Courrier sud | exemplaire Joseph Kessel

Antoine de Saint-Exupéry

Courrier sud | exemplaire Joseph Kessel

Paris, Gallimard, (30 avril) 1929
1 vol. (115 x 185) de 227 p. et [2] f. Plein chagrin brun, dos lisse, titre doré, tête dorée, couverture et dos conservé (reliure de l’époque, vraisemblablement commandée par Saint-Exupéry).

 

Édition originale.
Un des 697 exemplaires sur vélin pur fil (n° 53).

Envoi signé :

« Pour J. Kessel,
en souvenir de la grande
affection de tous mes camarades
pour toi,
et en souvenir de la mienne.
Antoine de Saint-Exupéry
 ».

 

Une exceptionnelle provenance historique et littéraire.
L’exemplaire est accompagné d’une photographie originale de l’écrivain-aviateur.
Kessel l’aura conservée dans l’exemplaire pendant toutes ces années, puis celles où l’exemplaire devient la propriété de son neveau, Maurice Druon.

Un exemplaire fondateur qui vient rappeler les rencontres de Kessel avec le groupe des pilotes de ” la Ligne “, celle de l’Aéropostale, décrites dans Courrier Sud puis, deux ans plus tard, dans Vol de nuit.

C’est vers 1925 que Saint-Exupéry rencontre, dans le salon parisien de sa cousine Yvonne de Lestrange, la fine fleur des Éditions Gallimard : Gaston Gallimard, Jean Schlumberger et André Gide. Ces rencontres vont jouer un rôle fondamental dans l’entrée en littérature de Saint-Exupéry. C’est André Gide qui poussera le jeune homme, qui vient d’échouer à l’Ecole navale et qui suit un stage de perfectionnement à l’école de navigation aérienne de Brest, à écrire. Engagé en 1926 par la compagnie Latécoère (la future Aéropostale), il transporte le courrier à destination de l’Amérique du Sud depuis Toulouse via l’Espagne, le Maroc, la Mauritanie jusqu’à Dakar, où ce courrier embarque sur un bateau pour l’autre continent. C’est d’après ses notes qu’il rédige Courrier Sud. Saint-Exupéry en lira des passages à son cousin Honoré Estiennes d’Orves, son futur lecteur attitré. L’ouvrage est accepté par Gaston Gallimard.


Premier livre, et premier chef-d’œuvre.
« Un ciel pur comme de l’eau baignait les étoiles et les révélait. Puis c’était la nuit ». La poésie se mêle, sans cesse, à la réalité et celle des hommes : l’Aéropostale des débuts, c’est un quatuor d’amitiés fortes et de pilotes intrépides, les quatre mousquetaires que sont Jean Mermoz, Henri Guillaumet, Antoine de Saint-Exupéry et Marcel Reine.

 

Il est difficile de disséquer la relation entre Saint-Exupéry et Joseph Kessel sans parler de la figure de ce dernier, que Kessel rencontre à la terrasse du restaurant Chez Francis, place de l’Alma, quelques jours avant Noël 1928. « Une forte amitié naît aussitôt. Reine, qui n’a que vingt-sept ans, est l’un des pionniers de l’Aéropostale, un fou de l’atmosphère, un passionné de l’hélice aux joues roses, visage presque poupin, les yeux clairs, le verbe alerte ». (in Dictionnaire amoureux de Joseph Kessel). Cette rencontre a lieu à la suite d’un dîner quelques jours plus tôt, avec l’officier de marine Lablache-Combier et deux anciens pilotes de guerre, Joseph Le Brix et Demougeot : ce trio encourage l’auteur à faire un reportage sur l’Aéropostale et propose à Kessel de rencontrer l’équipe de Didier Daurat, chef de l’exploitation Latécoère à Toulouse : le pilote Marcel Reine et son ingénieur chargé de la T.S.F, Edouard Serre, « précis comme un théorème, doux comme une femme, poli jusqu’au raffinement ». Les deux hommes sont justement à Paris pour les fêtes et la rencontre se tient quelques jours jours plus tard. Kessel se languit de leurs récits, qu’il se fait raconter longuement. Reine lui raconte sa capture, en 1925, par des cavaliers de la tribu des Sbadia, puis la deuxième, puis la troisième, toute récente, qui date du mois de juin précédent : il est à nouveau capturé, avec Édouard Serre. Un calvaire. « Les tribus insoumises, qui envoient des messagers aux portes des fortins français, finissent par demander une forte rançon, qu’ils fixent à… un million de fusils ! C’est Saint Exupéry qui prend l’affaire en main, et qui négocie pied à pied des semaines durant (…) Tenace et excellent négociateur, Saint-Exupéry manœuvre tant et si bien qu’il réussit à faire baisser la rançon à vingt fusils, six mille cartouches et un sac de pièces d’argent. Les deux hommes sont libérés, après avoir subi un calvaire de quatre mois et en proie à des hallucinations, agonisants mais heureux d’être en vie et de pouvoir s’envoler à nouveau ».

