L’Ange garde-chiourme

Jacques Prévert

L’Ange garde-chiourme

Paris, Fontaine, coll. « L’Âge d’or », (9 juin) 1946.
1 vol. (120 x 160 mm) de 32 p. Veau blanc, premier plat mosaïqué de motifs de veau rouge, turquoise et bleu-roi, dos lisse de veau noir, tête dorée, doublure de veau crème à décor (Rose Adler, dor. Guy Raphaël, 1951).

 

Édition originale.
Couverture créée par Mario Prassinos d’après un dessin de Max Ernst.
Un des 25 premiers exemplaires sur arches.

Ce court texte, composé par Prévert en 1930, était intitulé initialement « Souvenirs de famille ou l’ange garde-chiourme » ; il paraît dans le numéro 7 de la revue Bifur de décembre. Anticlérical, antimilitariste et d’inspiration libertaire, ce violent pamphlet s’inscrit dans la veine surréaliste – groupe que Prévert a fréquenté avec assiduité dès 1925, avant que son indépendance d’esprit l’en éloigne au début des années 1930. Il y critique le modèle de la famille bourgeoise, y stigmatise l’éducation traditionnelle, l’église et la morale bourgeoise comme autant de menaces pour l’enfant, victime désignée des préjugés et dogmes de l’adulte.

Il sera repris une première fois chez Fontaine en 1946, pour être publié seul dans la collection de « L’Âge d’or » lancée par Max-Pol Fouchet. Jacques Prévert, qui était très fier de ce petit texte, va ensuite l’intégrer dans Paroles en 1947.

« On allait se coucher, le lendemain on se levait. Ainsi tous les jours les jours faisaient la queue les uns derrière les autres, le lundi qui pousse le mardi qui pousse le mercredi et ainsi de suite les saisons. Les saisons, le vent, la mer, les arbres, les oiseaux. Les oiseaux, ceux qui chantent, qui partent en voyage, ceux qu’on tue : les oiseaux plumés, vidés, mangés, cuits dans les poèmes ou cloués sur les portes des granges. La viande aussi, le pain, l’abbé, la messe, mes frères, les légumes, les fruits, un malade, le docteur, l’abbé, un mort, l’abbé, la messe des morts, les feuilles vivantes, Jésus-Christ tombe pour la première fois, le roi soleil, le pélican lassé, le plus petit commun multiple, le général Dourakine, le petit Chose, notre bon ange, Blanche de Castille […], la retraite de Russie, clanche de Bastille, l’asthme de Panama, l’arthrite de Russie, les mains sur la table, J.C. tombe pour la Nième fois, il ouvre un large bec et laisse tomber le fromage pour réparer des ans l’irréparable outrage… »

Le manuscrit, relié par P. L. Martin en 1965, fut la propriété du colonel Daniel Sicklès (vente, à Paris les 23-24 mars 1981) ; il est plus récemment passé en vente (Sotheby’s, Paris, 2 décembre 2015, lot 41).

Provenance : Pierre Berès, avec étiquette de la librairie en première page ; cet ouvrage a figuré à « l’exposition de la reliure originale » de 1953, sous le numéro 121, cité comme « à Pierre Berès ». Ce dernier est vraisemblablement le commanditaire de la reliure auprès de Rose Adler, qu’il a rencontrée en 1946. « Dès 1946, Rose Adler gagne un fidèle acheteur, qui la fait travailler jusqu’à sa mort en 1959 : le libraire Pierre Berès. Une lettre qu’elle écrit à Madame Solvay nous laisse à penser que Berès et Rose Adler se connaissaient déjà avant qu’il commence à lui commander des reliures, et qu’elle ne l’apprécie guère : ‘Berès le libraire a tout d’un coup découvert que j’avais du talent, m’a enlevé à coups de billets de banque mon édition de Suzanne et le Pacifique de la vitrine relié en veau jaune. J’ai dû me battre avec lui pour ne pas lui promettre un Éventail de Marie Laurencin que je finis en chevreau rose doublé daim roux. Il a très envie de voir vos reliures mais vous ne le recevrez que si vous le voulez. […] C’est un garçon qui a fait une carrière extraordinaire. Toutes les belles pièces vont chez lui, comme les beaux tableaux échouent forcément chez Wildenstein. Il est tout jeune (…).’ Berès est en effet l’un de ses commanditaires les plus importants, à partir de la deuxième moitié des années 1940. Nous avons relevé trente-trois reliures au moins lui ayant appartenu, dont quatorze ont été rachetées à d’autres bibliophiles » (Alice Caillé, Les reliures de Rose Adler, École nationale des chartes, 2014, p. 334).

Alice Caillé datait cette reliure de 1953, à cause de l’exposition où elle fut présentée : elle date en réalité de deux ans plus tôt, signée de 1951 par Guy Raphaël, le dernier doreur avec lequel travailla Rose Adler. Ce qui en ferait, dans l’inventaire des annexes, la plus ancienne des reliures dorées par Guy Raphaël pour Rose Adler (avant Carmen, en 1952, Amitié cachetée, Je l’aime elle m’aimait et La Chanson du mal aimé en 1953). Ce dernier travaille en fait avec Rose Adler depuis 1949, mais les collaborations précédentes, peut-être plus mineures, ne sont pas signées de son nom. Alice Caillé en répertorie neuf qui le sont. « Il faut néanmoins préciser qu’il est tout à fait probable que les doreurs qu’elle a employés n’aient pas systématiquement apposé leur signature sur les reliures qu’ils ont dorées : sur les cent quarante-cinq œuvres répertoriées dans notre catalogue, cent portent le paraphe d’un doreur, soit un peu moins de 70 %. Il se peut donc qu’en réalité, ils en aient doré plus que ce que nous avons relevé. » De fait, les reliures dorées par Guy Raphaël sont parmi les plus rares, en même temps qu’elles sont les plus abouties, Rose Adler continuant d’apposer sa touche personnelle à la fabrication de la reliure.

Le fonds Rose Adler de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet conserve, sous la cote Ms 40-773, un album de 60 pages, organisé en album de photographies de reliures : L’Ange garde-chiourme y figure. On ne connaît pas le parcours de l’exemplaire par la suite : il ne figure pas dans les ventes Berès et il est fort probable que le libraire l’ait par la suite cédé à l’un de ses nombreux clients passionnés par les reliures de Rose Adler. Ils furent nombreux, notamment dans cette dernière période qui va de 1951 à 1959, « considérée, dans l’art de Rose Adler, comme celle d’un renouvellement de son inspiration, qui aurait souffert de la crise et de la guerre. Il est vrai que la difficulté technique des formats particuliers qu’elle a à relier lui ont certainement posé des problèmes qu’elle a pris plaisir à résoudre, et que la poésie de plusieurs de ces ouvrages ont stimulé son esprit et sa fantaisie » (Alice Caillé). Elle reçoit, en juillet, la Légion d’honneur.

Alice Caillé, op. cit. ; Erwana Brin, La Reliure originale [exposition, Bibliothèque nationale, 30 janvier-1er mars 1953], Paris, Bibliothèque nationale, 1953.

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