Long Live Man

[GARY] CORSO (Gregory)

Long Live Man

New York, New Directions, [28 novembre] 1962.
1 vol. (135 x 205 mm) de 93 p. et [1] f. Broché, chemise et étui.

 

L’exemplaire de Romain Gary et Jean Seberg, abondamment annoté par l’auteur.

Édition originale et premier tirage [5 000 exemplaires].

Envoi signé : “For Jean, my only movie-star – whose humanness celluloid were at a loss to render unreal and for Romain, a fellow singer, and spirit – love, Gregory

P.S. This be the only copy in which I have made personal corrections – surely when you see the completions of a film you’ve made you wish Jean could have done some scenes differently – so the same for poems and the poet – I feel this book to be my finest work – mine ‘Breathley’ & ‘Roots of Heaven’

– In spirit I always hold you & Romain fondly & well – Romain helped me when I was in dire need once – you both did.”

Pour Jean, ma seule star de cinéma – dont l’humanité est telle que même le celluloïd ne l’a pas rendue irréelle – et pour Romain, mon compagnon de chant et d’esprit – love Gregory.

S. C’est le seul exemplaire dans lequel j’ai fait des corrections personnelles – sûrement quand vous voyez un film achevé que vous avez fait vous regrettez que Jean n’ait pas imaginé certaines scènes différemment – ainsi pour des poèmes et le poète – je sens que ce livre est mon meilleur travail – tout comme ‘Breathley et ‘Roots of Heaven’.

En pensée, je vous garde toujours, vous et Romain, avec affection et bienveillance – Romain m’a aidé une fois quand j’étais dans le besoin absolu – vous l’avez fait tous les deux.

Cet envoi est accompagné d’une longue note rédigée à la suite du dernier poème du recueil “Writ on the eve of my 32nd birthday” :

“a poem like this shouldn’t be too long, or talk too much, I feel – yet I hate to omit anything so truly heartfelt – but it makes no difference – to end it – the world owes me – a million dollars is happy. Tongue in cheek, audacity – to continue it d(?) I do is to crowd too much feeling into a single poetry – like old letters, I can’t stand to read my yesterday’s poems –

Basta – the poesy to follow this can’t help but be goodly wisely compassionate expressions heart and spirit – whoops! I just remembered that the world only owes me 999,900 dollars as Romain once bestowed 100 dollars to me when I was in dire need, but truly I owe the world everything and it owes me nothing – so as a gentleman I must return his aid to him, someday, when I get lots of doubloons – I wish both of you the loneliest of things and non-things – Gregory.”

… un poème comme celui-ci ne devrait pas être trop long, ni trop bavard, je pense – pourtant je déteste omettre quoique ce soit de quelque chose d’aussi sincère – mais cela ne fait aucune différence – pour en finir – c’est heureux que le monde me doive un million de dollars. L’ironie, l’audace – continuer comme je le fais, c’est entasser trop de sentiments dans une seule poésie – comme les vieilles lettres, je ne supporte pas de lire mes poèmes d’hier.

Basta – la poésie qui suivra ne peut s’empêcher d’être une expression de compassion bienveillante pour le cœur et l’esprit – oups ! Je viens de me rappeler que le monde ne me doit que 999 900 dollars car Romain m’en a donné 100 quand j’étais dans le besoin absolu, mais en réalité je dois tout au monde et il ne me doit rien – donc en tant que gentleman je dois lui rendre son aide, un jour, quand j’aurai plein de ‘doubloons’ – Je vous souhaite à tous les deux la plus solitaire des choses et non-choses – Gregory.

Corrections et ajouts autographes à sept poèmes :

  1. 58 : 2 strophes entourées avec la mention “omit”
  2. 66 et 67 : corrections et variantes pour le poème “Man Enterring the Sea, Tanger”
  3. 73 : 1 ajout au poème “A Race of Sound”
  4. 74 : 1 ajout d’une strophe au poème “There can be no other apple for me”
  5. 78 : 2 variantes au poème “Writ on the Steppes of Puerto Rican Harlem”
  6. 83 : 2 variantes aux poèmes “A City Child’s Day et They”
  7. 87 : 1 variante au poème P.S. 42
  8. 88 : 1 ajout au poème “Danger”
  9. 89 : 1 strophe entourée avec la mention “omit” pour le poème “After Reading in the clearing”
  10. 93 : note retranscrite plus haut.

Long Live Man parut dans la collection mythique des anthologies poétiques de New Directions (ND). Deux ans plus tôt The Happy Birthday of Death réunissait les premiers poèmes de Corso dont le célèbre « Bomb ». Fondées par James Laughlin en 1936, les éditions ND eurent pour vocation première de soutenir écrivains et poètes inconnus et audacieux ; et, très vite, New Directions se mit à publier des romans, du théâtre, etc. À son catalogue figurent aujourd’hui nombre de noms célèbres de la littérature mondiale qui trouvèrent un jour – enfin – un éditeur prêt à s’engager pour eux : Ezra Pound, Dylan Thomas, Tennessee Williams…

En 1960, trois des membres majeurs de la Beat Generation ont déjà publié chez Laughlin : Kerouac vient de publier les fameuses Visions of Cody (décembre 1959),Ginsberg, dès 1953, est entré dans la collection « Prose and Poetry », et les trois poètes Beat se retrouvent en 1961 réunis dans le n° 17 de cette même collection.