C’est dans le sillage de cette aventure et de la médiatisation du retour des deux héros à Paris qu’Antoine de Saint-Exupéry apparut pour la première fois dans les journaux : un mois plus tôt, le 15 novembre 1928, L’Intransigeant avait publié en couverture un portrait de ce « pilote de ligne » encore inconnu, qui était venu avec deux otages revenus, avec ces mots : « lorsqu’ils sont venus nous visiter à l’Intransigeant, Reine et Serre « étaient accompagnés de plusieurs amis, parmi lesquels un jeune homme timide, qui tentait en vain d’effacer sa haute taille […] : Saint-Exupéry ». Et de vanter « l’héroïsme » de ce pilote, qui avait participé au sauvetage des deux otages désormais célèbres, convoquant une imagerie en vogue depuis la Première Guerre mondiale, celle des chevaliers du ciel : « Les aviateurs sont toujours en guerre », dit l’article, car ils risquent en permanence le « martyre ou la mort », et cet engagement est un « sacerdoce » vécu dans « l’exaltation fraternelle des airs ».

La rencontre de décembre avec Reine et Serre met Kessel en ébullition ; il accepte évidemment la proposition de s’envoler avec eux. « À peine une semaine après, en janvier 1929, Kessel est déjà dans les airs, embarqué par ses nouveaux amis sur l’une des lignes de l’Aéropostale. De Toulouse à Saint-Louis du Sénégal, c’est un voyage de folie, l’un des plus beaux qu’ait connus Jef, à bord de l’orgueil de l’Aéropostale, le Latecoère 26 avec son poste de pilotage ouvert ! « Bien profilé, puissant, fin, le monoplan donnait confiance », écrira Kessel, assis à l’arrière, dans un fauteuil en osier. Trois semaines de passion et de vent sablonneux, avec des escales insensées, des bouts de pistes perdues dans le désert, les forts blanchis à la chaux qui servent de cantonnement, les longues soirées avec les mécaniciens à parler d’explorations aériennes et d’aventure tout court…”

Cette aventure de janvier 1929 marquera Kessel à jamais. Il y reviendra, dans un texte sobrement appelé Saint-Ex., où il écrit qu’il  entendit ” pour la première fois son nom en 1929 [i.e. Noël 1928] “, avant de raconter la folle équipée africaine qui suivra, jusqu’au Cap Juby. Saint-Exupéry n’y est plus depuis plusieurs mois, occupé aux dernières corrections de Courrier Sud, qu’il a rédigé en grande partie là-bas (les 171 feuillets du manuscrit, signé et daté de Port Juby, furent offerts par Antoine de Saint-Exupéry à Louise de Vilmorin, en 1929. Il est maintenant conservé à la Fondation Martin Bodmer, à Cologny [Suisse]). Les bonnes feuilles du texte doivent paraître dans le numéro 188 de la NRF du mois de mai et Kessel, quant à lui, n’est pas en reste : il ramène de ce périple une série de reportages afin de composer un singulier récit, le futur Vent de sable, dans la veine de L’Équipage. Une gloire aux héros du ciel. Car c’est bien dans l’aviation que Kessel a puisé sa philosophie de l’action, et deux hommes d’exception vont profondément le marquer : Mermoz et de Saint-Exupéry. Il donnera une remarquable biographie du premier, juste après sa disparition, quelques années plus tard, mais pour l’heure, c’est Antoine de Saint-Expuéry qui le fascine. Il donne donc, dès à son retour, un portrait de Saint-Exupéry qui est inclus dans la série de reportages publiés par l’hebdomadaire Gringoire à partir de mai 1929 qui paraissent, simultanément au récit de Saint-Exupéry qui vient d’être mis en librairie, sous le titre de Courrier du Bled.

