Jersey [St-Hellier], Imprimerie universelle, (8 avril) 1855.
1 vol. (110 x 140 mm) de 13 p. et 1 f. Maroquin rouge doublé, dos lisse, titre doré en long, tête dorée, doubles gardes de moire rouge, papier marbré, couvertures muettes conservées, étui bordé (reliure signée de G. Cretté succ. de Marius Michel).
Édition originale.
La plus rare des publications imprimées à Jersey.
Précieux exemplaire enrichi des pièces suivantes, montées sur onglets :
– une lettre autographe signée du Prince Napoléon, datée de 1849 adressée à Victor Hugo : « Paris ce vendredi 22. Mon cher Collègue Voici un passage sur papier de ma main, il est fort mal écrit, mais j’ai voulu vous en envoyer l’original. Quand vous l’aurez lu, vous me donnerez vos conseils. Recevez l’expression de toute ma vive amitié » ;
– une lettre autographe, datée de 1850, d’un officier chargé de récupérer au domicile de Victor Hugo le manuscrit de ses mémoires que le président Louis Bonaparte lui a confié, un an auparavant, pour relecture ;
– un tirage argentique original d’un portrait de Victor Hugo, pris à Jersey en 1855 (130 x 100 mm) ;
– une note autographe de Victor Hugo contre Napoléon III, au dos d’une facture de traiteur datée du 10 janvier 1853 : « Il y aura dans l’histoire deux Napoléon : le Napoléon à la colonne et le Napoléon au poteau. L’Angleterre aura eu cette fortune d’être le bourreau du premier et l’amie intime du dernier ».
Percevant les signes avant-coureurs d’un coup d’Etat, Hugo, au printemps 1850, entre dans l’opposition de gauche, et, le 10 février 1851, attaque pour la première fois le prince président du haut de la tribune, au sujet de la dotation. Dans son grand discours du 17 juillet 1851, il dénonce les ambitions du prince président et lance cette phrase fameuse :
“Quoi ! après Auguste, Augustule ! Quoi ! parce que nous avons eu Napoléon le Grand, il faut que nous ayons Napoléon le Petit !”
Dans la nuit du 1er au 2 décembre 1851, le prince président fait son coup d’Etat. L’Assemblée est dissoute ; les députés de la gauche, dont Hugo est un des chefs, sont poursuivis. C’est l’expulsion, et la fuite en Belgique. C’est là qu’il écrit d’un trait son virulent réquisitoire “Napoléon le Petit” : “Se faire de la France une proie, grand Dieu ! ce que le lion n’eût pas osé, le singe l’a fait ! ce que l’aigle eût redouté de saisir dans ses serres, le perroquet l’a pris dans sa patte ! La civilisation, le progrès, l’intelligence, la révolution, la liberté, il a arrêté cela un beau matin, ce masque, ce nain, ce Tibère avorton, ce néant!” Ayant promis de quitter le sol belge à la suite de l’écriture de ce pamphlet, il quitte Anvers pour Londres le 1er août 1852 avec Juliette et Charles, au milieu de nombreux proscrits auxquels il adressa un discours d’adieu. Sur le quai se trouvait Alexandre Dumas qui, fuyant ses créanciers, avait dû quitter la France. Le 5 août, Victor Hugo est accueilli à Saint Helier, sur l’île de Jersey, par sa femme, sa fille, Auguste Vacquerie et par de nombreux proscrits. Le 16 août, Victor Hugo et sa famille s’installent sur la grève d’Azette, dans la maison baptisée Marine Terrace.
En débarquant à Douvres, l’empereur put voir sur tous les murs de la ville les paroles de ce discours, écrites par l’exilé de Jersey dont la virulence n’avait d’égal que le ton familier et provocant : « Qu’est-ce-que vous venez faire ici ? à qui en voulez vous ? qui venez-vous insulter ? l’Angleterre dans son peuple ou la France dans ses proscrits ? » Hugo appelle la persécution et l’attend de pieds fermes : « Quelle qu’elle soit, cette persécution, elle n’ôtera pas de nos yeux, ni des yeux de l’histoire, l’ombre hideuse que vous avez faite ».
Cette ombre hideuse hante Hugo depuis maintenant quatre ans, bien loin de la rencontre inaugurale de 1848 avec le Prince Louis Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier, fils d’Hortense de Beauharnais et de Louis Roi de Hollande. Hugo, alors séduit par les principes d’ordre que suppose le seul nom de Bonaparte, et par les idées sociales progressistes du candidat, fit campagne pour lui dans le journal de ses fils l’Evénement, lors des élections. Le 10 décembre 1848, Louis Napoléon Bonaparte est élu triomphalement. Il prête serment à la Constitution.
Hugo y rédige Les Châtiments puis, en 1854, la Lettre à Lord Palmerston, au lendemain de l’exécution d’un condamné à mort, Tapner, dont Hugo avait vainement tenté d’obtenir la grâce.
Mis sous surveillance par un certain sir Robert Peel, de la Chambre des Communes, contacté par l’empereur en vue de dénoncer les agitateurs, Hugo était déjà présenté par les Anglais comme un « individu (qui) a une sorte de querelle personnelle avec le distingué personnage que le peuple français s’est choisi pour souverain ». Après une séance à la Chambre, le 13 décembre 1854, ce même Peel avait demandé aux ministres de la reine s’il n’y aurait pas moyen de mettre un terme aux actes et aux publications d’Hugo. Malgré cela, l’écrivain commettait ce pamphlet quelque mois plus tard, passant ainsi par-dessus les avertissements du gouvernement anglais. Le couperet tomba bientôt. Le 27 octobre 1855, la famille Hugo est expulsée de Jersey et doit abandonner sa villa de Marine Terrace ; ils quittent Jersey le 31 octobre, avec François Victor et Juliette, direction Guernesey.
Cette publication, celle qui signe son renvoi, est d’une insigne rareté.
Un exemplaire a été acquis en 1973 par la bibliothèque de l’Arsenal, elle était à l’époque, dixit la notice, « connue à 2 exemplaires « (Vente Hôtel Drouot, 17-19 janvier 1973.)
Des bibliothèques Louis Barthou (ex-libris, II, n° 574) puis Jean Inglessi (ex-libris).
Carteret, I, 415 ; Clouzot, 149, ” Très rare”
28221