Sceaux, Pauvert, (juin) 1954.
1 vol. (120 x 185 mm) de 245 p. et [2] f. Broché, sous double couverture, non coupé (emboîtage de Julie Nadot).
Édition originale.
Un des 20 premiers exemplaires sur arches (n° X).
Notre exemplaire est bien complet de la vignette dessinée et gravée par Hans Bellmer, tirée en sanguine.
Elle n’est présente que dans ces 20 exemplaires de tête et la moitié des exemplaires sur vergé (soit environ 250 exemplaires).
Nous devons aux mémoires de Jean-Jacques Pauvert d’en savoir plus sur la genèse, tant littéraire qu’éditoriale, de ce désormais classique de la littérature érotique. Dominique Aury alias Pauline Réage, la décrivit dans Une fille amoureuse, pour l’éditeur, et quinze ans après le roman : « Une fille amoureuse dit un jour à l’homme qu’elle aimait (Jean Paulhan en l’occurrence) : moi aussi je pourrais écrire de ces histoires qui vous plaisent… Vous croyez, répondit-il. […] Un soir, après ce ‘Vous croyez ?’, cette fille, au lieu de prendre un livre avant de s’endormir, couchée en chien de fusil sur le côté gauche, un crayon bien noir dans la main droite, commença d’écrire l’histoire qu’elle avait promise […] Puis par dix pages, cinq pages, chapitres ou fragments de chapitre, elle les mettait sous enveloppe à l’adresse d’une poste restante ». Aury soumit son texte au comité de lecture de Gallimard qui le refusa ; Paulhan le proposa à Jean-Jaques Pauvert, lui demandant une préface, que Paulhan livra sous le titre « le Bonheur dans l’esclavage » qui ouvre le roman.
Précieux exemplaire de Régine Deforges, laquelle fut la maîtresse de Jean-Jacques Pauvert, celui qui l’initia à l’édition et lui fit découvrir son monde. Leur premier rendez-vous était au Café de Flore, à Paris. « Ils ont tout de suite parlé de Sade, un auteur de prédilection de Pauvert, qu’elle a lu aussi, de Bataille, de Boris Vian… Pauvert, alors, la fascine, ils se revoient souvent. Elle se rappelle qu’elle prenait plaisir à ces moments passés avec lui, à ces longs déjeuners, sans se rendre compte qu’il lui ‘faisait la cour, car c’était un homme marié’ – était-elle encore naïve ? Ils deviendront amants, il ne quittera pas sa femme. Et, un jour, elle le raconte dans L’Enfant du 15 août, elle aura, brutalement ‘le désamour’. Mais ils ont eu ensemble une fille, Camille […] C’est aussi Jean-Jacques Pauvert qui a permis, quelques années plus tard, à Régine Deforges de rencontrer Dominique Aury » (« Régine Deforges l’insolente », par Josyane Savigneau, Le Temps, 4 avril 2014).
Régine Deforges avait lu le livre en 1954 et avait été fascinée par son audace ; les deux femmes resteront par la suite de grandes amies jusqu’à la mort de Dominique Aury, en 1998. Deforges expliqua en 2004 toute la portée que le livre avait eu sur elle, cinquante ans plus tôt : « J’ai lu Histoire d’O peu de temps après sa parution et cela a été un choc pour la jeune femme que j’étais alors. Par la suite, j’ai relu ce roman presque chaque année, durant dix ans, puis deux ou trois autres fois depuis, découvrant lors de ces nouvelles lectures des choses qui m’avaient échappé. Je me souviens qu’à l’époque, je ne comprenais rien à O, sa soumission aux désirs de son amant m’était insupportable : il a fallu, qu’à mon tour, je sois amoureuse, pour comprendre jusqu’où on pouvait aller pour l’amour d’un homme. Aussi, lorsque Jean-Jacques Pauvert me proposa de rencontrer cet auteur mythique, j’acceptai avec joie et avec une certaine appréhension. Dès notre première rencontre, je fus séduite par Dominique Aury, par sa gentillesse et sa simplicité. J’étais surprise qu’elle fût si éloignée de l’idée que je me faisais d’un écrivain ayant écrit un livre aussi dérangeant […]. Au fil des ans, notre amitié se développa et elle accepta de répondre à mes questions sur l’origine d’Histoire d’Oet pourquoi elle l’avait écrit ; cela donna O m’a dit, un livre cher à mon cœur. Pendant de longues heures, elle répondit à mes questions ne cachant rien de ses fantasmes ni de ceux de cet amant pour lequel elle avait écrit ce livre qu’elle savait devoir le troubler et, peut-être, l’effrayer. « Je voulais qu’il m’aime malgré ça », me disait-elle avec cette fierté dans la soumission qui la faisait ressembler à son héroïne […] Histoire d’O eut sur ma génération et celles qui suivirent une importance que nous réalisâmes longtemps après : une femme osait dire ses désirs les plus secrets et nous délivrait de la honte attachée à leurs réalisations. »
C’est Pauvert qui l’a encouragée à créer une maison d’édition, en 1967, L’Or du temps, en hommage à la phrase d’André Breton : « Je cherche l’or du temps ».
Régine Deforges possédait par ailleurs le tirage courant d’Histoire d’O – l’un des exemplaires sur vergé –, avec une dédicace de Pauline Réage faite à la fin des années 1970, lorsque les deux femmes se rencontrent (Collection Régine Deforges, Pierre Bergé & Associés, Paris, février 2015, n° 194). Le grand papier était quant à lui resté dans la succession Deforges.
Très bel et remarquable exemplaire, conservé dans un emboîtage de Julie Nadot, tout en délicatesse et justesse.
De la bibliothèque de Régine Deforges (ex-libris).
29770