Lettre autographe à Bernard Quilliet
Georges Perec

Lettre autographe à Bernard Quilliet

[Paris] 25 septembre [1957].
2 pages en 1 f. (135 x 210 mm), encre bleue.

Lettre de jeunesse, inédite, à Bernard Quilliet.

Perec est tout juste rentré du voyage à Belgrade, initiateur de la rédaction de son premier roman, L’Attentat de Sarajevo, annoncé ici. Il fonde de grands espoirs pour sa publication. Il répond à la carte qu’il vient de recevoir de son ami à son retour de Yougoslavie, « avec près d’un mois de retard », et lui propose un rendez-vous dans le quartier de la Huchette. « J’écris avec un stylo (Parker) qui ne m’appartient pas, sur du papier que j’ai volé. L’enveloppe est un larçin et les timbres une grivellerie [sic] (…) ».

« Moult choses nouvelles », lui annonce-t-il : « le service militaire dans deux mois. D’ici là un récit achevé et, j’espère, en cours de publication, intitulé « L’attentat de Sarajevo » (car je reviens de ФНPJ, soit FNRJ, soit Yougoslavie) etcetcetetc… »

Rare témoin de la jeunesse de Georges Perec, Bernard Quilliet est son compagnon en hypokhâgne au Lycée Henri-IV (promotion 54-55) : « en classe, Georges est assis à côté d’un « bica », c’est-à-dire un élève en quatrième année de prépa à Saint-Cloud ; son nom était  Bernard Quilliet, mais on l’appelait K. Comme Georges, K. voulait être écrivain et avait l’intention de sortir son premier chef-d’œuvre dans l’année (…). » (Bellos, p. 96). Fi de littérature, il deviendra l’un des meilleurs spécialistes du seizième siècle français, professeur émérite d’histoire moderne à l’université Paris VIII. Mais son goût et ses dons pour le dessin – il est lauréat du Concours général de dessin en 1950 – l’amènent lui et Perec à écrire Les Aventures extraordinaires d’ Enzio, le petit roi de Sardaigne : une étonnante bande dessinée dont chaque illustration a été conçue sur une idée de Pérec ; de fait, cette collaboration est la toute première œuvre de fiction de Georges Perec (Cahier de l’Herne, 13-26, et première page reproduite dans Bellos, p. 97). Lequel passe cette année d’hypokhâgne en dilettante : 42e sur 42e en philosophie, et une note moyenne inférieure au 10 sur 20 requis qui le conduisit à être courtoisement notifié sur le bulletin du troisième trimestre qu’il ne serait pas repris à Henri-IV.

C’en est fini de la classe préparatoire, et voilà Perec sur les bancs de la Sorbonne. Il n’y usera pas ses pantalons longtemps : ces deux années se passeront davantage dans les cafés, les cinémas et les boites de jazz du quartier latin. Il y rencontre néanmoins, dès sa première année et grâce à sa cousine Ela, tout une bande de jeunes étudiants yougoslaves, avec lesquels il se liera. Dès janvier 1956, il écrit une première nouvelle, perdue, Les Errants. Puis, en fin d’année, une seconde : Manderre. Ce texte est dédié à une nouvelle connaissance du groupe yougoslave, Zoran Petrovic, un jeune artiste qui vient d’arriver à Paris, en novembre 1956 : il exposait au Palais Berlitz (aujourd’hui la Galerie yougoslave) des oeuvres qu’il titrait « Machines » ; Perec, qui visitait régulièrement ce lieux, y fit la connaissance de celle dont il devait tomber amoureux et à laquelle il offrira quelque temps plus tard ce tapuscrit, Milka Canak. Elle deviendra l’été suivant le personnage de Mila dans un texte que Perec annonce ici : L’Attentat de Sarajevo.

Ce roman – le premier de Perec – est rédigé à la suite du séjour de Perec à Belgrade, sur les traces de Mila et de ses amis qui l’ont invité à découvrir la capitale la capitale yougolsave. A son retour, il rédige L’Attentat, en quelques semaines.

« Le 8 septembre, il est de retour à Paris. Rendez-vous avec de M’Uzan le 10 – avant d’interrompre peu après l’analyse. À peine revenu, le voici rédigeant dans l’urgence un roman tout imprégné de son expérience yougoslave : L’Attentat de Sarajevo. C’est, littéralement, son premier « Cinquante-Trois Jours ». En effet, tel Stendhal dictant La Chartreuse de Parme en cinquante-deux jours, il dicte le livre à une de ses anciennes camarades du lycée d’Étampes qui avait une formation de sténodactylo, Noëlla Menut12. En cinquante-trois jours ? En tout cas fort vite, en guère plus d’un mois et demi, puisque le 20 décembre le texte, confié au Seuil (via Jean Duvignaud) et aux Lettres nouvelles, a déjà été lu par Jean Paris (au Seuil) et par Maurice Nadeau. Sitôt refusé, L’Attentat de Sarajevo est mis à l’écart : « Je le reprendrai peut-être, mais auparavant, je préfère, pendant un an au moins, creuser jusqu’au bout un sujet nouveau. » Le sujet nouveau, c’est le roman La Nuit qui va devenir Le Condottière. Perec perdra ensuite le tapuscrit de L’Attentat : il ne sera retrouvé qu’après sa mort. » (Claude Burgelin, préface à L’Attentat de Sarajevo, 2016).

Cette lettre permet de confirmer voire de préciser la chronologie de la rédaction : Perec est rentrée le 8 septembre et, ce 25, il indique à Quilliet que le récit – dont il a déjà le titre, sera bientôt achevé. Notons que cette lettre à Bernard Quilliet est la seule qui fasse mention de la rédaction en cours de L’Attentat de Sarajevo : la seule autre lettre connue sur le sujet est une lettre de 20 décembre 1957, à Jacques Lederer : « Paris – 20 déc 57 – Stop – livre refusé mais encouragements extrêmement positifs (…) » (Correspondance, p. 61).

30753

image_pdfimage_print
2 000 
Ce site utilise des cookies pour réaliser des statistiques anonymes de visites.
Ce site utilise des cookies pour réaliser des statistiques anonymes de visites.
Le site est en développement et des améliorations sont en cours. Nous nous excusons pour la navigation qui peut ne pas être optimale
Le site est en développement et des améliorations sont en cours. Nous nous excusons pour la navigation qui peut ne pas être optimale
This site is registered on wpml.org as a development site.