Paris, Les Bibliophiles de l’Union française, (31 octobre) 1956
1 vol. de (340 x 445 mm) de [84] p. En feuilles, sous chemise et étui éditeur.
Édition illustrée de 10 eaux-fortes originales d’André Masson.
Tirage limité à 116 exemplaires numérotés sur Auvergne du Moulin Richard de Bas, (dont 100 nominatifs,
et XVI réservés aux collaborateurs), signés de l’auteur, de l’illustrateur et de Léon Léal, président de la Société des bibliophiles de l’Union française.
Exemplaire numéro I, nominatif pour Jean Paulhan.
Envoi signé : « Le fort est fort ; mais celui qui sait user de hain-teny est plus fort encore (ohabolana). Pour Maurice Genevoix, en souvenir du 24 janvier 1963, son vieil ami. Jean Paulhan ».
Trois années passées à Madagascar ont amené Jean Paulhan à recueillir des centaines de proverbes malgaches, à les classer, à les mettre en fiches, à les traduire : ce sont les hain-teny. Genre littéraire issu de la tradition orale de Madagascar à partir d’une poésie populaire énigmatique et souvent érotique utilisée pendant des joutes verbales amicales, ils avaient aussi une fonction sociale de résolution des conflits. Paulhan en donne connaissance pour la première fois en 1912, avec un article « Les hain-teny merinas » publié dans le Journal asiatique (t. XIX, janvier-février 1912, p. 133-162) et en donnera deux éditions majeures, l’une chez l’éditeur orientaliste Paul Geuthner en 1913, l’autre chez Gaston Gallimard en 1938-1939. L’introduction de 1939 est reprise ici pour cette édition illustrée, dans laquelle il précise la définition de ses Hain-Teny : « C’est un amour singulier, dont traitent les Hain-Teny : qui n’est pas l’amour sensuel et contemplatif de la poésie arabe, ni la passion romantique ou le simple caprice. Plutôt ferait-il songer aux joutes de l’amour courtois. C’est un amour disputeur et méticuleux, qui évoque à tout instant quelque querelle avec le proverbe qui vient la dénouer ». Comme généralement chez Paulhan, il fait précéder sa dédicace d’une maxime ; ici un ohabolana (proverbe, en malgache).
Si Paulhan avait rendu compte de Raboliot, prix Goncourt 1925, dans La Nouvelle Revue française (t. XXVI, n° 148, 1er janvier 1926, p. 121-122), les lettres que Maurice Genevoix lui a adressées ne sont attestées que depuis 1960. Et c’est probablement par l’Académie française que leur amitié se renforce voire se crée. Genevoix y entre en 1946 ; Paulhan en 1963.
La dédicace fait expressément référence à ce moment, puisque le 24 janvier 1963 est la date de son élection sous la coupole, au fauteuil de Pierre Benoit. C’est Maurice Garçon qui le reçut, le 27 février 1964. À l’Académie française, entre autres travaux, Jean Paulhan fournira l’article « Jules Renard » pour la publication Gloires de la France par les quarante membres de l’Académie française (Paris, Librairie académique Perrin, 1964), avec un avant-propos de Genevoix, qui, depuis 1958, assume la charge de secrétaire perpétuel. Il l’endossera pendant quinze ans, jusqu’en 1973.
Que Paulhan offre à Genevoix son exemplaire nominatif et n° I ne peut pas être un acte désintéressé, et constitue une vraie marque d’hommage qui relie plusieurs mondes, ailleurs apparemment éloignés, sinon incompatibles. On peut y voir le croisement des racines des années de formation – qu’elles soient de la terre malgache et de celles de la Nièvre -, celui des réflexions sur le langage, si cher aux deux écrivains, et le respect dû à l’institution académique, pour deux hommes d’une même génération (Paulhan est né en 1884, Genevoix en 1890) ayant connu les deux guerres mondiales et ayant combattu sur le front de la première, l’un sergent du 9e Zouaves, blessé en décembre 1914, l’autre, lieutenant au 106e régiment d’infanterie, blessé en 1915.
Presque cinquante ans après leur première collecte, ces « poèmes à charpente de proverbes » reparaissent au côté des images d’André Masson, qui pour eux s’était d’abord exercé aux crayons de couleur. Jean Paulhan les aime et reconnaît du cran à leur auteur. « [Je suis] touché et ravi que mes gravures polychromes pour les H.T. vous aient plu. Mais ce cran que vous voulez bien m’accorder, je dois dire qu’il me semble venir beaucoup des nécessités du procédé – des exigences du matériau. Je finirai par croire que la matière, souvent, se sert du peintre, comme l’arc se sert du tireur selon la doctrine zen », lui répond le peintre, dans une lettre du 16 janvier 1957. Masson, par ailleurs, aura peint de façon unique la chemise et l’étui des 116 exemplaires édités, renforçant ainsi la singularité propre de chacun. Un travail et une oeuvre de peintre salués par Paulhan, lequel n’aura jamais été avare de louanges : « le plus grand peintre français », écrit-il à divers correspondants.
Pour l’histoire de cet ouvrage, voir les nombreuses lettres de Félia et Léon Léal à Jean Paulhan ; Berne-Joffroy, Jean Paulhan à travers ses peintres, 1974, n° 426 ; Chapon, Le Peintre et le Livre, p. 165 ; Levaillant, André Masson, Royaumont, 1985, p. 18 ; Masson-Giraud-Badin, 67 ; Monod, 8907 ; Saphire-Cramer, n° 36 ; Bakoly Domenichini-Ramiaramanana, Du ohabolana au Hainteny, 1983 ; Bernard Baillaud, Les Écrits de Jean Paulhan, Bibliographie, Société des lecteurs de Jean Paulhan, 2025, p. 414.
Nous remercions Bernard Baillaud pour l’éclairage et l’aide bibliographique, éléments précieux à la rédaction de cette notice.