Les Fleurs du mal

Charles Baudelaire

Les Fleurs du mal

Paris, Poulet-Malassis & de Broise, 1861.
1 vol. (130 x 198 mm) de 2 f., portrait, 1 f., 319 p. Demi-chagrin brun, dos à nerfs, titre doré, tr. mouchetées (reliure fin du XIXème), sous coffret.


Deuxième édition en grande partie originale.
Elle est augmentée de 35 nouvelles pièces qui ne figuraient pas dans l’édition de 1857.

Il est bien complet du portrait de Baudelaire par Bracquemond, souvent manquant ; « quand il existe, c’est avec la plus grande fantaisie : variété des papiers et diversité des états […] » (Oberlé). Il est ici dans l’un des deux états originaux, avec les signatures de Bracquemond et de Delâtre, et le sous-titre Ch. Baudelaire en capitales maigres, centré sous le portrait. Ce portrait ouvre l’édition de référence des Fleurs du mal, donnée par Baudelaire lui-même comme l’édition complète et définitive du plus fameux recueil de poésies du XIXe siècle.

Envoi signé (à la mine de plomb) :

« À M. Jules Noriac,
Témoignage d’amitié.
C.B.
»

 

Sur la provenance :

Jules Noriac est l’un des animateurs et initiateurs de La Revue fantaisiste, la plus célèbre – et la plus éphémère – revue de l’avant-garde poétique du milieu du XIXe siècle. C’est sa plume qui ouvre le premier numéro : Catulle Mendès et Leconte de Lisle, les deux fondateurs, ont donné à Noriac la charge de l’éditorial.

Baudelaire va publier dans la revue neuf poèmes, parmi ses plus connus, et nombre de portraits de ses Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains. Sa dernière contribution, dans la dernière livraison de novembre 1861, sera un conte d’Edgar Poe, Eleonora.

Jules Cayron, véritable nom de Noriac, avait auparavant fondé à Bordeaux un périodique théâtral, Les Coulisses. Il a publié plusieurs fantaisies : La Monographie du préjugé, Le Manuel du courriériste et Le 101e Régiment, qui l’a rendu célèbre. La Bêtise humaine confirma son succès en 1860 et renforça l’engouement de la jeunesse littéraire pour lui. C’est à la suite de cette parution que Leconte de Lisle lui propose de collaborer à sa revue naissante.

« Tous les poètes d’alors vinrent à la Revue fantaisiste (…) elle comptait parmi ses collaborateurs la plupart des journalistes célèbres du temps, Jules Noriac, Charles Bataille, Charles Monselet, et Aurélien Scholl, poètes aussi ! Leur présence parmi nous était sans doute un présage de la réconciliation future entre l’article de journal et la poésie, entre les chroniqueurs et les Parnassiens » (in La Légende du Parnasse contemporain).

Jules Noriac signe donc la lettre-éditorial de la première livraison (15 février 1861), celle-là même où Catulle Mendès évoque la représentation du Tannhäuser de Wagner en France et la publication des oeuvres du compositeur, qui vient fort « à propos pour l’homme et son oeuvre, si mal jugés jusqu’ici ». Wagner écrira le 24 mars 1861 à Noriac, pour le remercier des « encouragements qu’il a reçus de la jeune génération ».

Au premier rang d’entre eux, Charles Baudelaire, qui lui avait écrit dès le 17 février une longue lettre dans laquelle il exprimait toute son admiration avec ses mots restés célèbres : « je vous dois la plus grande jouissance musicale que j’aie jamais éprouvée ».

Le Tannhäuser de Baudelaire, paru entretemps, est signalé dans la sixième livraison (1er mai) de la Revue fantaisiste : « M. Ch. Baudelaire écrit une défense vigoureuse et convaincue de Richard Wagner et du Tannhäuser ». Le début, à partir du mois de mai, d’une collaboration intensive de Baudelaire avec Mendès et Noriac, avec de nombreuses études consacrées à ses contemporains qui s’imposent comme de véritables manifestes poétiques : les Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains (Eugène Delacroix, Pierre Dupont, Auguste Barbier, Leconte de Lisle, Léon Cladel, Théophile Gautier, Pétrus Borel, Victor Hugo), auxquelles s’ajouteront neuf poèmes, dont « Le Crépuscule du soir », « L’Horloge », « La Chevelure », « L’Invitation au Voyage » ou « Les Veuves ».

