Les Racines du ciel

Romain Gary

Les Racines du ciel

Paris, Gallimard, (26 février) 1957
1 vol. (140 x 210 mm) de 443 p. et [2] f. Broché, jaquette illustrée de l’éditeur.


Exemplaire François Mitterrand.

L’exemplaire est dédicacé sur une édition imprimée deux mois après l’obtention du prix Goncourt (obtenu le 3 décembre 1956).

Envoi signé : « à Monsieur François Mitterand (sic) qui fut le premier à avoir eu, dès 1946, une vision africaine et qui sait qu’on ne peut rien perdre en accordant beaucoup – avec mon admiration pour une certaine oeuvre de sauvetage et de récupération… Romain Gary 1957 ».

La politique africaine est à ce moment là au coeur du paysage politique français, dont François Mitterrand est déjà un acteur important : en 1947, il devient le plus jeune ministre en exercice depuis un siècle, comme Ministre des Anciens Combattants, puis Ministre de l’Intérieur, puis Ministre de l’Outre-Mer. « [L’Afrique noire] était, à l’époque, au lendemain de la guerre, très éloignée de nous. J’y suis allé pour la première fois en 1947. J’avais trente ans et une certaine fraîcheur d’impression. J’ai pénétré dans un monde qui m’a séduit et définitivement retenu. Un monde très divers. Et, dans cet énorme continent qui paraissait en sommeil, je crois avoir perçu les signes du réveil. »

Jeune député de la Nièvre, élu en 1946, l’un de ses premiers vote est en faveur de l’abolition du travail forcé dans les TOM et le sujet le passionne, si bien que, « quand François Mitterrand entre, en juillet 1950, dans le gouvernement que forme René Pleven – l’ancien commissaire aux Colonies du général de Gaulle et organisateur de la conférence de Brazzaville -, Mitterrand, à la surprise générale, demande à être chargé du ministère de la FOM [France d’outre-mer], alors qu’on lui offre l’Éducation nationale. Le choix paraît suicidaire. Même très risqué, il est pourtant réfléchi » (in Paul Bodier, Face à l’administration coloniale, Institut François Mitterrand, 2005).

À un moment où les gouvernements de la IVe République, un à un, s’enferrent dans les problèmes de décolonisation, Mitterrand prend à bras le corps la question coloniale, qu’il considère comme « l’expérience majeure de [s]a vie politique ». Chargé du dossier tunisien, en 1956, le ministre d’Etat qu’il est devenu se prononce pour l’accession de ce pays à une plus large autonomie et s’oppose à la destitution, par les militaires, du sultan du Maroc. Alors que la répression algérienne suscite de plus en plus de remous dans la presse, jusqu’à être comparée aux méthodes de la Gestapo, Mitterrand demande en Conseil des ministres, en novembre 1956, d’engager un cessez-le-feu et des négociations. En vain. Il quittera le gouvernement quelques mois plus tard. « En ce qui concerne le Maroc, la Tunisie, l’Afrique noire ou l’Indochine, il est dans le camp des libéraux, en faveur de la décolonisation, dans la lignée de Pierre Mendès France », note Benjamin Stora. « J’avais cru que la société coloniale pourrait se transformer autrement que par la violence. À l’expérience, j’ai compris qu’elle était, en soi, la violence, que la violence la gouvernait, que la violence lui répondait et que pour sortir du cercle de la violence il fallait sortir de la société coloniale, qu’il n’y avait pas de solution moyenne. L’ayant compris, j’avais mis du temps à l’admettre », acceptant par exemple en 1955 et 1956 sans sourciller les exécutions capitales. Sur ces questions coloniales, Mitterrand publiera deux ouvrages : Aux Frontières de l’Union française, en 1953, et Présence française et abandon, en 1957. Peu enclin à l’autocritique, il confessa au soir de sa vie à son biographe Jean Lacouture : « J’ai commis au moins une faute dans ma vie, celle-là » – car son soutien à la guillotine avait finalement été une impasse, et ce passé pouvait venir ternir son grand geste face à l’Histoire : l’abolition de la peine de mort.

