S.l.n.d. [Paris avril 1947].
1 bi-feuillet (255 x 310 mm). 22 lignes, à l’encre, avec un collage en regard du titre et d’un passage de la partition imprimée, extraits d’une publication non identifiée.
Le Chant des partisans par celle qui en composa la musique, et la version princeps : Anna Marly.
« Le Chant des partisans », parfois surnommé « La Marseillaise de la Libération », a une symbolique particulièrement forte : cette allégorie musicale de la lutte contre l’occupant allemand a conservé une dimension d’hymne patriotique, si bien qu’elle fait partie de la liste des rares mélodies de la Résistance toujours jouées lors de cérémonies officielles.
C’est l’un des trois hymnes patriotiques français officiels – après La Marseillaise et Le Chant du départ, selon un décret gouvernemental de 1962.
Magnifique et précoce version autographe, par Anna Marly, signée en pied : 22 lignes du Chant des Partisans, suivies, par un mot autographe : « Avec sympathie, à Monsieur Robinson, Anna Marly ». Cette dernière avait offert cette version à M. Robinson, lequel tenait un salon de thé renommé, « Au studio viennois », situé au 23 rue Lavoisier, dans le huitième arrondissement. Ouvert à la Libération, le salon avait succédé à une galerie Art-déco fondée par Gabriel Guevrekian dans les années 20. Le lieu attirait, pour son décor charmant et apaisé, une clientèle féminine et artistique. C’est dans le livre d’or de cet établissement qu’Anna Marly écrivit ces lignes, deux ans à peine après la Libération, ce qui montre bien l’importance déjà soutenue du Chant des partisans dans la mémoire collective.
Le recto du feuillet contient d’ailleurs une note autographe signée de Berthe Bovy, grande comédienne belge et pensionnaire de la Comédie-Française. Elle quitta la troupe en 1941, refusant de participer à une tournée en Allemagne, et retourne alors dans les théâtres parisiens des grands boulevards, où elle triomphera notamment dans Arsenic et vieilles dentelles, monté au théâtre de l’Athénée en 1945. Elle réintègre le Comédie-Française en 1947, nommée sociétaire par ses camarades, au moment où elle signe ce livre d’or du Studio viennois, en avril 1947. Elle y porte ces mots : « Au Studio Viennois, où tout est calme et reposant et sympathique. Berthe Bovy, 4/4/47 ».
Rappelons qu’Anna Marly (1917-2006) avait fui la Russie après l’exécution de son père à Petrograd (Saint-Pétersbourg), en pleine Révolution bolchevique. Un temps danseuse dans la troupe des Ballets russes de Monte Carlo, elle rejoint l’Angleterre et s’engage comme cantinière dans les Forces françaises libres, sous l’égide du général de Gaulle. Mais rapidement, elle met ses talents artistiques au service de la Résistance, en chantant devant les soldats britanniques, tchèques ou polonais dans le Théâtre aux armées. En tournée sur une base navale anglaise en 1941, elle découvre dans le journal le rôle que des partisans soviétiques ont joué durant la bataille de Smolensk (front de l’Est, Russie). Elle compose alors – en russe – une chanson dénommée la Marche des partisans : « J’ai gratté quelques notes de musique et improvisé des paroles où déjà je parlais du vol des corbeaux. Je suis revenue sur scène et me suis risquée à le fredonner en tapant sur ma guitare pour marteler le bruit des pas des soldats. La salle, enfumée, était bourrée de matelots. Quand mon chant improvisé fut fini, tous les marins anglais restèrent d’abord silencieux, presque recueillis. Un silence hypnotique. Puis ils se mirent à applaudir à tout rompre, à taper des pieds frénétiquement. »
Anna Marly l’interprète alors plusieurs fois sur scène et c’est à l’occasion d’une de ses représentations que l’entend Emmanuel d’Astier de la Vigerie, journaliste et compagnon de la Libération. Celui-ci propose alors l’air entraînant à André Gillois, animateur quotidien d’« Honneur et patrie », émission radiophonique de la France libre diffusée par la radio britannique entre 1940 et 1944 : « Ici Londres, les Français parlent aux Français », annonçait-il chaque soir. « La Marche des partisans » devient, sans parole, dans un air sifflé, l’indicatif du bulletin, du 17 mai 1943 au 2 mai 1944. Pour d’Astier de la Vigerie, fondateur du mouvement Libération Sud, qui considérait qu’« on ne gagnait une guerre qu’avec des chansons », l’équation est simple : il est nécessaire d’avoir un chant pour la Résistance.
La rencontre décisive pour sa composition aura lieu quelques jours plus tard, dans une soirée du réseau Combat. Joseph Kessel, fraîchement débarqué Outre-Manche avec sa compagne Germaine Sablon et son neveu Maurice Druon, s’enthousiasme pour cet hymne. Les deux hommes et la jeune femme, sous la direction de d’Astier de La Vigerie qui leur communique la version primitive d’Anna Marly – en russe, mais que peut parfaitement déchiffrer Kessel – s’attellent alors à en écrire les paroles en français. C’est donc sur un coin de table d’une auberge du Surrey, le Ashdown Park Hotel à Coulsdon-South, le 23 mai 1943, qu’est composé le manuscrit de la chanson. Elle est interprétée pour la première fois le soir même, à Londres, chez Louba Krassine, la compagne d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie.
Une semaine plus tard, le 30 mai 1943, le « Chant des partisans » est enregistré par Germaine Sablon, afin d’illustrer en musique Three Songs about Resistance, un film de propagande comportant, comme son nom l’indique, trois chants sur la résistance. Son réalisateur, Alberto Cavalcanti, donne une chronologie légèrement différente : « un dimanche du mois de mai, Germaine Sablon m’a téléphoné de Coulsdon-South, aux environs de Londres, pour me dire qu’elle avait enfin réussi à faire écrire des paroles par Joseph Kessel et Maurice Druon dans l’après-midi et nous prîmes rendez-vous pour le lendemain à Ealing-Studios. En effet, Germaine Sablon accompagnée de Kessel m’a apporté les paroles sur une musique d’Anna Marly. Germaine Sablon, avec l’orchestrateur du Studio, décidèrent de l’accompagnement et, à la fin de la semaine, le film était terminé. Ce fut ainsi que Germaine Sablon créa Le Chant des Partisans. » (Cavalcanti, in Revue de la France libre, n° 153, novembre-décembre 1964).
En septembre 1943, les paroles sont imprimées clandestinement dans la France occupée, à Auch, au sein du premier numéro des Cahiers de la Libération, avant que d’Astier de la Vigerie ne décide de faire imprimer un tract largué par la Royal Air Force au-dessus du territoire français. Contrairement à la version française, le titre est « Les Partisans », sans le sous-titre « Chant de la libération ». Le texte sera enfin repris dans la revue Fontaine sous l’égide de Max-Pol Fouchet, le 25 décembre 1943. Parallèlement à la diffusion de cet hymne, Kessel se consacrera à plein temps à l’achèvement du travail entrepris depuis son arrivée : un hommage à la Résistance, qu’il termine grâce aux témoignages recueillis auprès de d’Astier, du colonel Rémy et des résistants rencontrés dans les milieux londoniens de la France libre. Terminé en septembre 1943, son « Chant des partisans version longue », L’Armée des ombres, est publiée à Alger, chez Edmond Charlot.