L’Homme révolté | tapuscrit corrigé et annoté

Albert Camus

L’Homme révolté | tapuscrit corrigé et annoté

[Paris, Le Chambon-sur-Lignon, 1951]
443 feuillets conservés dans une chemise titrée par Albert Camus « L’Homme révolté. Premier état, 1951 »
et par Suzanne Agnelli « ex. n°1. L’Homme révolté. I » sur la troisième de couverture de la chemise.

 

Précieux dactylogramme de L’Homme révolté.


Envoi signé
sur la page de faux-titre de Camus à André Bénichou, professeur de philosophie à Oran :

« À André Bénichou,
en reconnaissance de ce que ce livre lui doit
et avec la fidèle affection de son ami
Albert Camus
».

Très nombreuses corrections et annotations de la main de Camus.

 

Composition du « tapuscrit Bénichou »

•Table des matières : 2 ff. à l’encre bleue non paginés ;

•Faux-titre : 1 f. non paginé comportant l’envoi autographe signé ; le faux-titre est tapuscrit, corrigé de la main

de Camus pour les accents. Mention de pagination de la main de Suzanne Agnelli au crayon « P. 7 » ; •Exergue (citation d’Hölderlin) : 1 f. non paginé ;

•« Introduction » : 14 ff. paginés 2 à 14, dont 1 f. paginé 10-11 et 2 ff. non chiffrés ;

•« I. L’homme révolté » : 16 ff. paginés 15 à 28bis, dont 1 f. non chiffré ;

•« II. La révolte métaphysique » : 119 ff. (dont la page de titre, paginée 29), répartis comme suit : – [introduction] : 4 ff. paginés 30 à 33 ;

– « Les fils de Caïn » [ajout manuscrit] : 13 ff. paginés 34 à 47, la page 45 étant manquante ;

– « La négation absolue » : 28 ff. paginés 47bis à 74 ;

– « Le refus du salut » : 11 ff. paginés 75 à 85 ;

– « L’affirmation absolue » : 29 ff. paginés 85bis-85ter à 112 ;

– « La poésie révoltée » : 27 ff. paginés 113 à 138, avec 125bis) ;

– [section non titrée, ultérieurement intitulée « Nihilisme et histoire »] : 6 ff. paginés 139 à 144

•« III. La Révolte historique » : 211 ff. (dont la page de titre, non chiffrée), répartis comme suit : – [introduction] : 9 ff. paginés 146 à 154 ;

– « Les régicides » : 31 ff. paginés 155 à 185 ;

– « Les déicides » : 23 ff. paginés 186 à 208 ;

– « Le terrorisme individuel » : 41 ff. paginés 209 à 249 ;

– « Le terrorisme d’État et la terreur irrationnelle » : 15 ff. paginés 250 à 264 ; – « Le terrorisme d’État et la terreur rationnelle » : 82 ff. paginés 265 à 346 ; – « Révolte et révolution » : 9 ff. paginés 347 à 355 ;

•« IV. Révolte et art » : 36 ff. (dont la page de titre, non chiffrée) paginés 356 à 390 ;

•« V. La pensée de midi » : 43 ff. (dont la page de titre, paginée 391), répartis comme suit :

– « Révolte et meurtre » : 23 ff. paginés 392 à 414 ;

– « Mesure et démesure » : 12 ff. paginés 415 à 426 ; – « Au-delà du nihilisme » : 7 ff. paginés 427 à 433 ;

Importance du « tapuscrit Bénichou »

 

Dans la longue et complexe genèse de L’Homme révolté, ce « tapuscrit Bénichou » est le chaînon manquant – et inconnu jusqu’alors – entre le « manuscrit Char » et les dactylogrammes conservés à la bibliothèque Méjanes d’Aix- en-Provence qui précèdent immédiatement le texte publié.

Le « manuscrit Char », communément désigné ainsi, est en fait une frappe dactylographiée, abondamment annotée par Camus, encore assez loin par endroits du texte final, dont Raymond Gay-Crosier, qui y a eu recours pour établir l’édition de la Pléiade, dit lui-même qu’il est d’une « lecture malaisée et encore éloigné de la version définitive » (p. 1214).

Plus près donc du texte paru que ce jeu Char, le « tapuscrit Bénichou » présente, à de très nombreuses pages, d’importantes retouches : passages biffés ou déplacés (mots, phrases voire paragraphes entiers) et ajouts (corrections et incises, jusqu’à des passages de plusieurs lignes) qui en font tout l’intérêt. Ces enrichissements autographes expliquent d’ailleurs que le tapuscrit soit composé de feuillets dactylographiés obtenus par reproduction carbone, la frappe la plus nette étant naturellement réservée à la dernière mise au propre de ces corrections et destinée à l’imprimeur. Il faut d’ailleurs préciser à ce stade que les Éditions Gallimard, conformément à leur usage, n’ont conservé aucune épreuve de L’Homme révolté, et que le « tapuscrit Bénichou » est donc à ce titre le seul moyen de restituer l’intégralité des étapes de l’élaboration finale du texte définitif de L’Homme révolté au moment où Camus s’inquiète déjà de la réception de son texte et s’attache avec scrupules à préciser l’expression de sa pensée et à rendre son texte limpide.

