Nous sommes heureux de présenter – un avant et demi après sa disparition – ce catalogue en hommage à l’œuvre immense de Christian Bobin.
Tous les titres sans exception – sauf un, pour lequel il n’a pas été imprimé de grands papiers (La Femme à venir, Paris, Gallimard, 1990), ici en première édition, avec sa bande – sont en tirage de tête, toujours sur le plus petit papier possible. Plusieurs volumes sont signés par l’auteur, et à l’état de neuf absolu, tels que parus. Pour plusieurs d’entre eux, des étuis, étuis-chemises ou coffrets ont été réalisés.
Deux titres sont en doubles : Comme et une femme et Le Très-bas.
En plus de leur présence dans la collection “brochée”, nous proposons ces deux titres dans deux reliures précieuses : la première – exemplaire Henri Clarac avec envoi – dans une reliure de Claude d’Honnelaître, le seconde, pour ce qui constitue sans doute le maître-livre de Bobin, par Louise Bescond.
Tous les ouvrages sont proposés de manière individuelle, mais les volumes de la collection brochée peuvent être regroupés en un seul ensemble homogène, pour former une collection sans doute unique à ce jour.
Les ouvrages présentés ci-après n’ont pas de notices.
Il nous a semblé superflu de présenter un à un ses livres.
Nous ne pouvons que vous inviter à les découvrir, ici et là, et à les butiner.
Seul Le Très-bas possède un descriptif un peu plus étoffé.
Pour le reste, et pour celles et ceux qui souhaiteraient pénétrer dans une œuvre inconnue, nous vous conseillons d’ouvrir la porte d’entrée que constitue ces deux volumes, hors catalogue :
Christian BOBIN
Les différentes régions du ciel
Œuvres choisies
45 €
Paris, Gallimard, collection Quarto, 2022.
1 vol. (130 x 190mm). Broché.
Édition collective en partie originale.
Il contient un texte inédit, L’Eau des miroirs, ainsi que 16 autres textes représentatifs de l’oeuvre de Christian Bobin (Souveraineté du vide, L’enchantement simple, Le huitième jour de la semaine, Lettres d’or, La part manquante, Le colporteur, Éloge du rien, Une petite robe de fête, Le Très-Bas, La plus que vive, Autoportrait au radiateur, Le Christ aux coquelicots, Les ruines du ciel, Noireclaire, La nuit du cœur et Pierre).
ainsi que
Christian BOBIN
[Cahiers de l’Herne]
45 €
Paris, L’Herne, (septembre) 2019.
1 vol. (215 x 290 mm) de 288 p. Broché.
Édition originale.
Avec plusieurs inédits.
Pour ce dernier, nous disposons également d’un exemplaire en tirage de tête (150 exemplaires réalisés) sur beau papier, numéroté.
Il est signé par Christian Bobin.
La voix de Christian Bobin, c’est une voix aussi douce que mordante, qui restera celle d’un inclassable veilleur, d’un critique de notre modernité sans âme, d’un voyant toujours sur la brèche pour dénoncer le désastre né d’un matérialisme obtus. À ce titre, son dernier livre, le Muguet rouge, publié en octobre 2022, porte haut la rébellion face à l’effondrement annoncé.
« J’ai connu la puissance financière, orgueilleuse, matérielle et tellurique du monde. Elle a ses beautés, comme un volcan a ses éclats. Mais il m’a paru nécessaire de sortir très vite de là pour rencontrer quelqu’un, pour avoir la chance de donner leur vie pleine aux chansons d’amour du XVIe siècle. Et je peux témoigner qu’elles sont vraies, dans une amitié profonde entre deux personnes, dans un lien qui n’est plus d’avidité ni d’emprise, mais de respiration commune, enjouée et élargie (…) Je n’écris pas pour réparer, je n’ai pas cette prétention-là, mais pour faire se rejoindre ce qui a été disjoint par notre inattention, notre paresse, et par la violente modernité. J’écris pour qu’on puisse à nouveau ressentir le frôlement de l’invisible dans le visible, ici-bas. Je ne dis pas qu’il y a un autre monde, je n’en sais rien, bien que j’en aie souvent le soupçon. Mais je dis qu’à l’intérieur de notre monde terrestre, il y a des choses à la fois faibles et immortelles, très précieuses, qui nous mettent leur main sur l’épaule et nous demandent de faire attention à nous. J’écris en espérant faire entendre cette parole que nous massacrons avec nos bruits, notre avidité et notre insensibilité grandissante ».
