S.l., [circa février 1903].
12 p. in-8, montées sur papier et formant un placard de 49 x 130 cm, sous étui à rabats de Julie Nadot.
Rares épreuves corrigées de passages de La Bible d’Amiens, pour la parution dans la revue littéraire La Renaissance latine du 15 février 1903.
Nombreuses corrections autographes, donnant plusieurs variantes inédites, qui témoignent du soin méticuleux porté par Proust à cette traduction dont le succès l’encouragera à se prêter une seconde fois à l’exercice avec Le Sésame et les Lys deux ans plus tard.
Marcel Proust commence à s’intéresser aux ouvrages de Ruskin à l’automne 1899, dès son retour d’Évian-les-Bains, en se plongeant dans la lecture intensive de celui qu’il appelle « ce grand homme » après avoir découvert le chapitre intitulé « La Lampe de la mémoire » des Sept Lampes de l’architecture. Une révélation. Quelques mois plus tard, il apprend la mort la mort du critique d’art dans Le Figaro du 21 janvier 1900 et écrit immédiatement à Marie Nordlinger, une ami anglaise de Manchester et cousine de Reynaldo Hahn, lui exprimant, outre sa tristesse, son désir de pérennité des ouvrages de l’écrivain : il prépare alors plusieurs hommages à Ruskin sous formes d’articles nécrologiques et de notes qui deviendront, avec des modifications amplifiées, les péritextes de sa future traduction de La Bible d’Amiens.
Les premiers – et seuls – extraits paraissent en février et mars 1903, un an avant la parution en volume.
Le texte de ces épreuves évoquent des épisodes de l’hagiographie des saints Martin, Geneviève et Jérôme, et parurent dans la revue littéraire La Renaissance latine (numéro du 15 février 1903) du Prince de Brancovan, malgré les réticences de ce dernier qui le moquait encore, le mois précédent, pour sa traduction qu’il jugeait « légère ». Proust, lui fera alors cette belle réponse : « Je crois que cette traduction, non pas à cause de mon talent qui est nul, mais de ma conscience qui a été infinie – sera une traduction comme il y en a très peu, une véritable reconstitution […]. À force d’approfondir le sens de chaque mot, la portée de chaque expression, le lien de toutes les idées, je suis arrivé à une connaissance si précise de ce texte que chaque fois que j’ai consulté un Anglais – ou un Français sachant à fond l’anglais – sur une difficulté quelconque – il était généralement une heure avant de voir surgir la difficulté et me félicitait de savoir l’anglais mieux qu’un Anglais. En quoi il se trompait. Je ne sais pas un mot d’anglais parlé et je ne lis pas bien l’anglais. Mais depuis quatre ans que je travaille sur la Bible d’Amiens je la sais entièrement par coeur et elle a pris pour moi ce degré d’assimilation complète, de transparence absolue, où se voient seulement les nébuleuses qui tiennent non à l’insuffisance de notre regard, mais à l’irréductible obscurité de la pensée contemplée ».
Mais la tâche fut ardue en effet puisque Proust connaît à peine l’anglais : sa mère fait le « mot à mot », qu’il remanie avec les conseils de Marie Nordlinger et de Robert d’Humières, traducteur de Kipling. Au terme de ces longues années d’un travail acharné et d’un commentaire personnel sur l’art et la création, Proust achève enfin sa préface, la traduction et les notes, dont certaines se développent sur plusieurs pages.
L’ouvrage, qui sera achevé un an plus tard (en février 1904) portera une dédicace à Adrien Proust qui vient de mourir, au lieu de celle destinée à Reynaldo Hahn : « à la mémoire de mon père, frappé en travaillant le 24 novembre 1903, mort le 26 novembre, cette traduction est dédiée ». Il s’en excusera dans la dédicace personnelle lorsqu’il offrira un exemplaire à Hahn, « tant [s]on petit Papa désirait le voir paraître que maintenant j’ai mieux aimé vous le retirer pour le lui offrir ». Proust, néanmoins, lui dédicacera la second texte de Ruskin qu’il traduira trois ans plus tard, Les Sésames et les Lys.