S.l.n.d. [Paris, Huelva, Boulogne, 1967].
1 tapuscrit (205 x 265 mm) de 241 f. chiffrés de 2 à 219. Broché, sous couverture rose imprimée.
Exceptionnel script original du premier film de Romain Gary.
Son exemplaire, annoté et enrichi continuellement en cours de tournage
La dactylographie comporte sur la couverture les mentions autographes :
« Exemplaire auteur Romain Gary » ainsi que d’autres annotations ; s’y ajoutent une petite centaine de corrections avec, sur une vingtaine de feuillets, des collages des versions corrigées où l’on distingue, par transparence, les passages autographes modifiant le texte, tel qu’il sera donné par les acteurs du film et selon les découpages voulus par Gary.
Au printemps 1967, Romain Gary fomente un nouveau projet : celui de devenir lui-même réalisateur « alors qu’il a toujours été déçu en voyant ses propres films portés à l’écran (…) Adapter une de ses œuvres, devenir réalisateur, faire tourner Jean… trois désirs entremêlés qu’il va mettre en pratique » (Kerwin Spire, in Monsieur Romain Gary, écrivain-réalisateur, p. 142 et sq.). Ses romans étant bien trop importants pour être rapidement adaptés, Gary se tourne alors vers un recueil publié en 1962 : Gloire à nos illustres pionniers. Le livre se compose de seize nouvelles, parmi lesquelles plusieurs ont déjà fait l’objet d’une publication dans des revues ou journaux, en France ou aux États-Unis. L’une des nouvelles, Birds in Peru, est publiée en mars par PlayBoy Magazine : elle est consacrée « best fiction of the year ». Le texte connaîtra une autre édition séparée en langue anglaise, quelques années plus tard, sous le titre A bit of a dreamer, a bit of a fool (Play-Boy pocket n° 3, 1973).
C’est cette nouvelle que Gary choisit pour servir de base au scénario du film qu’il projette : du cousu main pour Jean Seberg, dans le rôle d’une jeune femme nymphomane, mais frigide. L’affaire est rapidement conclue avec les studios Universal Pictures. Romain Gary sera à la réalisation, assisté de Michel Wyn. « J’aurais pu me contenter de reprendre ma nouvelle pour en tirer un scénario et confier la réalisation à quelqu’un d’autre. Mais ce serait me fier à un inconnu, à une autre vision (…) J’ai beaucoup traîné sur les plateaux de cinéma et j’ai déjà écrit plusieurs scénarios mais j’ai besoin de quelqu’un pour la technique cinématographique », explique-t-il à Michel Wyn. Quant à cet étrange titre, Gary s’en explique : « J’ai observé, non loin de Lima, une plage où les oiseaux, chassés des îles voisines par le froid, viennent expirer sur le sable chaud. Cette anecdote m’a inspiré une intrigue : une jeune femme a un rendez-vous sur cette plage où elle vient chercher la mort (…) Chaque matin pendant les deux mois de l’été 1967, l’assistant metteur en scène va se rendre rue du Bac pour travailler sur le scénario et accoucher les idées que Romain Gary a à l’esprit » (Spire).
L’ensemble formera ce script, que Romain Gary va amender ou modifier au cours du tournage, qui aura lieu en trois lieux : les studios de Boulogne, quai du Point-du-Jour, début octobre, puis dans la petite ville de Huelva, en Espagne, pour un mois ; enfin, un dernier arrêt à Madrid, pour les scènes de nuit sur la plage – 50 m2 reconstitués en studio – et c’est « dans la boîte », direction les studios Éclair à Orly et le montage final – et une dernière péripétie à régler : trouver une « île à guano », sans aller jusqu’en Amérique du Sud. Universal Studios la dégotera au large de la Mauritanie, grâce à l’assistance d’un ornithologue du muséum d’Histoire naturelle : l’île d’Arel. Un aller-retour éclair pour, dixit Wyn « le plus beau spectacle de ma vie ». L’assemblage peut ensuite commencer en décembre pour les rushes tournés à Paris, Huelva, Madrid et Arel.
« Le montage est une technique que Romain Gary maîtrise parfaitement : cela fait vingt ans que je fais de la mise en scène (…) ; chaque fois que je décris quelque chose dans un roman, je le vois, je donne des directions scéniques, je décris ce qui se passe exactement comme si je faisais du cinéma… Même sur les épreuves. C’est comme un jeu de montage » (in Spire). Le 3 avril 1968, la commission de contrôle des œuvres cinématographiques s’est réunie à huis clos, après une projection privée. Au terme du délibéré, l’interdiction totale, pure et simple, du film, est signifiée à Romain Gary. Motif : « atteinte aux bonnes moeurs et trouble à l’ordre public…attendu que le film traite de frigidité féminine en termes tragiques allant jusqu’au suicide… attendu que six névroses féminines sur dix sont causées par la frigidité… Les Oiseaux se cachent vont mourir au Pérou risque de pousser au suicide des femmes atteintes de frigidité… ». Stupéfaction. Romain Gary, qui a rencontré en privé de Gaulle en décembre, en réfère en hauts lieux. Le lendemain, une projection est organisée au ministère de l’information, alors sous la tutelle de Georges Gorse. « Au bout de ces 95 mn, le ministre reste silencieux. A ses côtés, son directeur de cabinet mâchonne frénétiquement la branche de ses lunettes sans cacher combien elles lui ont été pénibles. Stoïque, le ministre se tourne vers Romain Gary en affichant une moue dubitative. Gary défend sa cause. Et le ministre s’y range : « je m’assois sur leur avis. Je vais vous donner le visa d’exploitation. Mais vous me couperez les scènes les plus osées, et le film reste interdit aux mineurs de moins de dix-huit ans ». Marché conclu. Poignée de mains franche entre les deux hommes. Sortie de salle : le 19 juin 1968 ».
Joints :
•Les deux numéros de Playboy où paraissent la nouvelle (en 1964 et 1973).
•Plusieurs photographies en tirage d’époque, sur le tournage : Gary et Seberg, entre deux prises (cliché de plateau, Universal Pictures) ; Gary, Brasseur et Ronet, sur la plage à Huelva ; Maurice Ronet et Jean Seberg, pour plusieurs scènes sur la page ; plusieurs portraits de plateau de Jean Seberg, Maurice Ronet, Jean-Pierre Kalfon et Pierre Brasseur ensemble ; Gary et Danielle Darrieux… Une photographie montre Jean Seberg, au repos entre deux scènes, à Huelva : on y aperçoit clairement la boîte des cigares Montecristo posée sur la veste de Gary, et surtout le script de ce dernier – celui proposé ici et qui l’accompagna tout au long de ces deux mois de tournage.
Kerwin Spire, Monsieur Romain Gary, écrivain-réalisateur, Gallimard, 2022.
27646
9 000,00 €
© Librairie Walden