L’intérêt du « tapuscrit Bénichou » tient ainsi à ce qu’il porte trace de la recomposition ultime – ignorée à ce jour – qu’a effectuée Camus, comme le montre les deux types de pagination employés. Paginé à la manière du jeu Char (les chiffres, à l’en-tête de la page, centrés ou légèrement à gauche, sont placés entre deux tirets demi-cadratins) pour les 144 premiers feuillets, il l’est d’une façon nouvelle (les chiffres, toujours à l’en-tête de la page, sont alors alignés à droite et suivis d’un point) pour les feuillets introduits en remplacement de la frappe antérieure (ff. 28, 28bis, 33 notamment) et à partir du feuillet 146. Certains feuillets, dactylographiés à l’encre bleue et résultant d’un autre jeu carbone de la même frappe (la pagination présente les mêmes caractéristiques), sont destinés à mettre en évidence d’ultimes remaniements effectués par Camus dans l’ordonnancement de la partie II « La révolte métaphysique », puisqu’il s’agit de titres de chapitre (ff. 34, 47 bis, 85 bis, 113) ou de sous-chapitre (ff. 89, 124). La correction, à la main, de la pagination marque ainsi l’insertion des pages consacrées à « Lautréamont et la banalité » (ff. 115 à 123, aupara- vant ff. 75 à 83) au sein du chapitre « La poésie révoltée ». Ces changements portent d’autant mieux témoignage de l’histoire de l’élaboration de L’Homme révolté que Camus a publié ces pages sous ce titre en juin 1951 dans les Cahiers du Sud, alors que le « tapuscrit Bénichou », corrigé de la main de Camus en ce nouveau sens, porte encore le titre « Lucifer et la banalité » qui est celui du « tapuscrit Char ». De même, l’ultime chapitre de cette partie II n’est pas encore intitulé « Nihilisme et histoire » et n’apparaît donc pas sur les deux feuillets à l’encre bleue de la table des matières.


Le dédicataire du dactylogramme : André Bénichou

 

Précieux, le « tapuscrit Bénichou » l’est encore par sa provenance. André Bénichou, qui a partagé le quotidien de Camus l’année et demie qu’il a passée à Oran pendant la guerre, est le témoin clef de la naissance de l’oeuvre majeure de Camus qu’est L’Homme révolté. Car, rappelle Raymond Gay-Crosier dans l’édition de la Pléiade d’après les Cahiers de Camus, « dès janvier-février 1942, il est question d’un ‘essai sur la révolte’qui deviendra ‘Remarque sur la révolte’, publié en 1945 dans L’Existence et qui constitue une première version de la partie I de L’Homme révolté » (p. 1213). Or, Camus est alors depuis un an à Oran, où il enseigne dans l’établissement d’André Bénichou, lui-même professeur de philosophie, avec lequel il déjeune fréquemment et échange à n’en pas douter sur les premiers tâtonnements et l’ébauche de son projet tant il est vrai qu’il est dit dans l’envoi, « avec la fidèle affection de son ami Albert Camus », toute la « reconnaissance de ce que ce livre lui doit ».

Consécutivement à la révocation en octobre 1940 par le gouvernement de Vichy du décret Crémieux -qui avait octroyé la citoyenneté française aux Juifs d’Algérie en 1870 -, André Bénichou, jeune professeur de philosophie né en 1910, avait été exclu de la fonction publique et renvoyé du lycée d’Oran (lequel, par un décret du 14 août 1941, deviendra le lycée Lamoricière ; puis le lycée Pasteur après l’indépendance). Sans ressources, il créa alors un cours privé pour les enfants juifs dont l’accès à l’enseignement public était restreint par décret portant numerus clausus en application de la loi du 2 juin 1941 qui institue le second statut des Juifs. L’enseignement était dispensé à domicile.

Albert Camus, son cadet de trois ans qui venait d’en avoir vingt-sept, arriva de son côté le 14 janvier 1941 à Oran, depuis Marseille où il avait embarqué sur le paquebot Président-Dal-Piaz avec sa femme Francine. Faute de trouver à enseigner la philosophie, il se fit professeur d’histoire-géographie dans un établissement privé qui dispensait des cours de rattrapage, Les Études françaises, sis 18 rue Paixhans : « Bac, Brevet, Certificat -Études dirigées / Élèves Lycée. – Internat, 1⁄2 internat, vie de famille / Cours vacances ; Élèves limités » précise un encart publié le 5 avril 1940 dans L’Écho d’Oran. En face, se trouvait le lycée où enseignait auparavant André Bénichou et qui recherchait désormais des enseignants qualifiés pour son cours et recruta bientôt Camus pour l’enseignement du français. Les deux hommes allaient devenir amis, se fréquentant assidûment, « déjeuna[nt] souvent au Belvédère, un restaurant de style mauresque qui dominait, sur le flanc du Murdjadjo, le quartier des Planteurs et sa pinède », dira Abdelkader Djemaï dans son livre Camus à Oran.

