S.l., [Londres], créé au Maquis et diffusé à la radio anglaise par la B.B.C., s.d. [mai-septembre 1943].
Rarissime impression clandestine et première édition séparée du « Chant des partisans ».
« Le Chant des partisans », parfois surnommé « La Marseillaise de la Libération », a une symbolique particulièrement forte : cette allégorie musicale de la lutte contre l’occupant allemand a conservé dans les têtes et à travers les décennies une dimension d’hymne patriotique, si bien qu’elle fait partie de la liste des rares mélodies de la Résistance toujours jouées lors de cérémonies officielles.
C’est l’un des trois hymnes patriotiques français officiels – après La Marseillaise et Le Chant du départ, selon un décret gouvernemental de 1962.
La mélodie nous vient d’une jeune femme russe, Anna Marly (1917-2006), qui a fui la Russie après l’exécution de son père à Petrograd (Saint-Pétersbourg), en pleine Révolution bolchevique. Un temps danseuse dans la troupe des Ballets russes de Monte Carlo, elle fuit la guerre pour l’Angleterre et s’engage comme cantinière dans les Forces françaises libres, sous l’égide du général de Gaulle. Mais rapidement, elle met ses talents artistiques au service de la Résistance, en chantant devant les soldats britanniques, tchèques ou polonais dans le Théâtre aux armées. En tournée sur une base navale anglaise en 1941, elle découvre dans le journal le rôle que des partisans soviétiques ont joué durant la bataille de Smolensk (front de l’Est, Russie). Elle compose alors – en russe – une chanson dénommée la Marche des partisans : « J’ai gratté quelques notes de musique et improvisé des paroles où déjà je parlais du vol des corbeaux. Je suis revenue sur scène et me suis risquée à le fredonner en tapant sur ma guitare pour marteler le bruit des pas des soldats. La salle, enfumée, était bourrée de matelots. Quand mon chant improvisé fut fini, tous les marins anglais restèrent d’abord silencieux, presque recueillis. Un silence hypnotique. Puis ils se mirent à applaudir à tout rompre, à taper des pieds frénétiquement. ».
Le chant mélancolique remporte un franc succès, si bien qu’Anna Marly l’interprète plusieurs fois sur scène. C’est à l’occasion d’une de ses représentations que l’entend Emmanuel d’Astier de la Vigerie, journaliste et compagnon de la Libération. Celui-ci propose alors l’air entraînant à André Gillois, animateur quotidien d’Honneur et patrie, émission radiophonique de la France libre diffusée par la radio britannique entre 1940 et 1944 : « Ici Londres, les Français parlent aux Français », annonçait-il chaque soir. « La Marche des partisans » devient, sans parole, dans un air sifflé, l’indicatif du bulletin, du 17 mai 1943 au 2 mai 1944. Pour d’Astier de la Vigerie, fondateur du mouvement Libération Sud, qui considérait qu’« on ne gagnait une guerre qu’avec des chansons », l’équation est simple : il est nécessaire d’avoir un chant pour la Résistance.
La rencontre décisive pour sa composition aura lieu quelques jours plus tard, dans une soirée du réseau Combat. Joseph Kessel, fraîchement débarqué Outre-Manche avec sa compagne Germaine Sablon et son neveu Maurice Druon, s’enthousiasme pour cet hymne. Les deux hommes et la jeune femme, sous la direction d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie qui leur communique la version primitive d’Anna Marly – en russe, mais que peut parfaitement déchiffrer Kessel – s’attèlent alors à en écrire les paroles en français.
C’est sur un coin de table d’une auberge du Surrey, le Ashdown Park Hotel à Coulsdon-South, le 23 mai 1943, qu’est composé le manuscrit de la chanson et interprété pour la première fois le soir même, de retour à Londres, le fameux chant chez Louba Krassine, la compagne d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie.