C’est à ce moment-là que Noriac – et tous – découvrent en revue les chefs-d’oeuvre ajoutés aux Fleurs du mal. La Revue fantaisiste s’en veut le porte-drapeau, créant ainsi une ligne de partage entre deux sortes de poètes – ceux de l’avant-garde et les autres, les premiers ayant été majoritairement publiés par Poulet-Malassis, leur éditeur attitré. Trente ans après, c’est une nouvelle bataille d’Hernani qui fait rage entre les anciens et les modernes.
Avant la suivante :

« Vingt-cinq ans plus tard, une autre revue, La Vogue, conduite par une nouvelle génération viendra clore cette modernité amorcée et revendiquée par la Revue fantaisiste. La modernité poétique de la fin du XIXe siècle français s’illustre et se concrétise avec ces deux revues. Chacune d’elle tient autour d’une figure centrale : Baudelaire d’un côté, Rimbaud (qui qualifiait Baudelaire de «vrai dieu») de l’autre » (Jean-Baptiste de Proyart, in Notice pour La Revue fantaisiste).

Les Fleurs du mal :

C’est donc précisément au beau milieu du « tumulte Wagner » et au moment de la naissance de La Revue fantaisiste que paraissent Les Fleurs du mal, dans la première semaine du mois de février. Bien davantage qu’une deuxième édition, cette version des Fleurs du mal est l’aboutissement de la grande oeuvre baudelairienne et la seule version retenue par l’histoire et la littérature.

Depuis quatre ans, Baudelaire a travaillé intensément sur son recueil majeur. Il pense d’abord simplement remplacer les six poèmes supprimés par la censure, mais dès novembre 1858, il informe Poulet-Malassis « qu’au lieu de six fleurs, j’en ferai vingt ». C’est alors le début d’une complète réécriture du recueil et de sa recomposition complète, qui voit l’ensemble se modifier considérablement : trente-cinq nouveaux poèmes prennent place – certains parmi les plus importants.

1 500 exemplaires de cette édition sont imprimés (soit 400 de plus que la première édition de 1857). On peut supposer qu’un nombre à peu près identique eurent droit à une dédicace – peut-être moins, 50 à 70 exemplaires étant un chiffre communément admis.

[55] exemplaires de l’édition originale des Fleurs du Mal avec envoi documenté sont aujourd’hui connus, tous à l’encre noire, hormis quelques-uns au crayon noir – ces derniers parce qu’ils ont été portés postérieurement, comme l’exemplaire à l’avocat Chaix d’Est-Ange ou celui offert à Bracquemond, dont la dédicace est suivie de cette note du poète : « La deuxième édition, ‘complètement remaniée’, contient plus de 35 poëmes nouveaux. Cette première édition n’a donc pas d’autres mérites que de contenir 6 poëmes condamnés par jugement du 20 août [sic]1857 ». Cet exemplaire Bracquemond, relié à l’époque par Lortic, Baudelaire l’offre lors de son séjour à l’Hôtel de Dieppe, où il doit poser pour le graveur, qui travaillait au portrait-frontispice de l’édition à venir, après un premier refus du poète : « Bracquemond avait déjà réalisé une image allégorique (squelette-arbre derrière des fleurs), que Baudelaire refusa, la dénommant « l’horreur de Bracquemond » (Claude Pichois et Jean Ziegler, Baudelaire, Fayard, 2005, page 534). Ce fut donc un portrait de l’auteur des plus simples, fait d’après le portrait photographique de Nadar et amélioré après cette séance de pose, qui fut dessiné puis gravé, à l’eau-forte par Auguste Delâtre. Une fois tiré, Auguste Poulet-Malassis pouvait publier Les Fleurs du mal dans la première semaine de février 1861.

