical envisagé et indique surtout quelles qualités il souhaite trouver chez ses futurs interprètes. Les premières répétitions ont lieu en octobre, avec Claudel, qui reste à Paris jusqu’au 28. C’est pendant ce séjour qu’il rédige ce manifeste de mise en scène, qu’il laisse ensuite à la disposition de Lugné-Poe, lequel commence à assurer la promotion de la pièce.

Sitôt Claudel reparti en Allemagne, Lugné-Poe consacre le numéro d’octobre du Bulletin de l’OEuvre à la présentation de l’auteur et de sa pièce : « en plus de diverses critiques littéraires, on y trouve une reproduction manuscrite du texte de Claudel, Mes idées sur la manière générale de jouer mes drames […]. Lorsque Claudel revient à Paris le 3 décembre, il peut alors constater l’évolution du travail mais aussi certainement ses manques car il va consacrer presque toutes ses journées à sa pièce en étant présent aux répétitions. En précisant le travail scénique qu’il avait seulement ébauché avec les acteurs en octobre, le dramaturge éprouve un immense plaisir, ainsi qu’il le confie à Gide : «Vous avouerai-je que ces études scéniques, loin de me rebuter, m’intéressent au contraire extrêmement ? C’est vraiment passionnant de travailler un geste, un ensemble, une attitude et de Voir tout cela s’animer et prendre figure. Je ne sais pas ce que cela donnera pour le public, mais pour moi j’ai déjà de grandes satisfactions » (Alain Beretta, « Claudel et la mise en scène » in Autour de L’Annonce faite à Marie, Presses universitaires de Franche-Comté, 2000).

S’il n’y eut que trois représentations (les 20, 22 et 23 décembre 1912), le public d’initiés qui s’y rendit sut s’en faire l’écho. L’Annonce est un succès, qui incitera les jeunes Éditions de la NRF à procéder – pour la première fois depuis leur création en 1911 – à un retirage, qui aura lieu le 13 février 1913 : 2 200 nouveaux exemplaires sortent des presses pour satisfaire la demande après que l’édition originale fut épuisée. Claudel, toujours en poste en Allemagne, se prépare dans le même temps à y monter une nouvelle fois sa pièce, au Centre d’art d’Hellerau, au nord de Dresde.

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