Lettre autographe signée adressée à son père, en tournée à Bruxelles dans la pièce qu’il lui a écrite. 

S.l.s.d. [avril 1919] 
2 p. en 1 f. (22 x 280 mm), encre noire. 

« Samedi matin 

Mon Papa chéri, Je me lève à l’instant et l’on me remet ton adorable lettre – Merci. Je suis content de ma soirée d’hier. Ce public composé d’éléments si divers m’a paru agréablement surpris et charmé de ce qu’il y a (peut-être) de frais dans une pièce. Je te dirai demain l’impression que me fera l’impression du public. Pour moi ce fut une soirée heureuse car elle avait commencé par ce précieux cadeau que tu m’as fait. L’écriture tremblée, la main qui n’obéit plus, ce désir encore de plaire et de faire plaisir et ce mot même qui est illisible, comme un mot venu de l’au-delà – que tout cela est émouvant. J’avais le coeur très gros de te voir partir et je suis navré quand je pense que je vais rester de si longs jours sans t’embrasser. Je te supplie, Papa chéri, de ménager ta splendide santé. Bruxelles est une ville dangereuse – on y mange si bien ! Les jours où je ne téléphonerai pas seront les jours où j’aurai le plus particulièrement pensé à toi, puisque j’aurai eu envie de te parler et que je m’en serai privé, pour ne pas t’agacer – car je sais que dans les hôtels les communications mettent à la torture ceux qui ne les ont pas demandées. Pourtant, vers minuit et demi […] Yvonne et moi t’embrassons à grands bras. Elle partait hier soir en gardant trois de tes beaux billets, si bien que je les avais constamment près du coeur. Je pense à toi et je t’aime. Sacha ». 

Les retrouvailles entre Sacha et Lucien datent de 1918. La rupture avec Charlotte Lysès permit la réconciliation tant espérée entre le père et le fils. « L’idée de mettre Pasteur à la scène me hantait […] depuis deux années, mais la difficulté de choisir un interprète pour personnifier un tel homme m’arrêtait. Depuis vingt-quatre heures la chose ne me paraissait plus impossible. […] » Guitry tient son interprète : son père, pour le premier rôle de cette « grande pièce sur un grand homme », qui est créée le 23 janvier 1919 au théâtre du Vaudeville. 

Sacha Guitry et Yvonne Printemps seront dans la salle, auprès de la fille du grand savant, lorsque se lèvera le rideau sur Lucien Guitry, qui campe un Pasteur inoubliable. Le lendemain de la représentation, Guitry raconte : « je suis arrivé seul chez lui […]. Il m’attendait, visiblement ému. Il est venu vers moi. Nous sommes restés longtemps dans les bras l’un de l’autre… ». Sacha et Yvonne Printemps se marient le 10 avril, tandis que la pièce poursuit sa marche triomphale à Bruxelles : c’est là-bas que le fils écrit à son père, lui implorant de se ménager et lui donnant ses impressions sur la nouvelle pièce qu’il vient de jouer, Le Mari, la Femme et l’Amant, dont la première est donnée le 19 avril. Six mois plus tard, les retrouvailles seront plus émouvantes, avec la création d’une nouvelle pièce pour son Lucien Guitry, Mon père avait raison, créée le 8 octobre 1919. « Le plus beau soir de ma vie », en dira plus tard Sacha : le père et le fils sont réunis sur scène pour la première fois, avec Yvonne Printemps entre eux. 

30642