Dessin à l’encre : autoportrait sur la colline
Antoine de Saint-Exupéry

Dessin à l’encre : autoportrait sur la colline

[circa 1940-1942].
Encre sur papier (230 x 160 mm), sous encadrement.

 

Spectaculaire dessin d’Antoine de Saint-Exupéry, réalisant son autoportrait dans un décor vallonné. L’écrivain-aviateur s’y représente en pied, au sommet d’une petite colline herbeuse et fleurie. Au second plan, une maisonnette avec sa cheminée fumante, jouxtée d’un sapin, sous un soleil irradiant.

Saint-Exupéry a toujours crayonné, dessiné. Tous les supports furent bons : marges de ses brouillons, dans les lettres à ses amis, sur des télégrammes reçus, des factures, des reçus, des nappes, des prospectus, et évidemment dans ses manuscrits et dans les dédicaces de ses livres. Tout support offre à son imaginaire un espace où il peut exprimer, souvent par l’esquisse et la caricature, des personnages vivants ou imaginaires. Ces œuvres éphémères sont recensées dans l’ouvrage Antoine de Saint-Exupéry. Dessins, Aquarelles, pastels plumes et crayons (Gallimard, 2006) ; ceux ayant particulièrement à voir avec Le Petit Prince sont également reproduits dans le merveilleux catalogue de l’exposition au Musée des arts décoratifs de 2022, À la rencontre du petit prince.

Ce dessin – inédit – est l’un des plus aboutis qui soit de la période américaine précédant l’élaboration du Petit Prince. Le visage du personnage est à rapprocher de celui du dessin réalisé dans une lettre à Léon Werth datée du 1er juin 1940 : la veste, la ceinture, le visage, le nœud papillon, tout y est identique dans cette étape supplémentaire, où Saint-Exupéry campe cette fois son personnage dans un nuage, et où il apparaît, sur la « terre des hommes », avec touffes herbes, fleurs, mouton, cabane et cheminée fumante (Album Pléiade, 267, également reproduit dans le catalogue de l’exposition Le Petit Prince au Musée des arts décoratifs, 2022, p. 163).

Et parmi eux, notre dessin est plus proche encore de l’époque de la rédaction du Petit Prince : Saint-Exupéry s’est débarrassé des éléments de guerre, pour ne s’intéresser qu’à la quiétude – ou l’inquiétude – de son personnage, perdu au milieu de ce décor. De nombreuses esquisses, avec les mêmes traits, sont réalisés depuis New York pendant les années 1941-1942, au moment où l’écrivain va pleinement s’attacher à la rédaction de son conte.

« On le voit sur les traits même du Petit Prince : Antoine de Saint-Exupéry simplifie petit à petit le visage. Il enlève ses sourcils. Il lui donne son fameux cache-nez, comme il l’appelle dans le livre, c’est-à-dire son écharpe. Il y a tout un travail et des résultats qui ne viennent pas tout de suite. […] Tout cela montre que le travail graphique est à la source de sa réflexion littéraire » (Alban Cerisier). Comme le confirme Olivier d’Agay, petit-neveu de l’auteur et directeur de la succession Saint-Exupéry, « c’est lui, le Petit Prince, c’est Saint-Ex évidemment. Il se dessine dans des situations en avion, sur un nuage. Il le met en scène, il se met en scène. Ce Petit Prince, c’est lui enfant, lui adulte. C’est lui adulte rencontrant lui enfant, comme cela s’était passé dans le désert. Tout vient de là, après l’accident d’avion du 31 décembre 1935, entre Paris et Saïgon. Dans son délire, il rencontre Le Petit Prince et pour lui c’est un choc qui va générer le conte, six ans après » (interview Radio France, 5 avril 2022). L’identification de l’auteur à son personnage est décelable et confirmée dans plusieurs autres dessins new-yorkais. Miroir de son âme, ce Petit Prince qui ne l’est pas encore est plus qu’un compagnon de route : c’est un double poétique, trait d’union entre l’imaginaire et la vie réelle, amplifié par l’épisode de la guerre.

« Le Capitaine de réserve Antoine de Saint-Exupéry est mobilisé en septembre 1939, de retour d’un séjour à New York […]. Il y effectuera des missions au-dessus de la France et des pays voisins, et pour rendre compte à ses proches de ces vols très risqués, il prendra l’habitude de dessiner des scènes représentant non des avions, mais des personnages, perchés sur des nuages, des collines ou des montagnes […]. Et si le petit prince n’avait pas d’âge ? […] Pour son livre, l’écrivain tranchera, en prêtant à son personnage des traits et une silhouette d’enfant […]. La jeunesse du petit prince n’est autre que la jeunesse de son regard sur le royaume du monde. Il est enfant comme symbole. Il ne l’est pas au nom de l’appartenance à une classe d’âge » (À la rencontre du Petit Prince, p. 163 et 205). Dès lors, et bien avant de s’atteler aux illustrations en couleurs et à l’aquarelle qui orneront l’ouvrage, Saint-Exupéry ne cessa de dessiner, pendant l’année 1942, ces petits personnages, mi-homme, mi-enfant, qu’il campe le plus souvent seul, sur une colline ou un bout d’herbe. Au fur et à mesure qu’avance la rédaction de ses conte, l’écrivain lui ajoutera les attributs que l’on connaît : l’écharpe remplacera le nœud papillon, la chevelure blonde et frisée s’étoffera, et les décors planétaires supplanteront les univers terrestres.

Rare et merveilleuse représentation de l’auteur dont il n’existe, dans ce format et par son caractère abouti, que peu d’équivalents.

Certificat joint (Thierry Bodin expert).

Delphine Delcroix & Alban Cerisier, Antoine de Saint-Exupéry. Dessins, Aquarelles, pastels plumes et crayons, Paris, Gallimard, 2006 ; Librairie Forgeot, Antoine de Saint-Exupéry, Cat., 2023, n° 23 (reproduit) ; Saint-Exupéry, Album Pléiade, p. 267.

30752

image_pdfimage_print
40 000 
Ce site utilise des cookies pour réaliser des statistiques anonymes de visites.
Ce site utilise des cookies pour réaliser des statistiques anonymes de visites.
Le site est en développement et des améliorations sont en cours. Nous nous excusons pour la navigation qui peut ne pas être optimale
Le site est en développement et des améliorations sont en cours. Nous nous excusons pour la navigation qui peut ne pas être optimale
This site is registered on wpml.org as a development site.