Paris, Stock, coll. « Le Cabinet cosmopolite », (30 mai) 1947.
1 vol. (130 x 195 mm) de 352 p. et [1] f. Broché.
Édition originale de la traduction française, par M.-M. Fayet. Préface de Denis de Rougemont.
Un des 100 premiers exemplaires hors commerce sur vélin suédois.
Envoi signé : « To Francis Ambrière, from Carson Mc Cullers ».
Révélation littéraire de l’année, Le Coeur est un chasseur solitaire est publié aux États-Unis en 1940. Roman étourdissant sur l’adolescence, il se situe dans l’Amérique des années 1930, au fin fond d’une bourgade étouffante du Sud faulknérien où John Singer, un mystérieux sourd-muet qui, malgré son infirmité, sert de confident à une jeune fille égarée dans des rêves trop chimériques. Une oeuvre largement autobiographique et hantée par l’attente – d’un départ ou d’une rencontre, susceptible de rompre l’étouffante monotonie des jours – à laquelle elle donnera un écho cinq ans plus tard avec Frankie Addams (The Member of the Wedding). C’est ensuite sa rencontre avec Tennessee Williams, puis avec celui qui va devenir (deux fois) son mari et avec lequel elle part voyager en Europe, au moment où son livre paraît en France. Le couple viendra s’installer définitivement en 1952, dans l’Oise, à Bachivillers, dans un presbytère situé à une cinquantaine de kilomètres de hameau de Bonvillers où, presque au même moment, un certain Francis Ambrière a emménagé : la dédicace présente dans le volume est probablement la trace de ce voisinage, à moins qu’elle ne soit strictement du premier voyage de 1947.
À ce moment là, Francis Ambrière a reçu depuis quelques mois le Prix Goncourt pour ses Grandes vacances, récompensant officiellement l’année 1940, le prix ayant été « suspendu » cette année-là. Le récit s’impose face au Sacrifice du matin de Pierre Guillain de Bénouville et à L’Univers concentrationnaire de David Rousset, deux autres livres issu d’une pré-sélection thématique qui est une exception dans le palmarès du Goncourt, destinée cette année là à honorer les combattants de la Seconde Guerre mondiale.
Pour la petite histoire, notons que c’est dans le roman d’Ambrière qu’apparaît l’expression « sucrer les fraises », même si, à l’origine, c’est Louis-Ferdinand Céline qui, en 1936, a utilisé « sucrer » pour désigner les tremblements d’un ivrogne, dans Mort à crédit : « Il marchait à tout petits pas […]. Il tremblotait dans la serrure. Il pouvait plus sortir la clef, tellement qu’il sucrait ». Francis Ambrière y a rajouté les fraises à propos de tremblements séniles, la locution étant ensuite passée à la postérité. Elle sera reprise notamment immédiatement par Marcel Aymé dans Le Vin de Paris, en 1947 (« pauvre Achille, je me rappelle, il s’était mis à sucrer les fraises par là deux ans avant sa mort »).