Lettre autographe signée à René Char

Albert Camus

Lettre autographe signée à René Char

[Paris, années 50]. 17 lignes en 1 f. (135 x 210 mm) à en-tête de la Nrf, enveloppe conservée.

Vendredi
Cher René,
Entendu pour jeudi soir et allons-y
ensemble, de front. Pour compléter,
déjeunons un jour de la semaine prochaine
(lundi ou mardi), si vous le pouvez.
À vous, avec l’affection
d’A.C
.”

Sans adresse ni marque postale, elle a sans doute été rédigée par Camus depuis son bureau chez Gallimard, à l’attention de René Char, ou chez lui, rue Chanaleilles : ” à partir de 1956, Albert Camus habite un deux-pièces dans le même immeuble que René Char, rue de Chanaleilles. Il n’est pas rare qu’ils se glissent des mots sous la porte ” (Camus-Char, Correspondance, p. 192).

Cette missive manque à l’édition originale de la correspondance publié entre les deux hommes ; elle sera en revanche intégrée dans l’édition augmentée de 2017 (coll. Folio 6274, lettre 185, p. 220) : elle rentre dans la section des ” lettres à une date incertaine “, mais probablement comme étant écrite en octobre 1957, quelques jours après l’annonce du prix Nobel. Camus et Char doivent rejoindre André Rousseaux, qui les avait conviés à dîner, chez lui, au 5 rue d’Assas.

Rousseaux, le sévère critique du Figaro, suit Camus depuis L’Etranger, et une célèbre critique donnée pendant l’été 1942 – la deuxième faite du roman – , le 19 juillet. Plutôt défavorable, Rousseaux y voyait  un plaidoyer détourné de la veulerie (…) Le moins qu’on puisse dire est que cette piètre humanité manque vraiment d’intérêt. Il faut ajouter que l’entreprise de M. Albert Camus manque complètement son but. L’auteur de L’Etranger croit certainement faire oeuvre profondément réaliste en nous révélant les réalités qui se cachent au fond d’un être humain. Nous avons dit ce qu’il en est.

Pour autant, sa vision évoluera, et notamment après La Peste, et surtout La Chute, publié en 1956 : ” La lecture de La Chute a fait lever en moi le souvenir des pages les plus âpres de L’Étranger ou du Malentendu : celles où il est formulé en syllabes de fer que notre monde, prisonnier de ses fautes, en porte a jamais le poids inévitable autant qu’inutile. La dernière page tournée, je cherche un mot, un seul mot, qui perce dans les murs de cette prison une ouverture vers un peu de ciel. Trois pages avant la fin, il y a eu comme un appel à cette échappée libératrice. Le héros du livre, l’homme qui vient de proférer le long monologue que Camus lui a prêté, se souvient de cette parole d’un misérable: «Ah! monsieur, ce n’est pas qu’on soit mauvais homme mais on perd la lumière.» Et d’ajouter : « Oui, nous avons perdu la lumière, les matins, la sainte innocence de celui qui se pardonne à lui-même (…) Les livres qu’Albert Camus appelle récits, et qu’on ne saurait certes prendre pour des romans, porteraient fort bien le nom de contes philosophiques, si ce n’était pas là une étiquette démodée. Celui-ci est traité avec maîtrise pour introduire dans un cadre imaginaire le discours qui doit nous attendre. Ce discours nous assaille dès la première page, à travers le figurant silencieux auquel il s’adresse: un Français de passage qui, dans un bas quartier d’Amsterdam, est entré un soir dans un bar à matelots. L’homme qui lui parle est un autre Français, venu là en exil de lui-même et sa vie passée. C’est l’histoire de cette vie, et de cette retraite, qu’il va raconter. (…) Si Albert Camus représente aujourd’hui dans la littérature française un parfait exemple d’honnêteté intellectuelle, c’est en se montrant le gardien rigoureux de la foi la plus menacée par les idolâtres: la foi en l’homme. Le monde sans Dieu, pour lui, ce n’est rien d’autre que le monde tel qu’il le voit. »”

Camus et Char, “de front” attendent donc le rendez-vous avec impatience, d’autant que Char prépare un texte pour son journal en hommage à son ami, qui sera publié le 26 octobre : Je veux parler d’un ami. Qui sera accompagné, le même jour, d’un nouvel article d’André Rousseaux, où le critique voit en ce Prix Nobel la consécration “d’un juste”. Ce critique est convaincu qu’on a reconnu chez Camus “cette noblesse qui commande tout d’abord l’amour des hommes”, ainsi que cette véracité et cette honnêteté qui font que l ‘écrivain est “un parfait exemple de loyauté intellectuelle dans la littérature contemporaine”. (Le Figaro, 26 octobre 1957). Le dîner, à l’évidence, aura définitivement conquis Rousseaux.

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Vendu
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