Les Fleurs du mal

Charles Baudelaire

Les Fleurs du mal

Paris, Poulet-Malassis & de Broise, 1861
1 vol. (130 x 198 mm) de 2 f., portrait, 1 f., 319 p. ch. Demi-maroquin brun, dos à nerfs, titre doré (reliure de l’époque).

 

Deuxième édition en grande partie originale.
Elle est augmentée de 35 [32] nouvelles pièces qui ne figuraient pas dans l’édition de 1857.

 » Après la condamnation de 1857 et la suppression de six poèmes, B.[audelaire] doit recomposer son recueil d’autant que, dès août 1858, le catalogue des éditions Malassis et De Broise mentionne que la première édition est épuisée. Le 1er janvier 1860 est signé un nouveau contrat  » (Pichois). C’est la plus complète des éditions ; aux poèmes de l’édition de 1857, dont certains ont été remaniés, s’ajoutent 32 nouvelles pièces, soit un total de 126 poèmes (plus la préface Au Lecteur, présente dans toutes les éditions mais non numérotée). Une nouvelle section – la deuxième de six – apparaît sous le titre Tableaux parisiens. L’édition se présente comme « augmentée de 35 poëmes nouveaux », mais le poème  » Un Fantôme  » (XXXVIII), si il se compose de 4 sonnets distincts, ne compte que pour une seule pièce.


L’édition de référence
, donnée par Baudelaire lui-même comme l’édition complète et définitive du plus fameux recueil de poésies du XIXe siècle.
Il est bien complet du portrait de Baudelaire par Bracquemond, souvent manquant ; « quand il existe, c’est avec la plus grande fantaisie : variété des papiers et diversité des états […] » (Oberlé).

Envoi signé (à la mine de plomb) :

« À M. Jules Noriac,
témoignage d’amitié.
C.B.
»

 

 Jules Cayron, véritable nom de Noriac, avait fondé à Bordeaux un périodique théâtral, Les Coulisses. Il a publié plusieurs fantaisies, telles que La Monographie du préjugé et Le Manuel du courriériste, ainsi qu’une fantaisie satirique, Le 101e Régiment, qui l’a rendu célèbre. Il a publié La Bêtise humaine en 1860, qui confirma son succès et renforça l’engouement de la jeunesse littéraire pour lui.

Il fut l’un des collaborateurs réguliers de la Revue fantaisiste, comme Baudelaire : « Tous les poètes d’alors vinrent à la Revue fantaisiste (…) elle comptait parmi ses collaborateurs la plupart des journalistes célèbres du temps, Jules Noriac, Charles Bataille, Charles Monselet, et Aurélien Scholl, poètes aussi ! Leur présence parmi nous était sans doute un présage de la réconciliation future entre l’article de journal et la poésie, entre les chroniqueurs et les Parnassiens » (in La Légende du Parnasse contemporain).

Jules Noriac y signe la lettre-éditorial de la première livraison (15 février), celle-là même où Catulle Mendès évoque la représentation du Tannhäuser de Wagner en France et la publication de ses œuvres, qui vient fort « à propos pour l’homme et son œuvre, si mal jugés jusqu’ici ».Wagner écrira le 24 mars 1861 à Noriac, afin de le remercier des « encouragements qu’il a reçus de la jeune génération ». Au premier rang d’eux, Charles Baudelaire, qui avait écrit au compositeur allemand dès le 17 février une longue lettre dans laquelle il exprimait toute son admiration : « je vous dois la plus grande jouissance musicale que j’aie jamais éprouvée ».

Dans la sixième livraison (1er mai), Mendès signalera le Tannhäuser du poète, paru entretemps :
« M. Ch. Baudelaire écrit une défense vigoureuse et convaincue de Richard Wagner et du Tannhäuser. ».

C’est le début, à partir du mois de mai, d’une collaboration intense de Baudelaire avec Mendès et Noriac, où le poète livre de nombreuses études consacrées à ses contemporains qui s’imposent comme de véritables manifestes poétiques : les Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains (Eugène Delacroix, Pierre Dupont, Auguste Barbier, Leconte de Lisle, Léon Cladel, Théophile Gautier, Pétrus Borel, Victor Hugo), auxquelles s’ajouteront neuf poèmes, dont Le Crépuscule du soir, L’HorlogeLa Chevelure, L’Invitation au Voyage ou Les Veuve.  Les textes de La Revue fantaisiste créent une ligne de partage entre deux sortes de poètes – ceux de l’avant-garde et les autres, les premiers ayant été majoritairement publié par Poulet-Malassis, leur éditeur attiré.

« Vingt-cinq ans plus tard, une autre revue, La Vogue, conduite par une nouvelle génération viendra clore cette modernité amorcée et revendiquée par la Revue fantaisiste. La modernité poétique de la fin du XIXe siècle français s’insère entre ces deux revues. Chacune d’elle tient autour d’une figure centrale : Baudelaire d’un côté, Rimbaud (qui qualifiait Baudelaire de “vrai dieu”) de l’autre » (Jean-Baptiste de Proyart, notice pour La Revue fantaisiste).

C’est précisément au beau milieu du tumulte Wagner et au moment de la naissance de la Revue fantaisiste que paraissent les Fleurs du mal, dans la première semaine du mois de février.
Bien davantage qu’une deuxième édition, cette version des Fleurs du mal est l’aboutissement de la grande œuvre baudelairienne et la seule version retenue par l’Histoire et la littérature.

Depuis 1857, Baudelaire a travaillé intensément sur son recueil majeur. Il doit d’abord simplement remplacer les six poèmes ceux supprimés par la censure, mais dès novembre 1858, il informe Poulet-Malassis « qu’au lieu de six fleurs, j’en ferai vingt. ». C’est alors le début d’une complète réécriture du recueil et de sa recomposition complète, qui voit l’ensemble se modifier considérablement : trente-cinq nouveaux poèmes prennent place – certains parmi les plus importants du poète.

