Le Veuf

Georges Simenon

Le Veuf

« Noland », Echandens (Vaud, Suisse), du 7 au 15, puis du 25 au 28 juillet 1959.
1 vol. (210 x 265 mm) de 38 p. [manuscrit], 159 p. [dactylographie], enveloppe jaune (162 x 227 mm), et calendrier « PanAm » (400 x 230 mm). Pleine toile grise, dos rond, pièce de titre rouge, titre doré (étiquette de l’atelier de reliure van Vlijmen, Lausanne).


Ensemble exceptionnel permettant de suivre toute la genèse du roman, depuis sa conception
 : plan préparatoire sur l’enveloppe jaune, le manuscrit de premier jet, le tapuscrit corrigé et le calendrier de travail. Le tout est réuni dans une reliure pleine toile, commandée par Simenon, à l’identique des autres manuscrits qu’il a conçu à cette période. Les manuscrits ainsi conservés se trouvent au fonds Simenon de l’Université de Liège ou bien dans le fonds des Archives Simenon à Lausanne. Les manuscrits circulant entre mains privées sont en général plus anciens, des années 1930 ou 1940 : Simenon en a offert quelques-uns et la plupart sont ceux qui avaient été vendus aux enchères en 1943, au profit des prisonniers de guerre. Simenon, par la suite, ne se défera que très rarement de ses manuscrits.

Un ensemble ainsi composé et complet de tous ses éléments (enveloppe, calendrier, manuscrit et dactylogramme) est rarissime. Ce jeu d’est d’autant plus exceptionnel qu’il s’agit d’un des quatre – et seuls – manuscrits qui furent offerts à ses enfants, par ailleurs dédicataires des ouvrages publiés.

  • Le premier élément est l’enveloppe jaune, qui fait partie d’un rituel dans la méthode d’écriture de Simenon : c’est la première trace écrite de son travail, « comme le lieu où [il] inscrit les éléments concrets qui l’aident à appréhender son personnage et comme la réserve ou l’aide-mémoire où il puisera (ou retrouvera) au moment de la réaction, les détails décris – chiffres, noms propres dont il a besoin. Elle est quelque chose somme toute d’assez déconcertant : c’est le roman moins ses deux composantes essentielles : la personnalité du héros et l’intrigue… Les à-côtés sans le principal » (C. Gothiot-Mersch, « Simenon et la gestion de l’écriture romanesque », Traces, n° 2, 1990, p. 110).

Simenon crée les personnages, principaux et secondaires en utilisant « le résidu des détails révélés » comme il dit : tous entrent en scène au premier chapitre. Il invente les autres personnages au fur et à mesure du déroulement de l’action. C’est seulement à ce moment-là qu’il choisit un état civil à ses personnages. Pour cela, il dispose d’une collection complète d’annuaires de tous les pays. Il recherche environ trois cents noms qu’il recopie. Pendant une heure, tout en marchant dans son bureau, il les lit à haute voix, et vérifie avec l’image du personnage. Jusqu’à en être satisfait et que l’un d’eux colle parfaitement ! L’enveloppe comporte ces annotations manuscrites recto verso, à l’encre et aux crayons noir ou rouge : noms, âges, profession et localisation des personnages, adresses des lieux importants (commissariat, hôpitaux) et éléments de l’intrigue : les bases du roman y sont jetées. Elle est conservée dans un rabats placés en tête de reliure, avec le calendrier de travail.

 

  • Suit le manuscrit autographe. Complet, il est à paginations multiples pour un total 38 pages :

Première partie : 5 chapitres de 5 f. chacun, soit 25 f.

Deuxième partie : 3 chapitres de 4 f., 5 f. pour le dernier, soit 13 f.

En tête, une courte dédicace destinée à l’impression : « à Pierre Nicolas Chrétien Simenon », suivi du titre « Le veuf » et de deux autres titres possibles « ou Les quatre murs » et « ou La chambre ».