Les exemplaires dédicacés de l’édition de 1861 des Fleurs du mal :

Aucun recensement – officiel – n’ayant été fait, on ne peut que supposer leur nombre. Nos archives, tenues sur une quinzaine d’années, nous livrent 28 exemplaires. Il doit en exister évidemment bien davantage – sans doute autant que pour l’édition de 1857. Même si, les archives le montrent, Poulet-Malassis souhaite freiner les ardeurs de Baudelaire d’un service de presse élargi. Il n’est pas impossible, de fait, que nettement moins de dédicaces furent faites pour la deuxième édition des Fleurs du mal. Le recensement actuel va en tout cas dans cette direction.

L’exemplaire de Jules Noirac ne nous était pas connu et ne figure dans aucune archive d’exemplaires proposés sur le marché, jusqu’à sa récente découverte.

Sur les 28 exemplaires que nous avons recensés, 8 seulement sont en reliure d’époque. La nôtre, en demi-maroquin brun, non signée, est de bonne facture. Notons qu’une poignée seulement de dédicataires (moins de dix) semblent être récipiendaires des deux éditons : « À côté de Paul de Saint-Victor, mentionnons que Marie Daubrun, Théodore de Banville, Leconte de Lisle, Victor Hugo, Edmond Texier, Frédéric Dulamon, Auguste Préault furent peut-être les seuls destinataires qui reçurent un exemplaire avec envoi des deux premières éditions, les autres récipiendaires de la seconde édition (…) étant apparemment différents. Quant au texte même des envois, nous ne le commenterons pas, nous bornant à noter qu’il est presque toujours d’une grande sobriété, et que Baudelaire semble affectionner la formule ‘témoignage d’amitié’ » (Goujon et Bogousslavsky).

Baudelaire livra en effet à son éditeur une grande « liste de distribution » pour la diffusion de son livre : une quarantaine de noms, à qui le poète voulait l’envoyer. Mais Auguste Poulet-Malassis se montre logiquement plus sensible aux questions financières et se propose de ramener les désirs de l’auteur à de plus modestes proportions, s’opposant à de nouveaux tirages sur grands papiers ou refusant plusieurs envois gracieux à la perspective d’obtenir des articles en retour : « inutile », « inutile, à moins qu’il ne promette ».

Cette liste de dédicataires, passée en vente (in Collection Baudelaire, Osenat, novembre 2018, n° 16) ne concerne que les « seconds couteaux » à qui le poète souhaite, pour des raisons de stratégie éditoriale, envoyer son livre. Jules Noriac n’y figure pas : c’est la preuve de la proche relation entre les deux hommes puisque, dans cette liste, n’apparaissent que les envois« relationnels » et aucun aux proches amis et connaissances d’importance, qui firent l’objet d’une liste à part, et bien plus succincte.

Cette proximité est confirmée lorsque, dans une autre « Liste de distribution pour mes livres », dressée peu avant sa candidature à l’Académie française, Charles Baudelaire donne une centaine de noms qui sont classés en trois rubriques : « Académie », « Amis », « Presse » : Jules Noriac y figure, inclus dans la deuxième section, celle de ses « amis », aux côtés de Champfleury, Flaubert, Leconte de Lisle, Rouland, Manet, Daumier, Gavarni, Nadar, Rops ou Hetzel.

Des divers projets de « Préface » à son recueil, qu’il abandonna par la suite, Baudelaire écrivait : « S’il y a quelque gloire à n’être pas compris, ou à ne l’être que très peu, je peux dire sans vanterie, que, par ce petit livre, je l’ai acquise et méritée d’un seul coup. Offert plusieurs fois de suite à divers éditeurs qui l’ont repoussé avec horreur, poursuivi et mutilé, en 1857, par suite d’un malentendu fort bizarre, lentement rajeuni, accru et fortifié pendant quelques années de silence, disparu de nouveau, grâce à mon insou¬ciance, ce produit discordant de la Muse des derniers jours, […] ose affronter aujourd’hui […] le soleil de la sottise ».

Carteret, I, p. 124 ; Clouzot 27 ; Talvart I, 9B ; Vicaire I, 343-344 ; Oberlé, 216 ; Pichois, p. 191 ; Launay, 141 ; “L’Exemplaire des Fleurs du Mal Dédicacé à Félix Bracquemond”, Mercure de France, 1 juillet 1952 ; J. Bogousslavsky et J.-P. Goujon, “Dédicaces sur les éditions originales des Fleurs du Mal”, in Histoires littéraires, n° 64, 2015.     

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