Paris, Mercure de France, (12 mai) 1906.
1 vol. (135 x 190 mm) de 224 p., [1] et 1 f. Demi-maroquin taupe à coins, filets dorés sur les plats, dos à nerfs ornés de caissons d’encadrement, tête dorée, date en pied, couvertures et dos conservés (reliure signée de [Jean] Duval).
Édition originale de la traduction française.
Traduction de Marcel Proust, avec une longue préface : « Sur la lecture ».
Un des 12 premiers exemplaires sur hollande (n° 9).
Marcel Proust commence à s’intéresser aux ouvrages de Ruskin à l’automne 1899 lorsqu’il se plonge dans la lecture de celui qu’il appelle « ce grand homme », après avoir découvert le chapitre intitulé « La Lampe de la mémoire » des Sept Lampes de l’architecture. Une révélation.
Quelques mois plus tard, en apprenant la mort du critique d’art il écrit immédiatement à Marie Nordlinger, une ami anglaise et cousine de Reynaldo Hahn, lui exprimant, outre sa tristesse, son désir de pérennité des ouvrages de l’écrivain : il prépare alors plusieurs hommages à Ruskin sous formes d’articles nécrologiques et de notes qui deviendront, avec des modifications amplifiées, les péritextes de sa future traduction de la Bible d’Amiens. Une tâche ardue puisque Proust connaît à peine l’anglais : C’est madame Proust mère qui fait le ‘mot à mot’, collaborant ainsi d’une manière capitale à la traduction de La Bible d’Amiens. Malade, elle fut remplacée par Marie Nordlinger, cousine de Reynaldo Hahn, dans ce rôle de défricheuse lorsque Proust aborda Sésame et les Lys, aidée par Robert d’Humières, le traducteur de Kipling au Mercure de France. Après la mort de sa mère, Proust reprit les épreuves arrivées durant ce deuil tout en écrivant à Marie Nordlinger : « J’ai clos à jamais l’ère des traductions que Maman favorisait ». Il désirait de son propre aveu se consacrer à son oeuvre personnelle et décide, dans cette idée, de faire précéder sa traduction d’une préface ô combien importante, un texte délicieux intitulé « Sur la lecture » : « Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. Je n’ai essayé, dans cette préface, que de réfléchir à mon tour sur le même sujet qu’avait traité Ruskin : l’utilité de la lecture. Ruskin a donné à sa conférence le titre symbolique de Sésame, la parole magique qui ouvre la porte de la caverne des voleurs étant l’allégorie de la lecture qui nous ouvre la porte de ces trésors où est enfermée la plus précieuse sagesse des hommes : les livres ». Remaniées, ces 52 pages prendront ensuite place dans Pastiches et Mélanges sous le titre « Journée de lecture ».
Ce texte important parut d’abord dans La Renaissance latine, du 15 juin 1905. Proust écrit alors à Hélène de Caraman-Chimay : « Vous ne savez pas quelles ruses je comptais employer pour tâcher que vous lisiez quelques lignes de cet article, et je devais être follement heureux que de vous-même vous l’ayez lu et aimé […]. Ces pages serviront de préface à Sésame et les Lys, une traduction que je vais publier, composée de deux conférences, les “Trésors des Rois” qui sont dédiés à Reynaldo et les “Jardins des Reines” qui sont dédiés à Melle Lemaire. Si cela pouvait ne pas vous paraître trop indigne de vous, je vous dédierais cette préface. » (Correspondance, V, 240). La Princesse accepta.
Précieux exemplaire sur hollande ; celui de Jeanne Jacquemin. Peintre autodidacte, elle enflamme la critique lors de sa première exposition en 1892 et étonne par son physique à la fois androgyne et sensuel : grande, élancée, la jeune femme rousse « aux yeux pré-raphaéliques » incarne alors parfaitement le Symbolisme. Membre de la société de la Rose-Croix, elle est admirée par Huysmans, Verlaine, Odilon Redon, et noue avec Stéphane Mallarmé une relation d’amitié et d’admiration réciproque. La « peintresse aux yeux verts », ainsi qu’il la surnomme, est souvent citée dans le Journal d’Edmond de Goncourt ; elle donnera plusieurs lithographies pour L’Estampe moderne et illustrera La Mandragore, un « Conte de Noël » de Jean Lorrain publié en 1894.
Dépressive, elle est soignée par le docteur Samuel Pozzi, le père de la gynécologie français, qui connaissait à merveille le « Tout Paris ». Amant de Sarah Bernard, – surnommé « Docteur Dieu », c’est un ami de la famille Proust ; non seulement du père, le Pr. Adrien Proust, épidémiologiste de renom, mais aussi de ses fils Robert – qui fut son élève à l’hôpital Broca – et de Marcel, à qui il procura en 1914 la dispense lui évitant d’être envoyé au front. Il encouragea le développement de la radiothérapie, essentiellement à l’hôpital Tenon où le service d’Oncologie-Radiothérapie porte désormais son nom. Il soigna Jeanne Jacquemin des années durant, laquelle rencontrera après la première guerre mondiale un certain Yvon Leloup (1871-1926) : un écrivain connu sous le nom de Paul Sédir (anagramme de Désir, choisi sous l’influence de L’Homme de Désir de Louis-Claude de Saint-Martin, philosophe illuministe du XVIIIe siècle). Ce mystique, qui passe plusieurs années à étudier la bibliothèque de Stanislas de Guaita, l’initia sans doute à la bibliophilie. Ami de l’occultiste français Gérard Encausse, dit Papus (1865-1916) et ardent défenseur de son mouvement qu’il ne quitta qu’à cause de la mauvaise santé de sa future épouse, qu’il épousera en 1921.
L’exemplaire passa ensuite entre les mains du libraire Ronald Davis – c’est probablement lui qui fit établir la reliure, comme il fit établir à ces dates de la fin des années 1920-1930 tout un ensemble des oeuvres de Proust (Christie’s, Londres, 2007, lot n° 133), dont un Swann et ce volume sur hollande.
Sur ce papier de hollande, on ne connaît par ailleurs que les autres exemplaires suivants : Léon Blum (conservé à la BnF) ; n° 2 (reliure de Maylander, collections Simonson-Hayoit-Leroy, 2007, n° 75) et n° 8 (collection R. et B. Loliée, n° 146). Aucun des douze ne figurait à l’exposition Proust et son temps de 1971.
De la bibliothèque de Jeanne Jacquemin (ex-libris).