Lettre à André Belamich

Albert Camus

Lettre à André Belamich

“1er août” [1956].
1 p. in-8. Enveloppe conservée, en-tête de la NRF.

Camus s’excuse de ne pouvoir emmener son ami dans le Lubéron : “j’ai avancé mon retour à Paris […]”, poursuivant sa lettre en donnant, avec précision et organisation, les étapes de son voyage : Grasse, Marignane, Nice puis Paris. “Pardon, hélas ! Fais moi signe à Paris pour un petit dîner tranquille, je n’en bouge pas jusqu’au 1er octobre“.

Camus quitte effectivement le domaine de Palerne, où il séjourne depuis le 12 juillet, pour accompagner sa mère à l’aéroport de Marseille-Marignane, le 5 août. Comme prévu, il sera de retour à Paris le 8, afin de pouvoir assister à la première répétition de Requiem pour une nonne.

Le plus intéressant de la lettre est à venir : un post-scriptum, qui nous a été difficile de comprendre de prime abord, eu égard au contexte auquel il fait référence… 20 ans après les faits !

J’ai habité avec Cviklinski et Claude
au Chalet des affamés. C’est là que
Claude a pleuré parce qu’on lui donnait
de la nourriture végétarienne
“.

L’anecdote est lointaine, sans doute en réponse à la lettre de Belamich dont nous ignorons le contenu : ce séjour, il date de 1937. Le lieu, c’est au dessus de Lucinges, en Haute-Savoie, en plein coeur du massif des Voirons. Si il offre un point de vue intéressant sur le lac Léman et le massif du Jura, et un joli départ pour de belles randonnées, il est surtout connu pour avoir été le refuge d’émigrés russes avant la Révolution de 1917. Lénine, alors réfugié à Genève, est lui-même rendre visite à ses compatriotes aux Affamés. L’anecdote, pour Camus et Belamich, membre dans leurs années de lycée du Parti Communiste Algérien, est parlante.

En 1937, Albert Camus fit un séjour à Lucinges, pour son premier séjour dans le sud de la France. C’est son ami Jean Degueurce qui l’accueille, et le mène dans ce chalet, nommé ” le Château des affamés “. En raison de l’inconfort (sans eau courante, sans chauffage et sans électricité), Camus le quitte pour le chalet des “Sans Soucis”, un chalet appartenant au couple de Stanislas et Marguerite Cviklinski. Encore des connaissance d’Alger : Stanislas – alors Stacha – est un ami de Camus, et Marguerite, c’est alors Morella, une jeune algérienne, comédienne à ses heures dans “Le Temps du mépris” de Malraux, un spectacle du Théâtre du travail monté par Camus  – du temps de Révolte dans les Asturies  où elle jouait le rôle d’Anna. Elle épouse le Dr Stanislas Cviklinski l’année suivante de la pièce, en 1935. C’est Stacha Cviklinski qui, en 1942, conseillera à Camus d’aller se faire soigner au Panelier.

Albert Camus semble n’avoir fait qu’une seule allusion à ce séjour (qui n’est détaillé à notre connaissance dans aucune biographie de Camus), dans une lettre à Lucien Bénisti (frère de Louis) du 4 août 1937 : “Mais, je suis arrivé à Lyon dans l’état du voyageur traqué. J’ai choisi le plus facile. Le plus facile était le plus près : Lucinges. On m’y avait offert un chalet (Château des Affamés)  (…) le chalet est proprement inhabitable. C’était une farce. Par bonheur, Mme Cviklinski  (l’ « Anna » du Temps du Mépris) m’a accueilli dans son chalet.»

Cette lettre à André Belamich nous apprend qu’un autre ami du groupe était de la partie : un certain Claude, qui ne peut être que Claude de Fréminville, avec lequel Camus fonde, l’année suivante les éphémères éditions Cafre (CAmus-FREminville). Fréminville, ce qui semble un scoop, ne semblait donc pas porter la nourriture végétarienne dans son cœur !

Camus avait quitté Alger pour Marseille avec ce dernier, le 29 juillet 1937. Arles, Avignon et Orange, Lyon, puis Lucinges puis Paris, puis enfin, à partir du 16 août, un retour dans les Alpes, à Embrun, pour une cure. Ce long séjour, qui se poursuit jusqu’en septembre et jusqu’en Italie, avec Jeanne-Paule Sicard et Marguerite Dobrenn, ses camarades du Parti communiste et amies comédiennes de la maison Fichu, est encore assez mal documenté. Cette lettre permet d’affirmer que Fréminville est alors encore avec lui jusqu’à au moins ce moment. Les deux hommes semblent se séparer ensuite et pour ne se retrouver qu’en septembre, à Marseille.

Les trois hommes (Belamich, Fréminville et Camus) se sont rencontrés en 1932 sur les bancs du cours de philosophie de Jean Grenier et du français de Paul Mathieu au lycée Bugeaud d’Alger, la fameuse « Khâgne africaine ». Belamich deviendra, à l’initiative et avec le soutien de Camus, le traducteur de Garcia Lorca pour le compte des éditions Gallimard et le maître d’oeuvre de son édition dans La Pléiade.

Sur la célèbre photo de la classe d’hypokhâgne du lycée Bugeaud, autour de leur professeur de français Paul Mathieu, André Bélamich, Albert Camus et Claude de Fréminville sont tous les trois présents.

Après avoir participé ensemble à l’aventure du Parti Communiste Algérien, Camus, de Fréminville et Belamich forment avec d’autres penseurs et artistes ce que l’on nomme aujourd’hui “l’Ecole d’Alger” réunissant autour de l’éditeur et libraire Edmond Charlot une génération d’esprits progressistes dont Max-Pol Fouchet, René-Jean Clot, Emmanuel Roblès et Gabriel Audisio formeront la tête pensante et active.

* les illustrations photographiques du Lycée Bugeaud et du site de Lucinges ne sont ici données qu’à titre documentaires.
© D.R.

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