Paris, Editions S.E.P.E., collection “Le Labyrinthe”, (novembre) 1943
1 vol. (120 x 188 mm) de 199 p. Demi-chagrin rouge, dos à nerfs, titre doré, date en pied, couvertures et dos conservés (reliure moderne, fin XXe).
Édition originale.
Un des 30 premiers exemplaires sur vélin (n° 2).
Envoi signé : ” à l’ami Lajoie,
qui a un avantage sur
mézigue – celui de
posséder le n° 2 de
l’édition de luxe, alors
que l’auteur se contente
du n° 26.
Mystères de
l’édition (et de Paris).
Amicalement,
Léo Malet, 59.
[correctif :] : le 16. Petite erreur
dûe [sic] au Ricard.
[avec dessin autographe].”
Remarquable dédicace, qui met en scène plusieurs aspects significatifs du roman policier : l’argot (« mézigue », l’alcool ‘le Ricard, qui vient jouer les trouble-fête), et l’allusion au Nouveaux Mystères de Paris, du nom de la série qui met en scène le détective fétiche de Léo Malet, Nestor Burma.
Dans ce premier opus, le détective est amené à s’occuper d’une affaire mystérieuse dont le mourant ne lui a laissé que cette seule indication : « 120, rue de la gare ».
L’ouvrage éponyme est considéré comme le premier roman noir français : “Il y avait ce décor, c’est à dire le couvre-feu, le black-out, le passage de quelques voitures très rares et des bruits parfois lointains de DCA… C’est à dire le décor rêvé pour un roman policier. Nous n’avions pas de brouillard en France : il y avait le black-out ! Je me suis dit il faut utiliser ça. Alors j’ai écrit 120, rue de la Gare qui a été le premier roman policier, pour ainsi dire contemporain de l’Occupation, avec comme toile de fond l’Occupation” (in Entretiens avec Hubert Juin, Radio-France, février 1976). Suivront 27 romans et 5 nouvelles où Burma traînera sa mauvaise tête dans tous les arrondissements de la capitale : Les nouveaux Mystères de Paris.
C’est dès son retour de captivité, à la demande de Louis Chavance, que Léo Malet se met à écrire des romans policiers, en adoptant d’emblée l’écriture à la première personne : « j’avais remarqué en lisant La Moisson rouge de Dashiell Hammett et L’Adieu aux armes d’Hemingway, combien cela donnait un style plus spontané, plus direct“. Léo Malet tenait, avant-guerre, le magasin de journaux à l’angle des rues Sainte-Anne et des Petits-Champs à Paris. C’est dans cette expérience de vie qu’il puisera largement ; c’est également au-dessus de ce magasin que Malet décidera d’installer, dans ses romans, les bureaux de l’agence Fiat Lux de son détective. C’est à ses compagnons du Stalag XB qu’il dédie son livre – initialement intitulé L’Homme qui mourut au Stalag. Il en changera le nom après un premier refus de l’éditeur.
« L’authenticité du récit, qui n’est toutefois pas exempt d’aspects poétiques (notamment lorsque sont évoqués les rêves de certains personnages), mais aussi l’humour sarcastique dont fait preuve son héros, caractérisent 120, rue de la Gare, premier roman noir français » (Sophie Colpaert dans le Dictionnaire des littératures policières). « Les dix mille exemplaires de mon bouquin sont partis dans la semaine » et « quinze jours après […] la maison de production cinématographique Sirius achetait les droits pour en tirer un film » (Malet, in La Vache enragée, autobiographie, p. 180 et sq.). Le film sera adapté dès 1945 par Jacques Daniel-Norman et sortira en salles le 6 février 1946. Spécialiste de film policier d’après-guerre (on lui doit les (in)oubliables Alerte au barrage, Tourments, Le Gang des pianos à bretelles), Daniel-Norman adaptera librement le roman de Malet, en éliminant notamment tous les éléments liés à la guerre qui venait juste de s’achever et en ajoutant une intrigue sentimentale secondaire entre le détective Burma et Hélène (sa secrétaire dans la vie, et dans le roman). C’est bien là le seul charme du film (avec la musique de Vincent Scotto), porté par la présence d’une pétillante Sophie Desmarests.
Devant ce succès, Malet se met à écrire un deuxième roman avec le même héros, Nestor Burma contre C.Q.F.D, publié en 1945, au moment où Gallimard lance sa “Série noire”. Mais c’est bien Léo Malet qui en est le précurseur, lui qui mit en place sa galerie de personnages brusques, immoraux et sans illusion, en inventant une forme de littérature populaire inclassable, libre et corrosive. Le roman noir à la française, avec le 120 rue de la gare, vient de naître : un mélange d’intrigues policières, de réalisme social, de sexe, de gouaille parigote et d’amertume. Léo Malet deviendra, en 1948, le premier lauréat du Grand prix de littérature policière.
Les exemplaires en premier tirage sont peu fréquents ; quant aux grands papiers (qui ne sont pas annoncés dans l’édition courante), ils sont réellement rarissimes.
Reliure modeste et quelques défauts du temps aux couvertures.
29560