1500 exemplaires sont imprimés – soit 400 de plus que la première édition. On peut supposer qu’un nombre à peu près identique d’une petite centaine d’exemplaires eurent droit à une dédicace. 53 exemplaires de l’édition originale des Fleurs du Mal avec envoi documenté sont connus, toutes à l’encre noire, hormis quelques-unes au crayon noir : celle à l’avocat Chaix d’Est-Ange et quelques autres dédicaces postérieures, effectuées à l’époque de l’édition de 1861. Comme celle portée au crayon sur l’édition de 1857 offerte en 1861 à Bracquemond :

« A M. Bracquemond, / témoignage d’amitié, / C. B. », qui est suivie de cette note du poète :

« La deuxième édition, « complètement remaniée », contient plus de 35 poëmes nouveaux. Cette première édition n’a donc pas d’autres mérites que de contenir 6 poëmes condamnés par jugement du 20 août [sic] 1857
».

Cet exemplaire relié à l’époque par Lortic en demi-maroquin appartenait à Baudelaire. Celui-ci l’offrit en 1861 à Bracquemond, lequel avait accepté de se déplacer à l’Hôtel de Dieppe où logeait le poète, qui devait poser pour son portrait. Le graveur travaillait en effet au portrait-frontispice pour l’édition de 1861 : « Bracquemond avait déjà réalisé une image allégorique (squelette-arbre derrière des fleurs), que Baudelaire refusa, la dénommant « l’horreur de Bracquemond » (Claude Pichois et Jean Ziegler, Baudelaire, Fayard, 2005, page 534). Ce fut donc un portrait de l’auteur des plus simples, sans doute fait d’après le portrait photographique de Nadar, qui fut dessiné puis gravé, à l’eau-forte par Auguste Delâtre. Une fois tiré, Auguste Poulet-Malassis pouvait publier Les Fleurs du mal dans la première semaine de février 1861.

 

Combien d’exemplaires dédicacés de l’édition de 1861 sont connus ?

Aucun recensement n’ayant été fait, on ne peut que supposer leur nombre. Notons déjà qu’une poignée seulement de dédicataires semblent être récipiendaires des deux éditions : « À côté de Paul de Saint-Victor, mentionnons que Marie Daubrun, Théodore de Banville, Leconte de Lisle, Victor Hugo, Edmond Texier, Frédéric Dulamon, Auguste Préault furent peut-être les seuls destinataires qui reçurent un exemplaire avec envoi des deux premières éditions, les autres récipiendaires de la seconde édition, plus nombreux que ceux de l’édition originale, étant apparemment différents. Quant au texte même des envois, nous ne le commenterons pas, nous bornant à noter qu’il est presque toujours d’une grande sobriété, et que Baudelaire semble affectionner la formule ‘témoignage d’amitié’ » (Goujon et Bogousslavsky).

Charles Baudelaire livra à son éditeur une grande « liste de distribution » pour la diffusion de son livre : une quarantaine de noms, à qui le poète voulait envoyer son livre. Auguste Poulet-Malassis s’y montre logiquement plus sensible aux questions financières, et se propose de ramener les désirs de l’auteur à de plus modestes proportions, s’opposant à de nouveaux tirages sur grands papiers ou refusant plusieurs envois gracieux à la perspective d’obtenir des articles en retour : « inutile », « inutile, à moins qu’il ne promette ». Jules Noriac n’y figure pas : c’est la preuve de la proche relation entre les deux hommes, puisque, dans cette liste, ne figure que les envois « relationnels », et aucun concernant les proches amis. Le service de presse pour des exemplaires avec envoi fut donc réservé à un nombre restreint de personnes, et, selon les restrictions de Poulet-Malassis, à destination des plus proches destinataires de Baudelaire.
Il est vraisemblable que leur nombre soit, in fine, inférieur à celui des envois de l’édition de 1857.

Cette proximité est confirmée lorsque, dans une autre « Liste de distribution pour mes livres », dressée peu avant sa candidature à l’Académie française, Charles Baudelaire donne une centaine de noms qui sont classés en trois rubriques : « Académie », « Amis », « Presse » : Jules Noriac y figure, inclus dans la deuxième section, celle de ses  » amis « , aux côtés de Champfleury, Flaubert, Leconte de Lisle, Rouland, Manet, Daumier, Gavarni, Nadar, Rops ou Hetzel.

Des divers projets de « Préface » à son recueil, qu’il abandonna par la suite, Baudelaire écrivait :
« S’il y a quelque gloire à n’être pas compris, ou à ne l’être que très peu, je peux dire sans vanterie, que, par ce petit livre, je l’ai acquise et méritée d’un seul coup. Offert plusieurs fois de suite à divers éditeurs qui l’ont repoussé avec horreur, poursuivi et mutilé, en 1857, par suite d’un malentendu fort bizarre, lentement rajeuni, accru et fortifié pendant quelques années de silence, disparu de nouveau, grâce à mon insouciance, ce produit discordant de la Muse des derniers jours, […] ose affronter aujourd’hui […] le soleil de la sottise ».

 

 

Carteret, I, p. 124 ; Clouzot 27 ; Talvart I, 9B ; Vicaire I, 343-344 ; Oberlé, 216 ; Pichois, p. 191 ; Launay, 141 ; L’Exemplaire des Fleurs du Mal Dédicacé à Félix Bracquemond », Mercure de France, 1 juillet 1952 ; J. Bogousslavsky et J.-P. Goujon, Dédicaces sur les éditions originales des Fleurs du Mal, in Histoires littéraires, n° 64, 2015.

 

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