Le manuscrit est entièrement rédigé à la mine de plomb, d’une écriture fine et serrée : les corrections sont peu nombreuses, principalement des suppressions, réalisées en cours d’écriture. Il a été rédigé par chapitre, selon le rituel de cinq pages, puis quatre par jour, pendant huit jours. Il est signé et daté en fin « Echandens, le 14 juillet 1959 ». Cette marque est suivie d’une longue adresse au dédicataire du roman : son propre fils. Dans ces affectueuses et touchantes paroles d’un père à son fils, il est question d’un autre roman que Simenon projette d’écrire depuis longtemps, mais dans lequel il ne s’est finalement pas lancé, lui préférant Le Veuf :

 

« Mon petit Pierre,

» J’ai pris l’habitude de destiner à mes enfants le premier roman que j’écris après leur naissance. Pour toi, ce devait être un roman auquel je pense depuis longtemps. Ceci doit être plein de joie de vivre et que je remets chaque fois à plus tard parce que j’ai peur de le rater. Il s’intitule ‘Le rouquin’ et j’aurais d’autant plus aimé te donner celui-ci que depuis que ta mère est enceinte, nous avons décidé que tu serais roux. Tu l’es, en tout cas à présent, ce qui nous enchante. Faute du Rouquin, que je te dois en quelle sorte, et que je compte réussir un jour [NDLR : ce roman sera finalement publié sous le titre Le Petit Saint en 1965], accepte ce nouveau roman, qui ne s’harmonise pas avec ta robustesse, ton équilibre et ton heureux caractère. J’y ai quand même mis un petit Pierre qui n’a rien de commun avec toi. J’ai l’impression que je te connais déjà si bien, que nous nous comprenons depuis le premier jour où tu sortais si vaillamment du ventre de ta mère et que je t’aime tendrement. Ton père, GS. »

Rappelons en effet que Simenon avait décidé d’offrir à chacun de ses enfants le manuscrit du roman qu’il rédigeait à la suite de l’heureux événement : pour Marc, se sera Pedigree (dont la rédaction commence en 1939), pour John, se sera Un nouveau dans la ville (en 1949), pour Marie-Jo, Feux rouges (1953) et pour Pierre, Le Veuf (en 1959).

 

  • Vient ensuite la dactylographie. Complète, cette frappe originale comporte 159 feuillets, avec de nombreuses corrections de l’auteur. Il est signé et daté en fin « Noland, le 15 juillet 1959 ». Le tapuscrit est daté du lendemain de l’achèvement du manuscrit. Après avoir écrit un chapitre d’un roman, Simenon le dactylographiait lui-même le lendemain matin « avec beaucoup de changements » comme il l’a précisé lui-même. Avant de laisser quelques jours de repos puis y apporter d’ultimes corrections.

 

Tout ce travail est confirmé par la présence du calendrier de travail, lui aussi conservé en tête : « la méticulosité, toujours. Elle s’illustre par exemple au long de ces grandes pages d’agendas couvertes de brèves notes et dont certains jours, par paquets, sont hachurés. C’étaient les calendriers d’écriture de Georges Simenon. Pour un Maigret, quelques jours de préparation, les journées d’écriture – croix bleues, de douze à quinze jours –, une brève pause, puis les périodes de relecture et corrections – hachures rouges – trois journées. » Il en a parlé dans ses interviews, et aussi dans ses écrits autobiographiques. « À chaud » dans Quand j’étais vieux, puis a posteriori dans les Dictées et dans les Mémoires intimes. Dans l’interview « Simenon sur le gril » qu’il donne en 1968, il explique qu’il doit concentrer la rédaction d’un roman sur un nombre limité de jours : « je peux rester ainsi en roman pendant quatre ou cinq jours, mais je ne peux le retenir plus de quinze jours. Ce travail doit être constant, et je ne peux sauter un jour dans sa rédaction car le fil est alors coupé. […] Pendant l’écriture du livre, il s’agit que j’écrive aussirapidement que possible en y pensant le moins possible, de façon à laisser travailler au maximum l’inconscient. » Cette explication « psychologique » s’est souvent doublée d’une explication « physiologique » : Simenon racontait que la tension dans laquelle il écrivait son roman avait des répercussions physiques : il perdait du poids et terminait la rédaction dans un état d’épuisement. C’est pourquoi, disait-il, plus il avançait en âge, plus il avait de la difficulté à soutenir et supporter cette tension. Et donc il avait de plus en plus tendance à raccourcir le temps de la rédaction. Dans ses Mémoires intimes, il ajoute encore une autre raison, liée cette fois plus directement à son mode d’écriture : « À mes débuts […] un roman me prenait douze jours, Maigret et non-Maigret. Comme je m’efforçais de condenser davantage, de débarrasser mon style de toute fioriture ou accessoire, je suis passé peu à peu de douze jours à onze, à dix, à neuf. Or, voilà que […] j’en arrivais au chiffre sept […], qui va devenir comme le moule définitif dans lequel seront coulés désormais mes romans. »

