Paris, Ed. de la Galerie Simon, (28 avril) 1925.
1 vol. (130 x 195 mm) non paginé. Buffle taupe orné d’un décor mosaïqué aux deux plats : pièce de bois d’ébène rehaussées de rivets dorés, tiges d’inox, titre à la chinoise, tranches dorées sur témoins, contreplats et gardes chèvre velours (reliure signée de Renaud Vernier – E. D. Claude Ribal).
Édition originale illustrée de 9 eaux-fortes de Juan Gris dont 1 en couverture, 4 hors texte et 4 in texte.
Un des 90 exemplaires sur Arches avec la suite des gravures en bistre, signé par l’auteur et l’artiste.
Publié dans un tirage hors commerce à Anvers le 15 novembre 1924, Mouchoir de nuages ne fut connu du public français qu’au printemps suivant alors que paraissait sa première édition en volume à Paris, aux éditions d’art du marchand Henry Kanwheiler, illustrée des dessins de Juan Gris : « […] on n’en a pu guère avoir le tiré-à-part de la revue Sélection (Anvers, nov. 1924) qu’en 1925 à Paris, année où paraît le livre aux éditions de la galerie Kahnweiler » se souviendra Aragon qui considérait comme majeur ce texte de Tzara.
Tristan Tzara et Nancy Cunard à laquelle la pièce est dédiée et à laquelle l’auteur offrit le ‘manuscrit’ dactylographié, inventèrent le titre de cette oeuvre singulière à la mise en scène avant-gardiste : les acteurs ne quittaient pas le tréteau de toute la représentation, les changements de décor se faisaient à vue : « au fond, à une certaine hauteur, un écran qui indique le lieu de l’action, au moyen de reproductions agrandies de cartes postales illustrées, enroulées sur deux rouleaux et qu’un machiniste déroule au fur et à mesure que les actes passent, sans se cacher des spectateurs. »
Cette « Tragédie en quinze actes » fut jouée le 17 mai 1924 au théâtre de la Cigale au cours d’une des « Soirées de Paris » du comte Étienne de Beaumont. Dans la salle, l’un des spectateurs, Louis Aragon, en gardera un mémorable souvenir et lui rendra définitivement raison des années plus tard : « J’ai toujours gardé un souvenir exalté du spectacle de la Cigale. C’est pourquoi, quand on m’a demandé d’écrire sur Tzara pour Le Monde, j’ai tout de suite proposé d’écrire sur Mouchoir de nuages. »
Regrettant l’oubli dans lequel cette pièce était tombée, Aragon poursuit : « Si les essais antérieurs de cet auteur sur des scènes de hasard pouvaient être considérés par les spécialistes comme étrangers à l’Histoire du Théâtre, avec H et T majuscules, le mépris général de Mouchoir ne s’explique par rien. C’est en 1965 que j’en ai écrit, si vous voulez connaître d’emblée mon sentiment à cet égard, que cette pièce était à mes yeux “la plus remarquable image de l’art moderne“. Je suis peut-être fou, mais c’est ce que j’ai pensé depuis un demi-siècle, et je ne m’en dédis aucunement. Ne serait-ce que pour l’interprétation scénique qu’en a donnée Marcel Herrand, de qui, d’ailleurs dans les livres consacrés à l’histoire du théâtre le nom ne tient pas la place que mérite ce singulier metteur-en-scène . […] par son contenu même, cette pièce singulière mériterait d’être considérée comme un pas de géant du théâtre poétique au-delà des Mamelles de Tirésias, de Guillaume Apollinaire, car enfin les dates qui jalonnent ce siècle de tréteaux du Boulevard à la Comédie-Française, et même la révolution des metteurs-en-scène, chez nous marquée par le Cartel…, ces dates ne sauraient être complètes sans ces deux noms de poètes, Apollinaire, Tzara. » Et à nouveau Aragon déplore, persiste et signe « Si les Mamelles de Tirésias ont pu devenir un très singulier opéra de Francis Poulenc, Mouchoir demeure dans le tiroir de nos historiens oublieux. » (Aragon, « La nouvelle aventure terrestre de Tristan Tzara », in Le Monde, 17 octobre 1975)
Cette édition illustrée est le fruit de l’unique collaboration entre Tristan Tzara et Juan Gris : « L’humour, le non-conformisme, voire le lyrisme, dans la mesure où ils constituent une réalité homogène – celle de la poésie de Tristan Tzara – ne se dérobent pas au voisinage puissant des gravures. Gris y a porté sur le cuivre ses expériences de dessin à l’encre. Avec cette sobriété qui caractérise les productions de ses dernières années, l’illustrateur utilise le jeu croisé des tailles sans jamais aucun de ces effets de virtuosité auxquels cèdent parfois les meilleurs aquafortistes. Dominant absolument le métier, la matière, il confère à la silhouette de chacun des personnages une ampleur tranquille, presque monumentale » (François Chapon).
Décor de Renaud Vernier, inspiré de la gravure de Juan Gris ornant la couverture.