Paris, Calmann Lévy, coll. « Bibliothèque contemporaine », 1879.
1 vol. (115 x 180 mm) de [2], XVI-299 p., [1] et 1 f. Bradel demi-percaline verte, pièce de titre, tête dorée, date en pied, couvertures et dos conservés (reliure signée de V. Champs).
Édition originale dont il n’a pas été tiré de grands papiers.
Il existe une édition Lemerre de Jocaste, parue la même année mais dont le texte varie grandement de l’édition Calmann Lévy.
Ce premier livre de France publié par Calmann Lévy est une curieuse réunion de deux textes dont la publication isolée aurait donné un récit trop bref. En adjoignant le conte du Chat maigre à Jocaste sous un titre insolite, France étonna le public ; la critique retint que le Chat maigre était meilleur que Jocaste que l’auteur présentait comme « une petite chronique dans laquelle il n’y a que des fous. »
Le volume n’eût pas une grande audience ; en revanche il fut à l’origine d’une brouille sérieuse et profonde entre France et son premier employeur, devenu son éditeur et son ami, Alphonse Lemerre. Lors du procès de 1911 qui devait les opposer publiquement, Jocaste fut citée par l’avocat de la défense, Me Raymond Poincarré comme le point de départ du conflit. Il y résume assez bien la situation dans laquelle au fil du temps France s’était enferré avec Lemerre et comment au moment de publier son premier livre en prose il avait tenté de s’en dégager : « Les hommes de lettres qui connaissaient Anatole France et qui fréquentaient comme lui la maison Lemerre l’avaient mis en garde contre l’inconcevable exploitation dont il était depuis quelques années la victime trop résignée, et l’un d’eux […] lui avait vivement conseillé d’entrer en rapport avec un autre éditeur. » France refusa. Aussi « pour [le] décharger d’une démarche qui le gênait, cet ami, avait lui même pressenti M. Calmann Lévy qui avait accepté avec empressement d’éditer Jocaste. » (R. Poincarré, Plaidoirie dans le procès Lemerre). On lui avait désigné un autre éditeur, certes, qui de surcroît l’accueillait à bras ouverts, mais France s’y prit mal, signa avec Calmann Lévy un contrat qui l’engageait de manière exclusive alors que, verbalement certes, il l’était déjà pour ce premier livre avec Alphonse Lemerre. La lettre qu’il adressa à ce dernier, pour expliquer son choix faisait état d’ « engagements pris à mon insu », de « nécessité » : « D’ailleurs, écrivait-il, j’ai pu croire longtemps t’être agréable en te déchargeant du poids de mon petit roman. […] Songe enfin que, si je puis donner un peu de valeur à ma prose, ta maison en profitera, car je compte bien que nous ferons de belles et bonnes publications ensemble. » (8 novembre 1878). France signa sa lettre d’un « Crois-moi ton ami » qui ne dût pas convaincre Lemerre. Il voulut rattraper son auteur et si il répugnait à établir des contrats écrits préférant les accords verbaux, il lui proposa pour la première fois de mettre de l’ordre dans leurs affaires par contrat. Le 16 novembre 1878, soit trois semaines après celui signé avec Calmann Lévy, France signa donc un contrat avec Lemerre, et sans y prendre garde, signa du même coup le début de trente ans de « chicanes » !