[Fort d’Ivry], 4 novembre 1938.
1 et 1/2 page en 1 feuillet (210 x 270 mm) à l’encre noire.
Lettre autographe deux fois signée à Marie-Louise Terrasse, dite Catherine Langeais.
François Mitterrand vient d’être incorporé au 23e régiment d’infanterie coloniale, sous le drapeau duquel il fera la campagne de France.
Catherine Langeais (1923-1998), de son vrai nom Marie-Louise Terrasse, et François Mitterrand se rencontrent le 28 janvier 1938, lors du bal de l’École normale supérieure. Deux ans plus tard, prisonnier au stalag IXA en Hesse, il décrira cette rencontre à Jacques Biguet, un de ses compagnons de captivité : « Un samedi, j’avais le cafard, je rentre dans ma chambre, je tombe sur un bristol que j’avais oublié sur une table. C’était une invitation au bal de Normal sup. J’y vais. Je vois une blonde qui me tourne le dos. Elle se tourne vers moi. Je suis resté les pieds rivés au sol. Puis je l’ai invitée à danser. J’étais fou d’elle. » La jeune fille blonde est accompagnée de ses parents qui lui ont interdit de donner son nom à ses cavaliers. Mitterrand la prénommera Béatrice, en référence à Béatrice Portinari, la Florentine de La Divine Comédie. Elle lui dit seulement qu’elle est élève du lycée Buffon, en classe de troisième. Dès le lundi, il guette sa sortie du lycée, la suit de loin, découvre qu’elle habite près de la place Denfert-Rochereau. Jusqu’à un premier baiser au jardin du Luxembourg.
François Mitterrand est réellement conquis, comme jamais auparavant dans une relation. Il a déjà demandé la main de Marie-Louise à ses parents, mais la mère de la jeune fille juge ce mariage prématuré. Marie-Louise n’a pas encore 16 ans et François n’a pas accompli son service militaire. ‘Qu’à cela ne tienne !’, a-t-il répondu. Étudiant, il aurait pu bénéficier d’un nouveau sursis. Il devancera l’appel, en septembre, par amour. Il aurait pu demander à être affecté à une école d’officiers de réserve en province. « Il choisit le 23e régiment d’infanterie coloniale, toujours par amour. Une décision qu’il paiera cher. Pour l’heure, il peut se féliciter de ne pas s’éloigner de Béatrice qu’il appelle aussi « sa petite pêche ». Il est incorporé au fort d’Ivry, puis affecté à la caserne de Lourcine, boulevard du Port-Royal, à Paris » (in Robert Schneider, Les Mitterrand). Le 4 novembre 1938, il voit Marie-Louise, déjeune avec son père et Robert, puis rejoint le fort d’Ivry.
Il lui écrit aussitôt – c’est la toute première lettre qu’il rédige depuis son incorporation – « sur un papier aimablement prêté par un de mes nouveaux collèges (déjà en veine de confessions)… Je suis encore dans l’atmosphère de votre présence. Tout à l’heure je vous tenais contre moi, et je pouvais vous dire mon amour […] maintenant je sens la peine de vous savoir loin […] inutiles de revenir sur vos promesses : elles valent pour toute la vie. J’attendrai avec impatience vos lettres – et les témoignages de votre amour […] Peut-être serai-je relâché au moins quelques heures le 11 ou le 12 novembre. Si oui je vous écrirai : nous ferons tout pour nous voir. Ma très chérie, je vous aime. F. »
En septembre 1939, c’est la mobilisation, puis le départ à l’ouest de la ligne Maginot. C’est lors d’une permission que les fiançailles auront lieu, le 3 mars 1940, chez les Terrasse, à Paris. Puis, à nouveau, le front. Le 14 juin, après de terribles combats pour lesquels il sera décoré, un éclat d’obus le blesse à Verdun. Évacué vers un hôpital militaire, il est capturé par les Allemands puis envoyé dans un camp de prisonniers. Voilà François Mitterrand « K.G. », pour Kriegsgefangener, c’est-à-dire prisonnier de guerre, sous le matricule 27716-968 du Stalag IX-A, près de Ziegenhain, en Thuringe. Il s’en évadera – après deux premières tentatives avortées -, en janvier 1942.
François Mitterrand écrira plus de 300 lettres à celle qu’il surnommait Zou. Malgré des fiançailles en mars 1940, il ne l’épousera jamais. La guerre, puis la captivité, les éloigneront. Dans la douleur pour Mitterrand ; en juin 1942, il écrit à sa confidente, Marie-Claire Sarrazin : « Est-ce que j’aime encore cette Béatrice aux colombes inquiétantes ? Sûrement. Mais je l’aime parce que je l’ai aimée et il y a là une nuance. Je ne souffre pas et puis aimer hors d’elle. Mais elle ne me sera jamais étrangère et est pour moi désormais l’une de ces ‘petites déesses allégoriques’ dont parle Proust […]. La belle route des promenades idéales qui m’attire est encore dure à mon pas – l’amour ne me semble parfait ou plutôt complet que sensible. Et pourtant, là aussi l’amertume est proche. »
Quelques manques en bordure du feuillet sans atteinte au texte.