Paris, Gallimard, [31 octobre] 1946
1 vol. (12 x 19 mm) de 238 et [2] pp., 1 f. Broché. Emboîtage de maroquin noir, premier plat en plexiglas (Goy & Vilaine).
Première édition française, après une première version donnée chez Jacques Schiffrin à New York.
Exemplaire imprimé du service de presse.
André Gide avait donné, quinze ans plus tôt, une première traduction du premier acte seul.
Lettre-préface inédite, en tête du volume, avec deux pages de notes en fin.
Précieux exemplaire offert ” à Albert Camus, en amical souvenir, André Gide “.
Camus, on le sait, adorait le théâtre et traduisit Othello : « … mais je n’en suis encore qu’à mon baccalauréat théâtral… Shakespeare, c’est l’agrégation ! » déclara-t-il un jour, ainsi que le rapporte Roger Grenier (Albert Camus : soleil et ombre, p. 383).
Après-guerre, au théâtre, Camus vient de terminer Caligula, dont la rédaction est pourtant entamée dès 1938, qui paraît en 1944, avec le Malentendu. C’est très précisément à cette date qu’intervient les premiers contacts entre Albert Camus et André Gide.
” Comme souvent, c’est la confidente et ami, Maria Van Rysselberghe, la “Petite Dame”, qui servit d’intermédiaire. Fin 1944, avec sa fille Elisabeth et sa petite-fille Catherine, elle décide de quitter Paris et sa rue Vaneau où elle occupe l’appartement voisin de celui de Gide, installé depuis 1942 en Afrique du Nord : ” nous décidons d’offrir notre appartement aux Groet[huysen] et à Albert Camus le studio de Catherine […] Albert Camus, relation de la dernière heure mais où je sens la possibilité d’un ami” […] C’est sans doute cette estime qui qui l’incite à donner à Combat, dont Camus est le rédacteur en chef, deux articles, en décembre 1944 et en janvier 1945 “.
Les liens se renforcent alors, jusqu’à une première rencontre physique, le 24 avril 1945, lors d’un déplacement de Camus en Algérie : “Cette visite de Camus fut parfaite, elle ne me laisse que satisfaction à cette très profonde sympathie que j’éprouve pour lui – nulle gêne, nul malentendu, une très réelle et très simple cordialité“. Les deux hommes se revoie le 4 mai suivant, avant de regagner ensuite l’un et l’autre Paris et deveir voisins effectif. Gide repartira ensuite à partir de décembre (Italie, Liban, Egypte) pour ne rentrer que fin avril 1946.
il n’a rien publié depuis 1943 et les interview Imaginaires (en Suisse), hormis son Journal et Thésée (à New York) : l’Hamlet qui paraît à la rentrée 1946 est la seule publication faite à son retour, pour lequel il donne une nouvelle préface. Les deux hommes maintiendront à partir de cette date “une proximité intellectuelle soutenue.
En avril-mai 1946, Camus se trouve aux Etats-Unis, d’où il ne rentrera qu’un juin et de retrouver la rue Vaneau, et son nouveau prestigieux voisin, enfin de retour lui aussi, depuis le 20 mai. Ce voisinage durera jusqu’à l’automne 1946 : Francine a rejoint Camus à Paris et l’arrivée des jumeaux Catherine et Jean les font déménager en octobre rue Séguier, dans le 5ème arrondissement, où il resteront jusqu’en en 1950 et la rue Madame.
En novembre [quelques jours après la parution d’Hamlet], Camus participera à l’hommage organisé à la radio pour les soixante-dix ans de Gide et cet exemplaire – l’édition est diffusée à partir du mois de novembre, avec un achevé d’imprimer du 31 octobre – a été offert à coup sûr à ce moment là, et “l’amical souvenir” auqel se réfère Gide, plus qu’une simple formule de politesse, est vraisemblablement le souvenir de ce voisinage, d’abord fantôme, puis bien réel, de la rue Vaneau.
C’est tout aussi vraisemblablement le premier livre dédicacé que Gide peut lui remettre, car la seule nouvelle publication de l’écrivain.
Il recevra le Prix Nobel l’année suivante ; Camus aura entretemps publié la Peste, pour laquelle Gide aura été emballé : ” ce beau livre me fait comprendre mieux encore pourquoi je me sens si fort votre ami”, lui écrit-il le 16 juin 1947.
A l’occasion du décès de l’écrivain, Camus évoquera l’oeuvre de Gide dans le numéro d’Hommage de la NRF – avec trois textes.
Si il rejette l’hédonisme de Gide, Camus loue en revanche “le dénuement, l’art conçu comme ascèse et le goût de la perfection formelle mise au service de l’exigence morale […] Là où Gide inscrit la recherche d’une sagesse, Camus propose une morale de l’action, Camus pouvant par exemple, lisant Gide, trover une phrase sur le Minotaure digne de servir d’épigraphe à sa Halte d’Oran”.
Rarissime provenance et exceptionnelle connexion entre deux hommes distingués du Prix Nobel par quelques années (1950 pour Gide, 1958 pour Camus – François Mauriac s’intercalent en 1952). Six autres français auront été distingués depuis (Sartre, Simon, Perse, Le Clézio, Modiano et Ernaux).
C’est le seul envoi connu entre les deux hommes.
Provenance : Albert Camus (envoi) – Robert Vignon (ex-libris manuscrit, en date du 20 mars 1947).
19824