Courrier Sud, Courrier du bled. La coïncidence est trop troublante pour ne pas la citer !

Malgré le destin remarquable de ces deux parutions simultanées, les deux auteurs ne se sont toujours pas rencontrés. Saint-Exupéry, en mai, repart déjà, tandis que Kessel quitte Paris pour un long séjour dans un petit hôtel isolé du cap Gris-Nez, où il achèvera la forme définitive des textes publiés dans Gringoire pour en composer un recueil construit, qu’il termine pendant l’été. Selon une belle manoeuvre, il avait réussi à vendre son manuscrit à deux éditeurs : d’abord à Horace de Carbuccia, le directeur de Gringoire et qui dirigeait les Éditions de France, puis à Gaston Gallimard. L’un et l’autre, peu enthousiastes de cet arrangement, acceptèrent cependant les exigences de l’auteur et promirent chacun une édition précieuse : Gallimard, parue début octobre à 1075 exemplaires avec une couverture dessinée par R. Haury, une eau-forte de Geneviève Gallibert en frontispice et un tirage de tête à 75 exemplaires sur papier Japon ; Carbuccia, une édition publiée quelques jours plus tard à 1475 exemplaires, dont 10 sur Japon. Il y eut même une troisième édition, en fin d’année, et cette fois-ci illustrée d’eaux-fortes de Jacques Simon, donnée par les bibliophiles de l’Aéro-clun de France !

Kessel y raconte que, parmi le groupe des pilotes de la « Ligne », on retrouve l’ambiance d’une « escadrille de guerre », qu’il avait bien connue lui-même, et décrite dans son premier succès littéraire, L’Équipage, en 1923 : s’ils n’ont pas « d’ennemis humains à combattre », explique-t-il, les pilotes de l’Aéropostale affrontent chaque jour « les sierras », « les brumes », « les vents », « le désert », tandis qu’une « discipline tout aussi rigoureuse que celle de l’armée » leur est imposée. Kessel – qui n’a toujours rencontré Saint-Exupéry, y raconte notamment comment « Saint-Ex » a dirigé la périlleuse expédition de dépannage dans le désert pour libérer Reine et Serre ; il en fait même une sorte de sage oriental : « très vite, il s’était fait au désert. Vêtu d’une éternelle robe de chambre qui avait fini par ressembler à une gandourah, ayant laissé pousser sa barbe, brûlé par le soleil, il ressemblait si bien aux Maures que lorsqu’il allait rendre visite aux nomades qui venaient planter leur tente au pied du fort Juby, ceux-ci, au premier abord, le prenaient pour un des leurs. Le courage, la curiosité, la philosophie étaient ses grandes vertus ».

Il est difficile d’affirmer à quel moment la dédicace de ce Courrier Sud fut réalisée : il paraît évident que les deux hommes se sont lus en mai 1929, par leurs récits croisés, et que Reine, Daurat, Serre, leur servent d’intermédiaires de “nouvelles”. Il est possible que Saint-Exupéry lui ait fait parvenir son Courrier Sud par leur intermédiaire, ou celui des Éditions Gallimard – on voit mal Kessel posséder un exemplaire pour ne le faire dédicacer que deux ans plus tard, au moment où Saint-Exupéry lui dédicacera un exemplaire de Vol de nuit (avec ceci : ” pour Joseph Kessel, le seul qui ait donné de l’aviation un visage vrai, avec le grand espoir qu’il aimera un peu ce petit livre, Amicalement, Antoine de Saint-Exupéry “). Selon plusieurs sources dont celle de la fondation Saint-Exupéry,  – dont aucune n’est réellement documentée -, Kessel n’a rencontré physiquement Saint-Exupéry qu’en 1931, au Maroc, sans doute à Casablanca où l’aviateur réside avec Consuelo, qu’il vient d’épouser en avril. Antoine de Saint-Exupéry y a repris les vols de nuit sur les lignes africaines et achemine le courrier venu de France sur la ligne Casablanca-Port Etienne. Vol de nuit, achevé d’imprimer le 30 mai 1931, paraîtra officiellement en octobre. C’est vraisemblablement pendant l’été 1931 que ces dédicaces furent faites et la rencontre enfin établie.