Qu’importe pour Gary, qui exprime ici une forme d’admiration pour l’homme politique. Constant dans ses choix, il se déclarera par la suite ouvertement en faveur de ce dernier dans une tribune du Monde, avant les élections présidentielles de 1974 : « M. Jean Foyer a déclaré que voter pour M. Mitterrand constitue un “reniement” ; le compagnon de la Libération que je suis s’empresse de lui donner raison : je renie M. Foyer et je vais voter pour M. Mitterrand. Je ne comprends pas comment des hommes qui se réclament du général de Gaulle peuvent se rallier à celui qui avait fait échouer la régionalisation et avait invité les Français à voter contre de Gaulle au moment du référendum. Je ne comprends pas comment des hommes […] peuvent s’allier à M. Lecanuet, qui a prononcé au moment de la mort de Charles de Gaulle les paroles que l’on sait […]. J’ai été stupéfait, écoeuré – mais aussi éclairé, – par les intrigues, les traîtrises et les véritables sabotages qui ont suivi la mort du président Pompidou. J’ignorais l’existence des personnalités non élues qui se tenaient à l’ombre, tiraient les ficelles du pouvoir et s’étaient improvisées maîtresses de la succession. Je ne savais pas que c’était ça, la république, la démocratie. J’ai vu alors de quel côté se trouvaient vraiment les poignards et les fioles de Florence, que l’on prête si volontiers à M. Mitterrand. Pour un compagnon de la Libération, ce spectacle était abject, et l’histoire s’en souviendra. Je suis contre les candidatures de la peur et contre la ligne Maginot, politique que l’on veut dresser contre 49 % des Français. Je suis contre le chantage à la “menace communiste” : c’est une technique de Vichy qui fait partie d’une longue tradition fumigène et sert à cacher les vraies trahisons qui se préparent. Je suis contre le vote de classe […]. Je soutenais M. Chaban-Delmas, je vais donc voter pour M. Mitterrand ».

L’exemplaire est dédicacé sur une édition imprimée deux mois après l’obtention du prix Goncourt (obtenu le 3 décembre 1956). Romain Gary est, depuis février, le nouveau consul général de France à Los Angeles. Dès les premiers jours de janvier 1957, la bataille d’Alger oppose l’Armée française au Front de Libération Nationale ; les actes terroristes se multiplient tandis que les militaires français font usage de la torture. La presse américaine, non sujette à la censure, titrait alors sur les atrocités commises par les troupes françaises.

Gary donne, le 4 janvier, une interview à Jean Daniel : « La donnée fondamentale de mon livre est ce que j’appelle la marge humaine… Je m’explique. Je suis a priori contre tous ceux qui croient avoir absolument raison. La phrase est d’Albert Camus. Je suis contre tous les systèmes politiques qui croient détenir le monopole de la vérité. Je suis contre tous les monopoles idéologiques… Tous les systèmes doivent prendre leurs assurances contre l’erreur et, quel que soit leur contenu de vérité, ils ont tous tort dans l’absolu. Dans le cadre de mon livre, j’ai choisi les éléphants, parce que ces bêtes gigantesques donnaient bien l’image de ces valeurs maladroites et difficiles à protéger au coeur de la mêlée idéologique moderne : liberté de la pensée, les droits de l’homme, tolérance, respect de la personne humaine, et une certaine inviolabilité de l’humain… »

Dans ce contexte, Gary demandera quelques mois plus tard à quitter Los Angeles et, plus largement, souhaite sa mettre en retrait de ses fonctions diplomatiques (lettre au ministre des Affaires étrangères, 31 décembre 1957, Archives du ministère des Affaires étrangères, 4/826, cité par Kerwin Spire in Romain Gary, franc-tireur du gaullisme, Littératures, 70 | 2014, pp. 65-77).

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