« Le Vitrail de Valensole », « La murmurée », « La révélée », « La marche » et « La carte du soir »
S.l.n.d. [1946].
4 pages en 4 f. (210 x 270 mm), rédigées à l’encre noire sur papier pelure, signé en fin « René Char ».
Manuscrit autographe : les premiers fragments des Feuillets d’Hypnos a être publiés.
Ils sont rédigés à l’attention de Max-Pol Fouchet, afin que ce dernier les fasse paraître dans sa revue, Fontaine.
Le recueil des Feuillets d’Hypnos sera publié un mois plus tard, aux Éditions Gallimard : ils inaugureront la collection « Espoir », dirigée par Albert Camus.
Un choix hautement symboliques pour des poèmes qui ont été écrits entre 1943 et 1944, lorsque le poète, « Capitaine Alexandre », était à la tête de la Section des atterrissages et des parachutages de la zone Durance. Il se surnommait alors « Hypnos », l’homme qui veille sur son peuple durant la nuit, aux aguets, comme la Résistance, prompte à s’éveiller à tout moment.
De ses actions dans la Résistance, Char parlât peu. Néanmoins, il se plaisait à raconter cette anecdote : « Un jour, pendant la guerre, on m’a demandé de trouver sur le plateau de Valensole un terrain nu où des avions alliés en difficulté pourraient se poser. Je trouve un grand champ convenable, mais un magnifique noyer vieux de trois siècles s’élevait au milieu. Le propriétaire acceptait de louer le champ, mais refusait obstinément d’abattre le bel arbre. Je finis par lui dire pourquoi il nous fallait ce terrain ; il accepte alors. On commence à dégager la base de l’arbre ; on suit la racine majeure, très longue et épaisse, sur une dizaine de mètres. A l’extrémité de la racine, nous trouvons les ossements d’un guerrier enterré dans son armure. Cet homme devait être un guerrier du Moyen Age, et il avait une noix dans sa poche lorsqu’il a été tué car l’extrémité de la racine majeure arrivait exactement à la hauteur de son fémur. La noix avait poussé dans la tombe. » On comprend que cette rencontre extraordinaire entre deux guerriers séparés par plusieurs siècles ait pu frapper l’imagination du combattant-poète qu’était alors le capitaine Alexandre. Des bribes, des phrases, des mots qui formeront, des années plus tard, les pages des Feuillet d’Hypnos. « Elles furent écrites dans la tension, la colère, la peur, l’émulation, le dégoût, la ruse, le recueillement furtif, l’illusion de l’avenir, l’amitié, l’amour. C’est dire combien elles sont affectées par l’événement. […] Ces notes marquent la résistance d’un humanisme conscient de ses devoirs, discret sur ses vertus».
Cette écriture fragmentaire, imposée par les exigences de l’engagement dans la Résistance, se voit enfin agglomérée deux ans plus tard, avec une première dactylographie de 72 fragments, détruite par la suite, qu’il reprend l’année suivante : « Je me suis mis violemment au travail, écrit-il à Gilbert Lely le 17 juillet 1945. Cela s’appelle : Carnet d’Hypnos (Hypnos est un nom d’homme) 1943-1944. J’ai été assez heureux pour retrouver récemment le journal que je tenais à Céreste, enfoui à mon départ pour Alger dans un trou de mur. C’est ce journal que je vais publier […]. Je mets de l’ordre dedans, j’abrège ou je développe suivant les cas. » Il ajoute en particulier les fragments 204 et 221 écrits à Alger à l’été 1944, au moment du débarquement de Normandie. Ce travail aboutit en août 1945 à une seconde dactylographie, actuellement conservée à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet avec cette note : « Il n’existe pas d’autre manuscrit des Feuillets d’Hypnos. J’ai détruit, pour des raisons faciles à comprendre, le carnet des originaux […] hormis un feuillet conservé comme témoin ».
Char, comme il l’indique à Lély, a détruit tous les manuscrits de guerre d’Hypnos, et il n’en existe que peu ou pas d’autres fragments d’époque. Il ne s’occupe donc de préparer pour Gallimard qu’un dactylogramme, à partir du seul jeu qu’il possède alors. Néanmoins, la parution chez Gallimard est précédé d’une parution en revue – Fontaine, en l’occurrence – pour laquelle le poète transmet des manuscrits à son directeur, Max-Pol Fouchet. Ce sont ces manuscrits que nous proposons ici . Les poèmes sont prévus pour prendre place dans recueil que ls deux hommes préparent pour l’année suivante : Le Poème pulvérisé, pour lequel ils demanderont à Henri Matisse d’en concevoir le frontispice.
Pour l’heure, c’est donc dans la revue de l’éditeur d’Alger – qui a tant œuvré pour la Résistance pendant la guerre – que vont paraître ces premiers textes d’Hypnos, en mars 1946 : les fragments 213, 214, 218, 291, 221 et 222. Ils portent alors tous un titre indépendant (« Bora », « Le vitrail de Valensole », « La murmurée », « La révélée », « La marche » et « La carte du soir »).
Précieux manuscrits de cinq de ces six textes publiés, présentant pour la première fois les « écrits de Résistance » du poète. Vraisemblablement recopié d’après le seul dactylogramme conservé par René Char, ils constituent de fait les seuls manuscrits contemporains connus des Feuillets d’Hypnos.
✒️ Revue Fontaine, n° 50, Mars 1946, pp. 418-420 ; Exposition : Le monde de Max-Pol Fouchet, Vichy 1976, n° 58.
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