Une semaine plus tard, le 30 mai 1943, le « Chant des partisans » tel qu’il nous est aujourd’hui parvenu est enregistré par Germaine Sablon, afin d’illustrer en musique Three Songs about Resistance, un film de propagande comportant, comme son nom l’indique, trois chants sur la résistance. Son réalisateur, Alberto Cavalcanti, donne une chronologie différente : « un dimanche du mois de mai, Germaine Sablon m’a téléphoné de Coulsdon-South, aux environs de Londres, pour me dire qu’elle avait enfin réussi à faire écrire des paroles par Joseph Kessel et Maurice Druon dans l’après-midi et nous prîmes rendez-vous pour le lendemain à Ealing-Studios. En effet, Germaine Sablon accompagnée de Kessel m’a apporté les paroles sur une musique d’Anna Marly. Germaine Sablon, avec l’orchestrateur du Studio, décidèrent de l’accompagnement et, à la fin de la semaine, le film était terminé. Ce fut ainsi que Germaine Sablon créa Le Chant des Partisans. » (Cavalcanti, in Revue de la France libre, n° 153, novembre-décembre 1964).
Ce même 30 mai 1943, Charles de Gaulle, chef de la France libre, arrive dans le plus grand secret à Alger, pour y fonder le Comité de libération nationale, en fusionnant le Comité national français de Londres qu’il dirige, et le Commandement en chef français civil et militaire d’Alger, dirigé par le général Giraud, afin d’unifier l’effort de guerre français et de préparer la Libération. Emmanuel d’Astier de la Vigerie en sera nommé commissaire à l’intérieur en novembre. Entretemps, ce dernier aura fait traverser la Manche au « Chant des partisans » : le 24 septembre 1943, ses paroles sont imprimées clandestinement dans la France occupée, à Auch, au sein du premier numéro des Cahiers de la Libération. Peu de gens ayant accès à la revue clandestine, d’Astier de la Vigerie décide de faire imprimer un tract comportant les paroles, destiné à être largué par la Royal Air Force au-dessus du territoire français. Voulant donner l’impression que le chant vient du maquis – qui désigne, selon sa définition, « aussi bien un groupe de résistants que le lieu où ils opérèrent durant la Seconde Guerre mondiale » –, le bi-feuillet porte la mention « créé au Maquis et diffusé à la radio anglaise par la B.B.C. ». Il n’est d’ailleurs pas impossible que sa fabrication soit antérieure à la diffusion « officielle » des Cahiers de la Libération, dont nous joignons les deux versions versions “officielles” de 1943. Contrairement à la version française, le titre est « Les Partisans », sans le sous-titre « Chant de la libération ». Le contenu sera repris en octobre à Londres, par Maurice Druon, puis dans une livraison du Courrier de l’Air de novembre, larguée sur la France occupée – la retranscription du Chant des Partisans y sera fautive (« C’est l’arme » au lieu de « C’est l’alarme ») puis enfin, dans une édition de la revue Fontaine sous l’égide de Max-Pol Fouchet, le 25 décembre 1943.
Il ne nous a pas été possible de trouver ne serait-ce qu’une seule occurrence dans les institutions de ce livret – qui manque notamment aux collections de la Bibliothèque nationale, du Musée national de la Résistance ou au musée de l’Armée de l’Hôtel national des Invalides.
Nous n’en connaissons qu’un seul autre exemplaire, dans une collection privée.
Parallèlement à la diffusion de cet hymne, Kessel se consacrera à plein temps à l’achèvement du travail entrepris depuis son arrivée : un hommage à la Résistance, qu’il termine grâce aux témoignages recueillis auprès de d’Astier, du colonel Rémy et des résistants rencontrés dans les milieux londoniens de la France libre. Terminé en septembre 1943, son « Chant des partisans version longue », L’Armée des ombres, est publiée à Alger, chez Edmond Charlot.
✒️ Sylvain Chimello, La Résistance en chantant, 1939-1945, Paris, Autrement, 2004 ; « Résister par la chanson », La Lettre de la Fondation de la Résistance (n° 82, septembre 2015).
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