En décembre 1935, Joseph Kessel fut de ceux qui vinrent encourager Saint-Exupéry dans le raid Paris-Saigon. Et lorsqu’il est retrouvé sain et sauf, il dressera un nouveau Portrait de Saint-Exupéry dans l’hebdomadaire Gringoire du 10 janvier 1936. Leurs chemins se croisent à nouveau en 1937, à Madrid où Saint-Exupéry est envoyé pour couvrir la guerre d’Espagne. Puis en 1939, lorsque Joseph Kessel, correspondant de guerre, rend compte de la vie des aviateurs : il fait le tour de différentes unités militaires qui se préparent à affronter l’ennemi et retrouve Saint-Exupéry affecté au groupe 2/33, à Orconte, dans la Marne. Les deux hommes se croisent à nouveau en 1940 puis, une dernière fois, à Alger, fin 1943, six mois après la parution du Petit Prince.

Edmond Charlot fut un témoin privilégié de ce dernier moment de leur amitié : Kessel se trouve à Alger en décembre 1943, au moment où Charlot y publie L’Armée des ombres. Saint-Exupéry est en Afrique du Nord depuis l’été et Saint-Exupéry rédige les lignes de Citadelle. « Un jour alors que nous l’attendions, Kessel et moi, nous avons vu Saint-Exupéry assis sur le trottoir en train de faire des petits avions en papier pour une nuée de petits garçons, des avions en papier d’étain qui brillaient en s’envolant dans le soleil » Et l’éditeur d’assister à leur dernière scène : « Le même jour, au moment de se séparer, Kessel et Saint-Exupéry se sont embrassés. Ils étaient très amis, la larme aux yeux, ils se sont dit “Adieu”, ils ne se sont pas dit “au revoir” comme on dit d’habitude, ils se sont embrassés et à ma connaissance ils ne se sont jamais revus ».

 

Ces as des as, souvent issus de la Première Guerre mondiale, comme Kessel, n’auront reculé devant rien. Pas même le risque élevé de périr en mer, en tentant d’atteindre les côtes sud-américaines pour le simple dessein de livrer du courrier. Kessel, rescapé de la grande boucherie des airs de 14-18, sera le chantre de leurs aventure dans les cieux et le spectateur actif et privilégié de leurs amitiés. Du groupe primitif de ” la Ligne ” et des acteurs de Courrier Sud, aucun ne survécut au conflit : Mermoz d’abord, qui disparaîtra avec son équipage à bord du LATE 300 Croix du Sud, le 7 décembre 1936. Puis les trois autres mousquetaires, tous en mission : Guillaumet et Reine, ensemble, sont abattus en Méditerranée le 27 novembre 1940, et Saint-Exupéry disparaîtra le 31 juillet 1944, au large de Marseille.


Merveilleux exemplaire, témoin exceptionnel de l’amitié entre les deux hommes,
dans lequel est conservé un portrait photographique représentant Antoine de Saint-Exupéry.

L’exemplaire de Vol de nuit contient une variante de ce cliché –
Kessel ayant donc ” dispersé ” ses deux clichés – dont il se pourrait fort bien qu’il soit l’auteur – dans les deux exemplaires que Saint-Exupéry lui a dédicacé

In fine, terminons sur les lignes que Joseph Kessel écrira dans son Saint-Ex. Elles rendent bien compte de l’estime et de l’admiration qu’il lui portait.

« J’ai rencontré beaucoup d’hommes qui sont à la fois hommes de poésie et d’action. Mais toujours en eux, l’un de ces personnages était gêné, rongé par l’autre. Toujours se mêlaient et s’accouplaient les deux visages. Seul, l’auteur de Vol de Nuit et le porteur de courrier aérien au-dessus des déserts, de jungles et de pampas était à la fois entièrement écrivain et entièrement pilote. »

✒️  Antoine de Saint-Exupéry, Œuvres complètes, vol. I et II. Sous la direction de Michel Quesnel et Michel Austrand, NRF, Bibliothèque de la Pléiade ; Antoine de Saint-Exupéry, Manon, danseuse – et autres textes inédits. Gallimard, NRF (Paris, 2007). (Manon, danseuse suivi de L’aviateur – Autour de Courrier Sud et de Vol de nuit – Je suis allé voir mon avion ce soir suivi de Le pilote et de On peut croire aux hommes – Sept lettres à Nathalie Paley). Textes réunis, établis et présentés par Alban Cerisier et Delphine Lacroix ; Joseph Kessel, Dictionnaire amoureux ; Courrière, Sur la piste du Lion.

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