Lorsque paraît ce recueil de Corso, quatre des célèbres poètes de la Beat Generation ont déjà fait paraître leurs textes majeurs : On the road (Kerouac), Howl(Ginsberg), Bomb (Corso) et The Naked Lunch (Burroughs). Gregory Corso, dernier à avoir rejoint le groupe, est devenu l’un de ses porte-parole les plus en vue. Mais lorsqu’il adresse cet exemplaire à Jean Seberg et Romain Gary, c’est bien à une autre époque de sa vie qu’il fait allusion. L’aide matérielle qu’il y évoque à deux reprises ici n’aura très probablement pas été un détail dans sa vie. La situation de Corso dans les années 1950 a peu de choses à voir avec celle de Gary, diplomate et écrivain reconnu marié à une star d’Hollywood.

« Gregory était un vrai New Yorkais. Il était né en 1930 au cœur de Greenwich Village au-dessus d’une morgue au coin des rues Bleeker et MacDougal, qui faisaientalors partie de Little Italy. Il n’avait aucun souvenir de sa mère qui avait à peine seize ans quand elle l’avait eu. » Abandonné dès la naissance, avec un père à peine plus vieux qui ne pouvait s’en occuper il fut en quelques années balloté dans pas moins de huit familles d’accueil. Les malheurs de sa vie d’enfant et d’adolescent le conduisirent à la prison de Tombs, de triste réputation. Relâché, il fut livré à lui-même quand, à dix-sept et à la suite d’un cambriolage, il fut renvoyé en prison, cette fois dans celle de Clinton (à Dannemora, près de New York). C’est là qu’il découvrit la littérature et la poésie. Peu après sa libération, alors qu’il avait trouvé un emploi et qu’il se destinait définitivement à la poésie, il rencontra Allen Ginsberg ; ce dernier se souviendra du soin que Corso avait apporté aux poèmes qu’il lui confia : « tous étaient dactylographiés, chose inhabituelle de la part d’un garçon qui vivait dans le Village et se disait poète ». Ginsberg lui présenta Kerouac.… Il fut alors de tous les événements, réunions, voyages et fit partit de l’inénarrable ‘bande’ installée à Paris dans un hôtel, 9 rue Gît-le-cœur. Ce lieu insalubre et ses 42 chambres, toutes occupées par des artistes, de préférence étrangers n’avait pas de nom mais il devait rester dans les mémoires comme le Beat Hôtel, du nom que Corso lui trouva à l’époque (une plaque commémorative a depuis été installée sur la façade de l’immeuble, devenu aujourd’hui le Relais Hôtel Vieux Paris).

Est-ce à cette époque – à Paris donc, ou bien en Californie que Corso rencontre Seberg et croise Gary ? Difficile de l’affirmer, mais il est avéré que Gary ne cesse entre 1950 et 1960 d’effectuer des allers-retours entre l’Europe et les États-Unis, suivant les déplacements de Seberg qui tourne sur les deux continents.

Gary, lorsqu’il résidait à Los Angeles, a vu naître ces groupes contestataires et s’y intéressa de très près. Voici son regard avisé sur l’auteur d’On The Road « c’était un prophète, Kerouac. Il fut le premier et le seul à avoir prédit quinze ans à l’avance l’Amérique des hippies, l’Amérique d’une quête spirituelle désespérée, qui commençait déjà dans la marijuana pour finir dans l’héroïne. » (La nuit sera calme).

Et même s’il est assez ironique lorsqu’il évoque ces « jeunes paumés américains », l’on imagine bien Gary venant en aide à Corso que forcément il ne confond pas avec l’un d’entre eux. Ces lignes tirées de Chien blanc rappellent ce qu’il vécut personnellement à cette époque, aussi bien dans son appartement parisien de la rue du Bac, que dans sa maison de Los Angeles où il est fréquent qu’il doive laisser la place à d’interminables réunions des Black Panthers invités par sa femme : « Seberg passe son temps à donner notre adresse à tous les jeunes paumés américains qui croient que l’Atlantide, ça existe, ce qui explique pourquoi j’ai trouvé un jour six beatniks endormis dans des sacs de couchage dans notre appar­tement rue du Bac. L’un d’eux avait notre adresse depuis quatre ans, et il l’avait partagée avec des amis. »

Tough Poets Press vient de faire paraître un recueil des œuvres de Corso, rappelant qu’il fut un auteur majeur et fondateur dans l’aventure lancée par Kerouac et non un simple suiveur.

Cet exemplaire est sans doute le seul témoin à ce jour de la rencontre de Romain Gary avec l’un des membres majeurs de la Beat Generation.

De la bibliothèque Romain Gary et Jean Seberg.

 

Barry Milles, Beat Hotel. 1957-1963, Éd. Le Mot et le Reste, 2011 ; J.-L. Alexandre. Jean Seberg, La Tentation de l’échec.

27541

1 500 
Ce site utilise des cookies pour réaliser des statistiques anonymes de visites.
Ce site utilise des cookies pour réaliser des statistiques anonymes de visites.
Le site est en développement et des améliorations sont en cours. Nous nous excusons pour la navigation qui peut ne pas être optimale
Le site est en développement et des améliorations sont en cours. Nous nous excusons pour la navigation qui peut ne pas être optimale
This site is registered on wpml.org as a development site.