Après trois ans de silence, ce dernier bouquet constitue une brassée de piques véhémentes contre un monde machiniste déshumanisé, « un Titanic qui ne voit pas son pont s’incliner de plus en plus vers le bas ». Il en avait précisé, dans une de ses dernières interviews, deux mois avant sa disparition, la longue mise en œuvre, en donnant un éclairage que son départ fait résonner de manière forte : « C’est bien parfois de faire une fois ce qu’on ne fait jamais. Mon excuse, s’il est en besoin, c’est que j’ai voulu du temps, celui de laisser le monde venir par la fenêtre, de laisser un peu d’éternel entrer dans la maison, assister au combat entre le monde et l’éternel, et d’assister à la défaite du temps. Et pour bien le comprendre, bien l’entendre, il faut du temps (…) Malgré les apparences, c’est un livre fragmentaire mais précis, cousu de vision, de part en part. Mon propos était de parler du monde mais pas comme on le fait d’ordinaire. Le pont du Titanic grince sous nos pieds et le raclement de l’iceberg continue de résonner dans nos oreilles, un tout petit peu alertées ; j’ai voulu faire entendre ce grincement de l’iceberg, démontrer comment nous étions et sommes encore tous sur un pont qui n’est plus vraiment horizontal. Internet, les smartphones, toutes ces choses-là, je les laisse à la porte et j’ai voulu allé voir ce qu’il était derrière les apparences. J’ai essayé de voir un tout petit peu plus loin que d’habitude. Reculer ma chaise pour mieux voir, voilà ce qui m’a pris trois années (…). Il ne s’agit pas d’un réquisitoire. Je ne suis pas porteur d’apocalypse. L’état de crise est un état naturel du monde. Les gens qui s’entre-tuent à la Saint-Barthélemy ou même encore les gens dans les tranchées lors de la première guerre mondiale, ils restaient – terriblement – humains. Ici, on assiste pour la première fois à la décoloration, à l’affadissement, à l’effondrement de l’humain. On pouvait s’entendre la dessus, s’entrechoquer, se confronter, et tout se passait face à face, – même le pire. Mais l’étoffe commune, qui jusqu’ici n’avait pas été déchirée, elle l’est. Aujourd’hui, avec des esclaves d’un nouveau genre, nous avons inventé des choses qui répondent atrocement bien à notre avidité de rapidité, de vitesse, de transparence, vous savez cette transparence des salles de bains, des salles d’autopsie, ces carrelages blancs. C’est la maladie déclarée du progrès. Il s’agit d’un état des lieux. Je ne suis pas inquisiteur. Je suis quelqu’un qui regarde et amène ses yeux sur la page. Après, on en fait ce qu’on veut ». (in Entretien avec Christian Bobin, 6 octobre 2022, RTS, Qwertz).
Son œuvre avait commencé quarante-cinq plus tôt.
Son premier livre, Lettre pourpre, paraît dans le Nord, à Béthunes, aux Éditions Brandes de Laurent Debut, Il y publiera ses premiers livres, imprimés à 130 exemplaires sur une presse à bras installée, par le plus pur des hasards, dans l’hôpital psychiatrique où sa grand-mère a été enfermée. Il partagera le reste de son œuvre entre son éditeur principal, Gallimard – à partir de La Part manquante, en 1987, tout en restant fidèle à ses premiers éditeurs (Fata Morgana, Lettres vives, Le temps qu’il fait, L’Iconoclaste). Lorsqu’il publie Une petite robe de fête (Gallimard, 1991), un recueil de nouvelles, sa musique est déjà installée dans l’oreille et l’esprit de ses lecteurs. Les livres « ignorent la porte de la conscience, [ils] se glissent en vous par la fenêtre du songe et se faufilent jusqu’à une pièce où vous n’allez jamais, la plus profonde, la plus retirée ». Le succès, phénoménal et inattendu, survient l’année suivante dans les pas de saint François d’Assise, avec Le Très-Bas (Gallimard, 1992), une biographie poétique que lui a demandé Jean-Bertrand Pontalis pour sa collection “L’un et l’autre”, qui reçoit le prix des Deux-Magots, le prix Joseph Delteil et le Grand Prix catholique de littérature. « Deux cent mille exemplaires pour une vie de saint François d’Assise ! Il n’a plus eu une seule bonne critique dans la presse parisienne », s’en désole encore son ami le philosophe André Comte-Sponville, interviewé par Le Monde en 2012.
