Paris, Gallimard, coll. « le Manteau et l’Arlequin », (27 mars) 1959.
1 vol. (120 x 190 mm) de 297 p. et [3] f. Broché.
Édition originale.
Pièce en trois actes adaptée du roman de Dostoïevski.
Envoi signé : « à Nathalie [Parain] qui sera dans [LES POSSÉDÉS] comme un poisson dans l’eau, affectueusement Albert Camus ».
« Les Possédés sont une des quatre ou cinq oeuvres que je mets au-dessus de toutes les autres. À plus d’un titre, je peux dire que je m’en suis nourri et que je m’y suis formé. Il y a près de vingt ans en tous cas que je vois ses personnages sur la scène. Ils n’ont pas seulement la stature des personnages dramatiques, ils en ont la conduite, les explosions, l’allure rapide et déconcertante. Dostoïevski, du reste, a, dans ses romans, une technique de théâtre : il procède par dialogues, avec quelques indications de lieux et de mouvements. L’homme de théâtre, qu’il soit acteur, metteur en scène ou auteur, trouve toujours auprès de lui tous les renseignements dont il a besoin ».
Cette adaptation sera le dernière grand chantier de Camus. Il y travaillait depuis plusieurs années – les manuscrits les plus anciens sont datés de 1955 – et les premières répétitions ont lieu à la fin de l’automne 1958. Camus vient juste d’acquérir la maison de Lourmarin en octobre mais doit rentrer à Paris pour travailler d’arrache-pied sur sa pièce, un « spectacle total », selon sa propre expression, qui doit « débuter en feu d’artifice, continuer en lance-flamme, s’achever en incendie ». Malgré la longueur de la pièce – près de quatre heures -, l’accueil est très positif et elle sera jouée sans discontinuer jusqu’à la fin juin à Paris, pour ensuite être montée en province et à l’étranger, dès juillet à Venise – il en assurera lui-même la préparation à la Fenice. Camus, qui passe l’automne à Lourmarin où il travaille au Premier homme, se déplacera pour la première en région, à Reims. Puis, trois mois plus tard, en décembre, à Marseille. C’est au cours de cette représentation que sera prise la dernière photographie publique de l’écrivain. Il devait, quelques semaines plus tard, hériter de la direction du théâtre Récamier : l’ordre de subvention venait d’être signé par Georges Elghozy, conseiller du ministre d’État André Malraux qui avait personnellement suivi ce dossier, auquel Camus tenait tant : « Le théâtre me paraît le plus haut des arts littéraires en ce sens qu’il demande la formulation la plus simple et la plus précise à l’intention du plus grand public possible et, pour moi, c’est la définition même de l’art. »
La nomination officielle, attendue pour le début de l’année 1960, ne viendra jamais : Camus meurt brutalement le 4 janvier.
Les dédicaces de Camus faites dans Les Possédés sont généralement les dernières faites par l’écrivain sur un de ces livres.
Très belle provenance que celle de Natalia Tchelpanova, l’épouse de Brice Parain, originaire de Kiev. Elle avait 20 ans en 1917 lorsque la révolution russe transforme son pays. Étudiante en art, elle rejoint le nouveau VKhUTEMAS (Vysshie khudozhestvenno-tekhnicheskie masterskie ou Studios d’art et technique supérieur de l’État), une école publique également connue sous le nom de « Bauhaus soviétique », dont les idées sur l’art abstrait et le rôle de l’art dans les mouvements sociaux lui feront produire plusieurs illustrations qui se démarquent de la propagande soviétique. Elle marquera l’histoire du livre pour enfants par ses dessins d’inspiration constructiviste, où se lit l’influence de Malevich et sa farouche indépendance. Camus s’en souviendra sûrement lorsqu’il lui offre cet exemplaire, où elle devrait se plaire « comme un poisson dans l’eau ».
Les liens entre les Parain et Camus furent forts et constants : ils hébergèrent l’écrivain en 1944, à Verdelot, dans leur propriété du Pressoir, lorsque Camus, membre du réseau de Résistance Combat, craindra pour sa sécurité et préférera quitter provisoirement Paris.
Leur relation date d’avant-guerre, mais se fortifient à partir de l’année 1943, lorsque Camus s’intéresse de près à la question du langage, centrale chez Brice Parain : il donnera notamment le texte « Sur une philosophie de l’expression », qui sera publié dans la revue clandestine de Pierre Seghers Poésie 44 (n° 17, décembre 1943 et janvier 1944), texte dans lequel se trouve la fameuse citation « Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde, car le mensonge est justement la grande misère humaine, c’est pourquoi la grande tâche humaine correspondante sera de ne pas servir le mensonge […] ».