Le médecin Paul Benaïm a laissé de cette époque ce témoignage : « Les cours avaient lieu dans les appartements de proches du directeur de l’école. Avec quatre de mes camarades, Viviane Bénarrous, Henri Elmouchnino, André Garson et Jean-Claude Illouz, j’ai été élève d’Albert Camus en classe de troisième. La salle de classe était la salle à manger d’un appartement bourgeois situé au premier étage d’un immeuble d’habitations, rue Eugène Etienne, au coeur de la ville d’Oran. Notre professeur de français apparaissait à mes camarades et à moi comme un personnage énigmatique. Nous savions vaguement qu’il avait été journaliste à Alger républicain, quotidien de gauche qui avait cessé de paraître en octobre 1939, qu’il avait écrit des livres dont nous ignorions s’ils avaient été publiés. Extrêmement réservé -par timidité ? -, il ne parlait jamais de lui-même ni faisait allusion à la vision du monde que l’on découvrira dans ses oeuvres, mais il nous surprenait, dans ses commentaires d’explications de textes, par une fantaisie et une liberté de ton auxquelles nous n’étions guère habitués. Il nous arrivait de croiser Albert Camus arpentant les rues d’Oran, seul, dans un imperméable fatigué. Taciturne ? Nous ne l’avons jamais vu sourire. »

C’est à ce moment-là que Camus conçut La Peste, à partir des événements dont il fut le témoin, en particulier l’épidémie de typhus qui sévit alors dans le département d’Oran et, d’après Herbert R. Lottman son biographe, fit lire à André Bénichou le chapitre qu’il en rédigea. Camus était en outre tuberculeux, qui souffrit à nouveau d’une poussée dès mai 1941, avant de faire une rechute en janvier 1942 et une autre en juin, jusqu’à se décider à quitter l’Algérie avec sa femme à l’été, à l’issue de l’année scolaire, pour un refuge de montagne, en Auvergne. À l’exemple de nombre d’artistes et d’écrivains, il s’établit en août à proximité du Chambon-sur-Lignon (le village de Haute-Loire qui se distinguera, derrière son pasteur, par le sauvetage de très nombreux Juifs), au Panelier, dans la « maison-forte » où ils sont accueillis par la belle-mère de la tante de son épouse, Sarah Œttly, qui y tient une pension de famille. Au printemps parut L’Étranger ; mi-octobre, Le Mythe de Sisyphe. Alors que sa femme rejoignit l’Algérie ce mois-là, le débarquement allié le 8 novembre l’empêcha de la rejoindre et il ne la reverra que deux ans plus tard. Entre-temps, en novembre 1943, il aura regagné Paris et écrit bientôt des articles dans Combat clandestin.


La poursuite de l’élaboration de L’Homme révolté après la Libération

En octobre 1946, à l’invitation de l’association Civilisation fondée cette année-là, Camus participe à une table ronde sur le thème « le destin de l’individu dans le monde actuel », au cours de laquelle il expose les idées qui seront développées dans L’Homme révolté sur lequel il travaille, comme il le note dans ses Carnets en mai 1947. Cette année-là, son ami André Bénichou gagne à son tour Paris. En avril 1949, paraît « Le meurtre et l’absurde » dans la première livraison de la revue Empédocle, qui constitue une première version de l’introduction de L’Homme révolté, et c’est en mars 1951 qu’il en achève la première rédaction, dont est publiée en juin dans les Cahiers du Sud une version du chapitre consacré à « Lautréamont et la banalité ». En juillet, il expédie un exemplaire dactylographié de son livre à René Char : « À vous, cher René, le premier état de ce livre dont je voulais qu’il soit LE NÔTRE et qui, sans vous, n’aurait jamais pu être un livre d’espoir. Fraternellement. 1951. »

Ce « premier état » offert à son ami André Bénichou est plus complet que le premier jeu ; il fut sans doute corrigé en partie à Paris, en partie depuis le Chambon-sur-Lignon, où il passer le mois d’août 1951 pour y  corriger les épreuves. Le livre paraît le 18 octobre.

 

✒️  Albert CAMUS, OEuvres complètes. Paris, Gallimard, coll. « Pléiade », vol. « Essais » ; Paul BENAÏM, Les Trois Vies d’Abraham B. Histoires insolites d’un médecin parisien. Éditions David Reinach, 2010. Jean BENGUIGUI, Un parfum d’orange amère ; Adrien BOSC, Capitaine. Paris, Stock, 2018 ; Abdelkader DJEMAÏ, Camus à Oran. Paris, Michalon, 1995 ; Herbert R. LOTTMAN, Albert Camus. Paris, Seuil, 1978 ; Paul SOULEYRE, www.memoblog.fr ; Olivier TODD, Camus : une vie. Paris, Gallimard, 1996 ; Alain VIRCONDELET, Albert Camus, fils d’Alger. Paris, Fayard, 2009 ;

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