Christian Bobin a des contempteurs acerbes, que sa « mièvrerie » exaspère. Il en a conçu de la douleur, même si, dans cette affaire, il n’y a qu’un juge de paix : le lecteur. Même si l’Académie française, en 2016, le couronne pour l’ensemble de son œuvre, ceux qui le lisent l’accompagnent depuis bien plus longtemps sur les chemins de l’amour, de la joie, du deuil, de la mémoire, du chagrin : La plus que vive (Gallimard, 1996) est écrit après la disparition d’une femme qu’il aime, emportée à 44 ans par une rupture d’anévrisme. La Présence pure (Le Temps qu’il fait, 1999) et L’Homme-joie (L’Iconoclaste, 2012) évoquent son père, mort avec la maladie d’Alzheimer.
Mais précisons : Bobin n’est pas un écrivain du triste, bien au contraire. Son « retrait », près du Creusot, au lieu-dit du Champ-Vieux, en lisière de la forêt du Petit Prodhun où se trouvait sa maison aux volets bleus, n’est qu’une expression d’une part de son caractère, une sorte de pudeur, et la crainte que la parole, en s’exposant trop souvent en plein jour, ne perde de sa vitalité. « Je suis attiré depuis toujours par ce qui est apparemment inutile, faible, laissé dans les ornières pendant que passe le grand carrosse du monde. Un enfant est rarement curieux de ce qui préoccupe les adultes. Il va exercer son attention sur ce qui leur échappe ou ce qui, de peu de poids, lui ressemble. Ce que je recherche, et que j’ai du mal à nommer, ne se trouve pas dans les endormissements théoriques, pas plus que dans les agacements de l’économie ou le bruit machinal du monde. Cette chose me concerne personnellement et, je crois, concerne chacun de nous. J’essaie de faire des petites maisons de livres assez propres pour que l’invisible qui me semble donner le sens de toute vie y entre, et s’y trouve accueilli. Cette sensation n’a jamais cessé de courir par-dessous les fatigues, les lassitudes et même les désespérances. Je tourne autour d’un mot : la bonté. C’est la bonté qui me stupéfie dans cette vie, elle est tellement plus singulière que le mal. »
Des événements et des sentiments sur lesquels l’écrivain met des mots quotidiens, transcendés, que chacun comprend. Y compris dans les épreuves les plus rudes, celles de la perte d’êtres chers : « on s’aperçoit qu’on devient désert quand quelqu’un que l’on aime meurt. Qu’on n’a pas d’autre sens que d’être habité par des gens dont la présence nous réjouit ou dont le seul nom nous éclaire. Et quand ces présences s’éteignent, que les noms s’effacent, il y a un moment étrange et pénible où l’on devient à soi-même comme une maison vidée de ses habitants. On n’est propriétaire de rien au bout du compte. »
Christian Bobin avait écrit, pour une petite revue, un petit texte, resté inédit en volume : il y avait inventé un gardien de cimetière, qui, un peu lassé par la monotonie de son métier, inscrivait sur les tombes des gens des titres de livres, s’accordant à leur personnalité et leur vie passée. « J’ai ainsi rassemblé les deux sujets qui m’importent : les livres et les disparus. Les vies sont comme des livres et les livres sont comme des vies, les deux sont vivants… Les deux sont inséparables. Il faut que dans la vie, tout soit vivant, qu’entre nous tout soit vivant. Il faut que chaque phrase d’un livre soit bondissante comme un enfant qui va au réveil déranger le sommeil de ses parents. Et c’est ainsi que l’humanité peut s’en sortir… ».