Simenon a fait don de beaucoup de son matériel d’écriture au fonds Simenon : enveloppes jaunes, dossiers préparatoires, et une petite soixantaine des calendriers de rédaction, dont il existe très peu d’exemplaires en main privée. Les plus vieux datent du milieu des années 1950 et c’est en Amérique que le romancier a pris cette habitude d’annoter ces calendriers, tous édités par la Pan American World Airways. Avec l’aide de ces éphémérides et d’autres documents, on peut constater qu’on passe progressivement, depuis le milieu des années 1945 jusqu’au début des années 1970, d’une durée de rédaction moyenne de dix ou onze jours à une durée de sept jours.

Le calendrier du Veuf correspond parfaitement au méticuleux rituel d’écriture : le 7 juillet, en rouge, est consacré à la journée préparatoire : personnages, réflexions, notes sur l’enveloppe jaune. La rédaction commence le lendemain, 8 juillet, jusqu’au 15, date à laquelle la frappe dactylographiée est terminée (le lendemain des dernières pages du manuscrit, donc). S’ensuit une période blanche de huit jours, pendant laquelle Simenon laisse reposer le roman, puis, du 24 au 28, les révisions au texte, celles qui sont portées sur la dactylographie. Ces corrections correspondent à la version qui sera imprimée.

« L’examen de ses tapuscrits révèle sa constance : peu de ratures, à peine quelques-unes par feuillet. Dans la plupart des cas cela consiste à supprimer des adverbes, des qualificatifs, des redondances. Toutes choses qu’il juge superflues […]. Le récit et son déroulement ne subissent aucune altération. Les personnages comme les dialogues demeurent intacts. Ils doivent rester tels quels car c’est ainsi qu’il les a vécus. Parfois le remord concerne des patronymes ou des lieux […]. Corriger, ce n’est pas seulement épurer mais préciser […]. Dans le processus de révision, Simenon attache une importance particulière à la fin, soit qu’il la corrige, soit qu’il la prolonge. » (Pierre Assouline, Simenon, Gallimard, Folio, 2002, p. 841-843).

Le Veuf fut publié en pré-originale en 14 livraisons dans l’hebdomadaire Les Nouvelles littéraires (du n° 1680 au n° 1693, 12 /11/1959-18/2/1960), avec des illustrations de Claude Forest. Il paraîtra aux Presses de la cité après les premières livraisons, sous une jaquette illustrée par J. Jacquelin. Un tirage de tête fut réalisé, sous double emboîtage lie de vin (il n’a pas été fait de couverture pour ce tirage), à 100 exemplaires de luxe numérotés de 1 à 100.

Nous joignons à l’ensemble l’édition originale en grand papier ainsi qu’un exemplaire à l’état de neuf de la jaquette de l’édition courante.

Une attestation de la main de Pierre Simenon vient authentifier l’exemplaire et précise à nouveau les circonstances particulières de ces exemplaires « familiaux ».

Enfin, une pipe de la collection Simenon, l’une de celles qu’il utilisait à cette période, est jointe, illustrée d’une photographie ainsi légendée : « La collection de pipes de Georges Simenon […]. Le célèbre auteur français (sic) de romans policiers vit actuellement en Suisse au Château d’Echandens près de Lausanne avec sa femme et ses trois enfants Jean (sic, pour John), 13 ans, Marie-Georges, 10 ans et Pierre, 4 ans. Il marche ‘au chrono’ si l’on peut dire… en effet, il se lève tous les matins à 6h20, fait sa toilette et son café dont il boit trois tasses. Il écrit au roman en cours pendant trois heures en tapant à la machine, puis il déjeune avec sa femme et ses enfants, puis fait une courte sieste avant de retravailler pendant trois heures. Il dîne ensuite à 19 heures, et toute la famille se met au lit à 19h30… Et le créateur du célèbre commissaire Maigret qui fume continuellement est fier de montrer sa sensationnelle collection de pipes… » (Château d’Echandens, 8 février 1963. 1 tirage argentique d’époque, avec note dactylographiée au verso).

Exceptionnel ensemble.

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Vendu
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