Paris, Hôtels St James & d’Albany,
9 juillet 1951 et 6 janvier 1952
2 pages en 1 f. (130 x 180 mm) sur papier à en-tête, rédigées à l’encre bleue ; 4 pages en 2 f. (130 x 180 mm) sur papier à en-tête, rédigées à l’encre noire.
Magnifiques lettres où Yourcenar remercie Max-Pol Fouchet de ses mots au sujet des Mémoires d’Hadrien, qu’il a vivement apprécié, alors qu’elle se démène pour faire publier chez Gallimard un essai consacré à Constantin Cavafy (ou Kavafis), « l’un des poètes les plus célèbres de la Grèce moderne ; c’est aussi l’un des plus grands, le plus subtil en tout cas, le plus neuf peut-être, le plus nourri pourtant de l’inépuisable substance du passé ».
Depuis son arrivée aux États-Unis, Marguerite Yourcenar connaît un temps de pause dans son travail d’écriture et, dans ce contexte de guerre, découvre des poèmes de Kavafis qui la passionne et au sujet desquels elle rédige une « Présentation de Kavafis », qu’elle fera parvenir à la revue Fontaine – dirigée par Max-Pol Fouchet – qui le publie à la fin de l’été 1944, dans le n° 36 (1944, p. 38-53).
Fouchet et Yourcenar ne s’étaient jamais rencontrés et un voyage de Fouchet à New York en 1951 lui en donne l’occasion. Mais la rencontre ne se fera pas, et sa première lettre y fait référence :
« Monsieur,
Monsieur Jean Chauvel m’a dit que vous aviez désiré me rencontrer durant votre séjour aux États-Unis ; malheureusement, je me trouvais moi-même dans une région assez éloignée, le Maine, et cette rencontre n’a pu avoir lieu. Je suis à Paris jusqu’au 18 juillet ; me serait-il possible de vous y voir ? Je serai de nouveau à Paris, à la même adresse, en septembre-octobre, à l’époque où mon livre, Mémoires d’Hadrien, se publiera chez Plon ; j’espère au moins vous rencontrer cet automne si cette lettre ne vous atteint pas à temps. Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les plus distingués, Marguerite Yourcenar ».
Six mois plus tard, l’ouvrage a paru, et Fouchet en prépare une critique qu’il fait parvenir en décembre à Yourcenar. Une critique qui fait mouche : « (…) J’ai tenu à lire (et à relire) votre article avant de vous en remercier. Sous sa forme réduite, il sera, j’en suis sure, plus que suffisant pour les lecteurs de Carrefour, mais je vous remercie de m’avoir permis de l’apprécier dans son entièreté. Vous avez mis le doigt sur ce noeud métaphysique du livre que presque tout le monde négligera : la méthode de la liberté, la notion toute laïque du divin dans l’homme, le monde ouvert d’Hadrien opposé aux mondes fermés qui lui succéderont (…). Je vous suis reconnaissante d’avoir si admirablement vaqué à l’essentiel. »
Fouchet la destine à la revue ‘Carrefour’, intitulée Un Empereur se penche sur son passé ; elle y sera publiée le 9 janvier 1952.
Les péripéties autour de la publication des Mémoires d’Hadrien connurent en septembre 1951 leur point de tension la plus vive, la maison Gallimard réclamant, selon les termes du contrat signé en 1938, pour Le Coup de grâce, qui réservait à Gallimard « un droit de préférence » sur les prochains ouvrages de l’auteur. Dès août, Jean Paulhan avait attiré l’attention de Claude Gallimard sur Les Mémoires d’Hadrien, un roman qui semblait « fait pour tous les prix Femina du monde » après la publication des trois fragments dans « La Table Ronde ». Gaston Gallimard décide d’exercer ce droit d’option et défend Plon de l’imprimer, en offrant à Yourcenar de revaloriser le vieux contrat de 1938. Cette dernière, consciente de l’imprudence qu’elle a commise, refuse cette proposition et décide qu’au cas où elle serait forcée de publier chez Gallimard, elle renoncera à faire paraître le volume. Les reproches qu’elle adresse à cette maison d’édition sont nombreux, mais ce qui la dérange le plus et ce qui, en quelque sorte, la pousse à considérer la clause d’option comme inopérante, c’est le refus de Gallimard de publier Dramatis Personae en 1946.
Yourcenar ne céda pas mais, consciente de l’importance d’être publiée un jour par Gallimard, elle tient à rattraper le coup et pense « possible d’arriver à un accord amical en offrant à Gallimard (ceci avec l’agrément de Plon, qui, je crois le savoir, ne s’y opposerait pas) mon prochain ouvrage, que je pourrais lui soumettre dans un délai assez court » : l’essai sur Kavafis publié par Fouchet a sa préférence, et c’est le sens de sa lettre à Max-Pol Fouchet, dans laquelle elle lui réclame un exemplaire de Fontaine afin de pouvoir tout au moins copier l’article sur Kavafis dont elle ne semble plus disposer : « Grippée moi aussi depuis quelques jours, j’en ai retardé d’autant mon départ pour Rome, ce qui nous permettra peut-être de nous revoir. Puis-je vous rappeler l’exemplaire promis de Fontaine ? Comme je m’en voudrais de dépareiller une collection, je copierai l’article sur Kavafis, si vous me le confiez, et vous le renverrai. Merci encore et d’avance. Croyez, je vous prie, cher Monsieur, à l’expression de mes sentiments les plus reconnaissants. Marguerite Yourcenar ».
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