Le Libertinage
Louis Aragon

Le Libertinage

Paris, Édition de la NRF, (31 mars) 1924

1 vol. (115 x 185 mm) de 254 p. et [2] f. Broché

 

Édition originale.

Un des rares exemplaires sur papier de couleur, celui-ci sur papier vert, marqué “exemplaire d’auteur”.
Précieux exemplaire de dédicace à Pierre Drieu La Rochelle.

Envoi signé : « À Drieu, qui se demande pourquoi je l’aime parce qu’il ne m’a jamais regardé, son ami malgré lui, Louis A. ».

Ce dernier lui rendra la pareille en lui dédiant quelques mois plus tard L’homme couvert de femmes, son premier roman.

Aragon, « tenant du désordre », refusait les injonctions. Sa virulente préface, apologie provocatrice et brillante de l’amour et de l’anarchie, en atteste : « Je compris qu’on travestissait peu à peu ma pensée […] on choisissait en moi le moins insolite, et j’allais plaire à ceux-là mêmes qui n’auraient pu parler cinq minutes avec moi sans colère […]. Je n’ai jamais cherché autre chose que le scandale et je l’ai cherché pour lui-même. »

Les « petites histoires, contes, nouvelles, scènes dialoguées » rassemblées dans Le Libertinage sont écrits entre l’éparpillement du mouvement dadaïste et la constitution du groupe surréaliste, dont le Manifeste sera publié en octobre par André Breton.

L’ouvrage est dédié à Pierre Drieu la Rochelle. Une amitié passionnée lie les deux hommes depuis maintenant sept ans. Tous deux ont fait la guerre, l’un comme soldat, l’autre comme médecin auxiliaire, tous deux en sont revenus avec « la haine des planqués responsables de cette boucherie ». D’abord attiré par le pacifisme, Drieu se mêle aux surréalistes dans les années 1920 après que son épouse Colette lui a présenté Aragon au printemps 1917. Ce dernier n’est pas insensible à son charme, malgré des opinons politiques qui deviendront opposées. Drieu se laisse entraîner par Aragon dans le mouvement dada, qui professe un mépris absolu pour les institutions, avant que le surréalisme prenne le relais. Drieu fréquente le milieu intellectuel bourgeois tout autant que les soirées de la jeunesse parisienne et les prostituées, fidèle à une posture rebelle d’esprit grand bourgeois au-dessus des normes.

La rupture se produit un an après la parution du Libertinage, à l’occasion, le 1er juillet 1925, d’une « Lettre ouverte à M. Paul Claudel », formant un « Tract surréaliste » auquel Drieu s’oppose violemment. Il publie une sorte de lettre ouverte en août 1925 dans La Nouvelle Revue Française : « vous êtes tout bonnement en train de prendre position […] Maintenant, vous doublez votre art poétique d’une ligne d’appui politique selon un procédé périodiquement utilisé par les littérateurs en France. Vous vous installez en face des néo-classiques, dans le même secteur étroit, encombré de vieux cadavres et de galimatias de l’autre siècle […]. »  Drieu attaque nommément Aragon, tout en se définissant lui-même comme « républicain national, impressionné d’action française ». Ébranlé, Aragon lui répond dès septembre, toujours dans La NRF : « Comme tu as peur d’être dupe : ça pourrait ne pas être parisien le mot République que tu me reproches, parce que je ne t’ai jamais caché, tant pis pour le ridicule, que j’étais prêt à mourir pour ce mot-là […]. Je ne veux pas te répondre que je n’ai pas crié : Vive Lénine ! Je le braillerai demain, puisqu’on m’interdit ce cri, qui après tout salue le génie et le sacrifice d’une vie ; tes coquetteries à Maurras me semblent plus intéressées. Vive Lénine, Drieu, quand je te vois ainsi te complaire à ce vague intellectuel, à cet esprit de compromission où pas une idée ne tient, pas un critérium moral […]. Regarde, encore une fois mon ami, avec quelles gens tu te ligues, dans le sens de quelles gens tu abondes […]. Eh bien, va, mon garçon, puisque tu leur as fait risette, voilà leur appeau. Tu sais de reste que je tiens les gens d’Action Française pour des crapules […]. Il me faut aujourd’hui ce ton pour te parler ce langage. Mais es-tu bien celui qui était mon ami ? Celui-ci était un homme triste, qui n’avait pas d’espoir, qui rongeait sa vie comme un frein, un homme irrésolu […]. Tu n’es qu’un homme comme les autres, et pitoyable, et peu fait pour montrer leur chemin aux hommes, un homme perdu, et que je perds. Tu t’en vas, tu t’effaces. Il n’y a plus personne au lointain, et, tu l’as bien voulu, ombre, va-t’en, adieu. »

Drieu inspira à Aragon le personnage d’Aurélien, incarnation du mal du siècle de la génération d’après-guerre (Aragon souhaite réfléchir, à travers ce personnage, à la trajectoire d’une partie de cette génération vers le fascisme). L’admiration en laquelle Aragon tint longtemps Drieu interdit sans doute à ce dernier un rapprochement plus précoce encore avec l’Action française. Néanmoins, la rupture fut brutale et définitive entre ces deux frères inséparables qu’un lien profond, étroit, mystérieux unissait.

« J’espérais vraiment que vous étiez mieux que des littérateurs, des hommes pour qui écrire est action, et toute action la recherche du salut […]. Il vaudrait mieux laisser tout cela tranquille et chanter l’amour, ce qui est beaucoup plus dans nos cordes », écrivait Drieu dans La NRF d’août 1925.

M. Serra, Les frères séparés : Drieu la Rochelle, Aragon, Malraux face à l’Histoire.

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